Publié sur Voix Arabes

Déceler la tendance dans les pays en transition

Deux fois par an, nous élaborons des perspectives économiques pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) dans le cadre des travaux d’analyse économique que nous effectuons à la Banque mondiale. Au cours des deux dernières années, en raison d’une série de chocs politiques et financiers, nous avons eu plus de difficultés à mettre en évidence les tendances et les tournants économiques de la région.

Kim Eun YeulDu côté politique, on a assisté à des élections, avec des vainqueurs et des perdants incontestables, et à des référendums qui remettent en cause des hypothèses antérieures. Le nouvel espace dans lequel les citoyens s’organisent et s’expriment a donné naissance à une société civile dynamique. Mais dans ce même espace contesté, l’assassinat d’une figure de l’opposition a changé le cours de l’histoire. Dans le même temps, les Constitutions s’écrivent et se réécrivent tandis qu’un conflit dans un pays produit des conséquences dévastatrices en interne et des répercussions dans toute la région.

Du côté financier, les touristes ont évité un certain nombre de pays après le Printemps arabe, puis sont revenus, avant de repartir. La hausse du nombre de postes dans le secteur public et des rémunérations des fonctionnaires a assuré la subsistance de ceux qui en ont bénéficié, mais réduit les fonds destinés à aider le reste de la population. Le cours élevé du pétrole a facilité la transition chez les exportateurs de pétrole, mais suscité des inquiétudes financières chez les importateurs. Malheureusement, l’économie mondiale n’est pas en mesure de modérer l’instabilité régionale, car la crise de la zone euro pèse sur la demande et les ressources mondiales.

Dans ce contexte de volatilité, il est difficile d’identifier les tendances et les tournants économiques, mais trois points apparaissent distinctement :

Premièrement, la région MENA est désormais plus hétérogène.Par le passé, nous analysions les perspectives régionales en distinguant exportateurs (pays en développement ou développés) et importateurs de pétrole. Aujourd’hui, nous les observons aussi à travers le prisme de la transition et de ses différents stades : pays postrévolutionnaires, démocraties en évolution, États fragiles et États en conflit. L’incertitude qui entoure la vie politique et l’action publique, dont le degré est variable dans les pays de la région, a en effet de profondes conséquences sur la croissance économique, les opportunités d’emploi et la pauvreté.

Deuxièmement, les tensions économiques s’accentuent pour les importateurs de pétrole. Nous observons un creusement des déficits budgétaires et un alourdissement de la dette publique, qui résultent de l’augmentation des dépenses publiques consacrées aux subventions et aux salaires de la fonction publique, ainsi qu’un repli des recettes de l’État dû au ralentissement de la croissance du revenu. Le déficit du compte courant s’est lui aussi creusé sous l’effet de la contraction des exportations, en particulier dans le secteur du tourisme, tandis que les dépenses relatives aux importations ont augmenté en raison de la cherté du pétrole. Les réserves de change diminuent, les pays ayant puisé dedans pour soutenir une demande en baisse pour les monnaies locales. Ces tendances macroéconomiques ne peuvent se poursuivre indéfiniment, quelque chose doit se passer.

Troisièmement, le chômage est élevé et en progression dans un certain nombre de pays. Les problèmes économiques structurels qui ont miné la région MENA par le passé, et qui sont responsables de l’insuffisance des débouchés offerts aux jeunes, ainsi que du ressentiment qui a débouché sur le Printemps arabe, restent entiers. Malheureusement, les incertitudes qui planent sur le contexte politique et sur les mesures publiques qui accompagnent la transition freinent l’investissement, ce qui pèse encore plus sur un marché du travail déjà faible et sur les perspectives de trouver un emploi. Les secteurs qui procurent des emplois (activités manufacturières, construction et services touristiques) sont ceux qui ont été les plus touchés lors de la transition. Il est impératif de les remettre sur les rails pour générer une reprise de l’emploi et réduire la pauvreté.

À l’avenir, les perspectives de la région dépendront de la manière dont les déséquilibres macroéconomiques seront résolus et de la possibilité d’atteindre un niveau suffisant de prévisibilité de l’action publique et de participation à la vie politique. Ce n’est qu’à cette condition que les investisseurs et les touristes reviendront dans les pays de la région. Depuis 2010, les dépenses consacrées aux subventions sur les carburants et à la masse salariale de la fonction publique se sont accrues dans les pays en transition. Il faut commencer par définir un plan macroéconomique capable de résoudre ces problèmes et instaurer une protection sociale solide, à même de protéger les plus vulnérables. Ces mesures redonneraient confiance aux investisseurs et soutiendraient l’accélération de la croissance et l’emploi. Toutefois, un solide plan macroéconomique ne suffira pas. À court terme, la croissance et l’emploi ont besoin non seulement de clarté politique et de prévisibilité dans l’action publique pour encourager l’investissement étranger et le tourisme, mais aussi des « bâtisseurs de confiance » que sont les grands travaux publics et la formation. 

À moyen terme, les pays de la région devront relever une multitude de défis supplémentaires (voir notre série de billets sur l’emploi). Le danger est qu’ils perdent de vue le long terme au profit du court terme.

Auteurs

Caroline Freund

Directrice principale du pôle Commerce, investissement et compétitivité

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