Publié sur Voix Arabes

Maroc, 1er juillet 2011 : la gouvernance et la passation des marchés publics sont inscrites dans la constitution

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ImageLes événements survenus dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord ont souvent fait l’objet d’une intense couverture médiatique, mais l’un d’entre eux demeure jusqu’ici relativement méconnu : l’inscription de la gouvernance et d’une disposition portant spécifiquement sur la passation des marchés publics dans la constitution marocaine adoptée par voie référendaire le 1er juillet 2011. Ce faisant, le Maroc a rejoint le très petit club des pays (tels que l’Afrique du Sud et les Philippines) qui ont conféré un caractère constitutionnel à ces questions plutôt techniques. L’impact de cette démarche se fera progressivement sentir dans le monde (y compris en dehors du petit cercle des juristes spécialisés dans le droit des marchés publics), car elle influe sur la façon dont les fonds publics se transforment en fournitures et en travaux tels que les routes, les écoles et les vaccins.

La nouvelle constitution rend un hommage sans précédent au principe de bonne gouvernance et aux questions qui lui sont liées – l’accès à l’information, la transparence, la probité, la lutte contre la corruption, l’éthique de responsabilité et la participation sociale (notamment grâce au droit de pétition) – en les mentionnant dans son préambule puis en les développant dans ses articles. Ces sujets, considérés comme des éléments récents en matière de bonne gouvernance, sont généralement traités au niveau plus modeste des lois et des réglementations ordinaires. Leur inclusion dans la constitution marocaine leur confère une prééminence qui leur permet de supplanter d’éventuelles lois ou règlements contradictoires. Au-delà du geste symbolique, susceptible d’avoir de profondes implications juridiques, cette initiative modifiera l’envergure du débat sur la gouvernance en accroissant les possibilités de progrès (par exemple, en facilitant le dialogue sur la responsabilité sociale avec le gouvernement).

La passation des marchés possède désormais son propre article

L’inclusion de la gouvernance dans la constitution aura des retombées positives sur la passation des marchés publics. Les nouvelles dispositions, notamment celle qui vise à promouvoir l’accès à l’information, refléteront les meilleures pratiques internationales dans le domaine du droit des marchés publics, qui exigent la publication de tous les dossiers de passation des marchés sur un site Internet gratuit. La disposition selon laquelle toute décision de nature administrative peut faire l’objet de recours devant les juridictions administratives aura aussi une incidence sur le processus de passation des marchés. La disposition relative à la libre concurrence pourrait aider l’ensemble des soumissionnaires à participer aux appels d’offres sans discrimination. Enfin, s’agissant de la probité dans la gestion publique, la question de la passation des marchés publics et de la gestion des contrats publics a été jugée suffisamment importante pour mériter son propre article (l’article 36) :

"Les infractions relatives aux conflits d’intérêts, aux délits d’initié et toutes infractions d’ordre financier sont sanctionnées par la loi. Les pouvoirs publics sont tenus de prévenir et réprimer, conformément à la loi, toutes formes de délinquance liées à l’activité des administrations et des organismes publics, à l’usage des fonds dont ils disposent, à la passation et à la gestion des marchés publics. Le trafic d’influence et de privilèges, l’abus de position dominante et de monopole, et toutes les autres pratiques contraires aux principes de la concurrence libre et loyale dans les relations économiques, sont sanctionnés par la loi. Il est créé une Instance nationale de la probité et de lutte contre la corruption."

De fait, l’Instance nationale de la probité et de lutte contre la corruption et le Conseil de la concurrence, mentionné également dans la constitution, auront certainement leur mot à dire en matière de passation des marchés publics, attestant ainsi la place stratégique de la passation des marchés, en tant que fonction publique, au carrefour des impératifs de gouvernance et de la gestion des finances publiques.

Il reste toutefois encore beaucoup à faire : la constitution marocaine prévoit 19 lois organiques (par opposition aux lois ordinaires) qui seront promulguées par la nouvelle législature, selon une procédure parlementaire solennelle, dans un délai de six mois à compter des élections du 25 novembre. La difficulté que représente l’élaboration d’un aussi grand nombre de lois organiques en si peu de temps est accrue par l’obligation d’intégrer les nouveaux principes proclamés par la constitution. Ainsi, l’application de l’article visant les conflits d’intérêts peut se révéler difficile, car le concept de "conflit d’intérêts" n’est pas clairement défini et ni le champ d’action, ni les cibles ne sont précisés. Le cadre de passation des marchés publics sera influencé aussi par les nouvelles dispositions constitutionnelles qui autorisent les citoyens à participer à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de projets de développement local pour lesquels il faudra créer de nouveaux outils et mécanismes. Il sera donc intéressant de suivre les efforts déployés par les Marocains pour appliquer les principes constitutionnels dans l’ensemble du secteur public.

Un emblème de la nouvelle ère?

Compte tenu des exigences de transparence, de probité et de responsabilité qui ont servi de socle au "printemps arabe", on est en droit de penser que la pratique consistant à inclure les questions de gouvernance et de passation des marchés publics dans la constitution peut être étendue au-delà des frontières marocaines et reprise par d’autres assemblées constituantes en Tunisie, en Égypte ou en Libye. Un tel développement ne serait pas surprenant compte tenu du consensus qui ne cesse de s’affirmer, au-delà des affiliations politiques, en faveur de l’examen de la probité et de la responsabilisation des fonctions publiques par la société civile. Avec le recul, nous réaliserons peut-être dans quelques années que l’inclusion des dépenses et des commandes publiques au fronton des documents juridiques fondamentaux des pays est une illustration emblématique de cette nouvelle ère. 


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