Une démocratie qui fonctionne bien ne repose pas que sur la tenue d’élections, si l’on en croit le professeur Roger Myerson de l’université de Chicago. Elle doit aussi disposer d’un réservoir de dirigeants politiques dotés d’une bonne réputation et du sens des responsabilités. Si cela peut sembler évident, la question de savoir comment le personnel politique se taille une réputation mérite que l’on y réfléchisse. Surtout dans les sociétés en transition, qui n’ont pas l’habitude du jeu démocratique.
Invité à ouvrir le Forum sur les transitions économiques et politiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) organisé par le bureau de l’économiste en chef de la Banque mondiale pour la région MENA, Roger Myerson s’est intéressé, au-delà des seuls processus électoraux, à la structure même des systèmes démocratiques et à leur influence sur les résultats.
Se plaçant du point de vue de l’économiste qu’il est, il a dressé une analogie entre la nécessité de garantir une offre de dirigeants politiques fiables et l’importance de la concurrence pour un secteur privé dynamique. Si tout le monde reconnaît les mérites de la concurrence, les entreprises bien établies ne la voient pas forcément d’un bon œil. Elles préféreraient avoir le champ libre et fixer les prix comme elles l’entendent. C’est la structure même du secteur privé qui engendre la concurrence. Les nouveaux venus doivent être encouragés par un accès aux financements et un cadre réglementaire qui facilite leur entrée sur le marché. Les entreprises se font concurrence mais c’est l’environnement des affaires qui l’alimente et l’entretient. Il en va de même dans le monde politique. Des élections avec de vrais enjeux sont indispensables pour que les hommes politiques continuent de s’intéresser à la chose publique et non aux faveurs qu’ils peuvent distribuer au parti ou aux militants qui les ont portés au pouvoir. Ce sont les nouveaux venus à qui on donne l’occasion de faire leurs preuves qui sont les « challengers ». De même que le secteur privé doit être structuré pour favoriser la concurrence, de même les régimes politiques doivent établir les conditions propices à l’émergence de nouvelles figures.
Dans le sillage du Printemps arabe, cette question de l’éclosion d’un nouveau personnel politique prend toute son importance pour la région MENA. Selon Roger Myerson, la domination des organisations islamiques — et de leurs émanations politiques — lors des dernières élections n’a rien d’étonnant. De tous les groupes d’opposition, ce sont les seuls à avoir une bonne expérience de la gestion de fonds collectifs, de la distribution de subsides et de l’organisation de services publics. Alors que les pays rédigent de nouvelles constitutions, il faut répondre à la demande d’intégration politique par des solutions qui permettent l’émergence d’un nouveau personnel politique. Le professeur Myerson a rappelé qu’en 1971, la Constitution égyptienne rédigée par le président Sadate appelait à la création de conseils locaux. Même s’ils n’ont jamais vu le jour — et si la sincérité de la proposition a pu être mise en cause — la dévolution des pouvoirs reste une idée valable. Non seulement les conseils locaux rendront les citoyens plus autonomes mais ils les inciteront à tester la gestion locale de leur quotidien. C’est cette forme d’ouverture politique dont on a besoin pour attirer les bonnes volontés. Ceux qui s’engageront localement apprendront à gérer des deniers publics et à organiser des services, et cette expérience pourra leur servir au moment de se lancer dans l’arène politique nationale. Autant que l’élection en tant que telle, c’est l’offre d’une classe politique aguerrie capable d’y participer qui compte. Les régimes démocratiques doivent être conçus de manière à encourager les vocations et à préserver l’offre.
Les dirigeants sortis des urnes dans les pays de la région MENA sont sans aucun doute sincères dans leur engagement envers les idéaux à l’œuvre dans le processus de transition. Mais eux aussi peuvent s’égarer. Le renouvellement constant du corps politique par des personnalités nouvelles sera indispensable pour maintenir la pression et les obliger à garder le cap. L’ouverture politique est particulièrement importante pour les jeunes et les mouvements sociaux qui, après avoir été à l’avant-garde de la révolution, en ont été dépossédés par le processus électoral. Elle aurait le mérite non seulement d’atténuer leur frustration mais aussi d’instaurer une démocratie à la fois plus vivante et plus efficiente.
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