Publié sur Voix Arabes

La prévalence notable de la dépression chez les femmes de la région MENA

La prévalence notable de la dépression chez les femmes de la région MENAJ’ai récemment assisté à une réunion sur la stratégie relative à la santé, où ont été présentés des indicateurs des risques sanitaires. Il est apparu que la dépression constituait l’affection qui touchait le plus les femmes de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) mais moins les hommes (pour qui la dépression se situe en moyenne à la 7e place). En un sens, ce n’est pas tellement surprenant vu que la dépression concerne davantage les femmes que les hommes partout dans le monde. En moyenne, à l’échelle mondiale, la dépression se classe en 6e position des affections pour les femmes et en 16e pour les hommes.

Néanmoins, la région MENA présente des caractéristiques spécifiques. Le tableau ci-dessous donne le classement moyen du trouble dépressif clinique établi à partir d’une mesure standard des coûts pour la santé — les années de vie corrigées de l’incapacité (DALY) — sur la base des données de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME). Chez les femmes, la place de la dépression est plus élevée dans la région MENA que dans n’importe quelle autre région du monde. Si les hommes de la région MENA sont eux aussi davantage sujets à la dépression, l’écart entre hommes et femmes est plus marqué dans la région MENA que dans toutes les autres régions, à l’exception notable de l’Amérique latine et des Caraïbes. On peut en déduire que les hommes de la région MENA sont plus proches de leurs pairs dans le reste du monde que les femmes de la région MENA ne le sont des autres femmes du monde.

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La carte ci-dessous indique la position de la dépression chez les femmes dans les différents pays du monde. Plus le rouge est foncé, plus celle-ci est élevée. Sept des dix pays où la dépression occupe la place la plus élevée se trouvent dans la région MENA (deux des trois autres se situent en Amérique latine et un en Europe).

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Qu’est-ce qui pourrait expliquer la prévalence de la dépression chez les femmes de la région MENA ?

La capacité à agir et à faire des choix dont souffrent les femmes de cette région pourrait être en cause. Cette capacité dépend dans une large mesure du revenu, lequel confère aux personnes un moyen de décider où et comment vivre, et quoi acheter. 

Pour examiner cette relation, j’ai recherché une corrélation entre le taux d’activité féminine et la place de la dépression. Le taux d’activité féminine se définit par la proportion de femmes en âge de travailler qui ont un emploi ou en recherchent un. Le nuage de points ci-dessous met en évidence le degré de corrélation entre les deux variables. On observe qu’à mesure que le taux d’activité progresse, la position de la dépression tend à diminuer (la dépression s’éloigne de la première place). En moyenne, une hausse de dix points de pourcentage du taux d’activité est associée à un recul de la position de la dépression de près d’une place.  

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Il s’agit bien sûr d’une corrélation, pas d’un indicateur de cause à effet. Cependant, elle pourrait suggérer que lorsque les femmes travaillent, elles sont moins sujettes à la dépression. En effet, il existe un vaste corpus de données démontrant une relation solide entre chômage et dépression.    

Toutefois, d’autres explications possibles méritent d’être examinées de plus près.

Des facteurs spécifiques aux pays pourraient agir à la fois sur le taux d’activité des femmes et sur la dépression. Ainsi, les normes sociales qui empêchent les femmes de participer à la vie sociale sur un pied d’égalité avec les hommes pourraient conduire à un faible taux d’activité féminine et à une prévalence plus élevée de la dépression. Elles généreraient donc une corrélation entre taux d’activité et dépression, sans pour autant faire du taux d’activité des femmes le coupable. Autre explication possible, les difficultés économiques en général pourraient induire une prévalence plus élevée de la dépression et un faible taux d’activité (après tout, ne parle-t-on pas de « dépressions » pour décrire les périodes de faible croissance et de chômage élevé ?). Ce phénomène pourrait expliquer le taux de dépression relativement élevé dans la région MENA chez les hommes comme chez les femmes, mais n’explique pas pourquoi les femmes y sont davantage sujettes que les hommes dans la région, surtout compte tenu du fait que les hommes sont les principaux soutiens de famille.

Enfin, on pourrait être tenté de penser que c’est précisément le taux de dépression relativement plus élevé des femmes qui les pousse à rester en dehors du marché du travail. Cette explication semble toutefois moins plausible puisque, dans de nombreux pays, la dépression est classée parmi les premières affections alors même que le taux d’activité est élevé. Ce qui est bien moins courant, ce sont des pays où les femmes sont relativement heureuses alors que leur taux d’activité est faible.

Quoi qu’il en soit, cette relation mérite d’être explorée plus avant. Si le nombre restreint d’opportunités d’emploi pour les femmes dans la région MENA est à l’origine de graves risques sanitaires, il devient d’autant plus essentiel de multiplier les débouchés. Notre nouvelle publication intitulée Opening Doors: Gender Equality in the Middle East and North Africa (en français), qui explore les déterminants du faible taux d’activité féminine dans la région MENA, établit un lien étroit avec les normes sociales en vigueur et propose des mesures pour le changement.


Auteurs

Caroline Freund

Directrice principale du pôle Commerce, investissement et compétitivité

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