Les programmes de promotion des PME gagnent progressivement en popularité. Si l’on a encore du mal à démontrer leur efficacité, leur prééminence politique s’appuie sur la conviction que les petites entreprises croissent plus vite et créent le plus d’emplois. Notre analyse préliminaire du registre tunisien du commerce et des sociétés, qui recense des informations longitudinales sur toutes les entreprises immatriculées entre 1996 et 2010, dégage trois faits stylisés suggérant que les grandes entreprises jouent un rôle nettement plus important que les petites dans la création d’emplois et la croissance.
Fait stylisé #1 : Les grandes entreprises sont rares, mais elles représentent une part importante de l’emploi.
Pour commencer, la grande majorité des entreprises tunisiennes sont de petite taille. Ce commentaire peut sembler banal, mais il devrait surprendre ceux qui estiment que les petites entreprises se développent plus vite. Si tel était le cas, la Tunisie devrait compter relativement plus de grandes entreprises. Comme le montre la figure 1, les données révèlent l’exact opposé : 86 % des entreprises sont des structures unipersonnelles, contre seulement 0,4 % de sociétés de plus de 100 salariés. Pour autant, ces « grandes entreprises » représentent plus d’un tiers de tous les emplois, soit plus que toutes les entreprises unipersonnelles prises ensemble.
Figure 1 : Les grandes entreprises sont rares mais elles représentent plus d’un tiers des emplois
Le fait que la plupart des entreprises soient petites peut aussi être un artefact du niveau d’immatriculations : les entreprises qui s’inscrivent sont de petite taille et seules certaines grossiront. Alors que la majorité des entreprises immatriculées (96 %) sont des entités unipersonnelles, les seules immatriculations n’expliquent pas la distribution de taille observée. En outre, les petites entreprises sont aussi plus susceptibles de disparaître (nous y reviendrons). Parallèlement, le fait que tant d’entreprises démarrent avec une seule personne est un signe que les entreprises en activité, qui tendent à être petites, échouent à créer suffisamment d’emplois, puisqu’une entreprise unipersonnelle est synonyme de travail indépendant.
Fait stylisé #2 : Les petites entreprises restent petites
De fait, la deuxième observation frappante tirée des données concerne la stagnation des entreprises : les petites entités ne grandissent pas. Le tableau 2 le démontre, qui rend compte des transitions entre catégories grossières de taille à court terme (entre 2000 et 2001) et à long terme (entre 2000 et 2010). Les données montrent sans ambiguïté que les entreprises unipersonnelles, micro-entreprises et petites entreprises ne deviennent pratiquement jamais de grandes entreprises même si l’on regarde leur évolution sur dix ans et non pas sur une seule année. En outre, très rares sont les micro-entreprises à rejoindre la catégorie supérieure (petites entreprises). Pour couronner le tout, les matrices montrent par ailleurs que les très petites entités sont aussi celles qui ont le plus de chances de disparaître.
Tableau 2 : Une mobilité limitée, à court et à long terme
Fait stylisé #3 : C’est l’ancienneté et non la taille qui compte
Bien entendu, ces matrices de transition sont assez grossières et ne tiennent pas compte des contributions des entreprises qui s’immatriculent. La figure 3 présente les résultats de régressions non paramétriques de la création nette d’emplois, y compris par les nouvelles entreprises, sur la base de catégories de taille plus fines. Les résultats sont révélateurs : premièrement, nous n’observons pas de relation inverse marquée entre la taille de l’entreprise et la croissance – comme le démontre la ligne pourpre. C’est là un résultat totalement contraire à ceux obtenus pour les États-Unis, où les petites entreprises contribuent fortement à la croissance de l’emploi. Ensuite, si nous tenons compte de l’âge de l’entreprise, la relation entre sa taille et sa croissance devient positive. Autrement dit, lorsque les petites entreprises ont créé plus d’emplois, c’est parce qu’elle sont jeunes et non parce qu’elles sont petites.
Figure 3 : Les petites entreprises grandissent parce qu’elles sont jeunes et non parce qu’elles sont petites
Note : La variable dépendante est le taux de croissance selon Davis-Haltiwanger-Schuh (DHS), qui permet un traitement intégré des contributions des entreprises nouvellement immatriculées, des entreprises en activité et des entreprises qui cessent leur activité. Les régressions sont pondérées et tiennent compte des effets du secteur d’activité et de l’année ; les coefficients qui en résultent peuvent donc être interprétés comme des flux nets d’emplois moyens conditionnels. Pour minimiser l’impact de l’erreur de mesure, nous basons nos variables indicatives de taille sur les catégories moyennes de taille. Comme nous avons plus de 7 millions d’observations, toutes les variables de catégories de taille sont significatives à 0,01 %.
Enfin, rappelons que si cette note s’est attachée au cas de la Tunisie, qui offre les données de couverture les plus complètes, notre analyse des données de recensement au niveau des entreprises manufacturières au Maroc, en Éthiopie et en Indonésie parvient à des faits stylisés qui donnent autant à réfléchir.
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