Publié sur Voix Arabes

L’inclusion économique peut prévenir l’extrémisme violent dans le monde arabe

Homs, Syria, September 2013. Destroyed a residential area in the city of Homs injured in fighting between rebels of the Syrian National ArmyAu lendemain du double attentat à la bombe de Beyrouth perpétré par des kamikazes, Paris subissait des attaques terroristes coordonnées. Auparavant, les médias relayaient l’information que l’hypothèse d’un engin explosif à bord de l’avion russe qui s’était écrasé dans le désert du Sinaï en Égypte était « hautement probable », indiquant qu’une organisation affiliée à Daech revendiquait cette opération. Ces attentats viennent souligner les dangers d’un extrémisme violent dont les victimes sont des ressortissants de diverses nationalités et qui frappe aux quatre coins du monde : au Moyen-Orient, en Europe, en Afrique, en Asie, en Amérique du Nord.

Comment prévenir cet extrémisme violent ? Le Club de Madrid une organisation d’anciens chefs d’État et de gouvernement démocratiquement élus qui se retrouvent régulièrement pour réfléchir à des enjeux mondiaux de premier plan, a tenté d’apporter des réponses à cette question. Lors d’une récente réunion, ses membres ont élaboré une stratégie en dix points destinée à la prévention de l’extrémisme violent. Parmi ces dix points, il y a notamment l’inclusion.

Selon ces anciens dirigeants mondiaux « l’exclusion systématique engendre l’injustice et un traitement inéquitable, elle peut produire un cocktail délétère susceptible d’alimenter un extrémisme violent ». Et de poursuivre : « Partout dans le monde, les dirigeants politiques ont le devoir de représenter l’ensemble de leurs concitoyens, de favoriser l’inclusion des femmes et des jeunes, et de veiller à ce que tous les individus, groupes et communautés aient un accès égal au développement économique».

La plupart des observateurs admettront volontiers que l’exclusion économique est une des causes de l’extrémisme violent, sans être pour autant la seule. L’extrémisme violent est dû à de nombreux autres facteurs politiques, sociaux, et même religieux. Aussi, outre les aspects politiques et sécuritaires, les programmes de prévention de l’extrémisme violent doivent également mettre l’accent sur les opportunités économiques et l’inclusion.

Il existe peu de données mettant en évidence une corrélation entre des variables économiques spécifiques (pauvreté, chômage, niveau d’éducation) et la violence et l’instabilité. Si l’extrémisme violent est plus présent dans les pays pauvres, rien ne démontre que les catégories défavorisées de ces pays sont plus enclines à rejoindre des groupes violents que les plus favorisées ; la probabilité que des régions pauvres au sein d’un même pays soient plus violentes et plus instables n’est pas non plus avérée. De la même façon, ni le chômage, ni l’absence d’éducation expliquent les phénomènes de violence.

En d’autres termes, les formules qui reviennent constamment s’agissant de l’extrémisme violent —du type « tout vient de la pauvreté », « il faut mettre l’accent sur la création d’emplois » ou encore « le système éducatif doit être réformé » — sont probablement erronées. Ou, à tout le moins, attendent toujours d’être validées. Naturellement, les pays à revenu faible ou intermédiaire doivent lutter contre la pauvreté, développer les emplois et améliorer l’éducation, mais ces mesures ne sont pas un gage suffisant de paix et de stabilité dans les territoires en proie à la fragilité et au conflit.

La violence et l’instabilité semblent être en revanche associées à un sentiment d’injustice provoqué par une exclusion économique et politique, ainsi qu’à l’existence d’un État faible ou prédateur qui faillit à sa mission de service public. La marginalisation, perçue ou réelle, d’importantes catégories de la société sert souvent de prétexte au recours à la violence. On pourrait ainsi soutenir que, pour prospérer, Daech a tiré parti de la marginalisation perçue des populations sunnites en Iraq et en Syrie.

Mais l’exclusion ou la marginalisation de certains groupes ne repose pas seulement sur l’appartenance religieuse ou ethnique. Les jeunes, par exemple, constituent un groupe marginalisé dans de nombreux pays arabes. Des régions peuvent également se sentir marginalisées, à l’instar de l’ouest de la Tunisie ou de la haute Égypte. On peut aussi considérer que les femmes sont marginalisées dans le monde arabe, comme en témoignent leurs très faibles taux de participation au marché du travail et leurs taux de chômage très élevés.

L’instabilité dans le monde arabe pourrait s’expliquer, au moins en partie, par la perception d’une injustice sociale. Tandis que les sociétés arabes se développaient et prospéraient, de larges pans (probablement la majorité) de la population ont eu le sentiment d’être privés des fruits de la croissance (pour approfondir cette question, voir  cette étude de la Banque mondiale). Par ailleurs, une élite d’hommes d’affaires et de personnes bien introduites auprès des responsables politiques profitait de ce système, au détriment des jeunes, des ruraux et des femmes.

Voilà pourquoi les dispositifs de prévention de l’extrémisme violent dans le monde arabe devraient incorporer des mesures et des programmes en faveur d’une plus grande inclusion économique et sociale. Il faudrait, par exemple, développer des institutions économiques plus inclusives et redevables devant les citoyens ; créer plus d’opportunités pour les jeunes en réformant le cadre de développement du secteur privé et en modernisant le système éducatif ; accompagner le développement des régions et des zones rurales à la traîne ; et créer plus d’opportunités économiques et d’emploi pour les femmes.

Il est grand temps que les États du monde arabe et leurs partenaires internationaux se consacrent à l’économie et à l’instauration d’institutions inclusives. Depuis l’avènement du Printemps arabe fin 2010, l’accent a été mis quasi exclusivement sur des questions politiques et identitaires éminemment clivantes, ce qui a contribué au malaise actuel. La paix, la stabilité et la démocratie ne se matérialiseront qu’à la condition d’associer pleinement tous les citoyens arabes, notamment les jeunes, à l’économie et à la société de leur pays, et de leur donner le sentiment qu’ils sont entendus par les diverses institutions de gouvernance.
 

Auteurs

Hafez Ghanem

Former World Bank Vice President, Eastern and Southern Africa

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