Publié sur Voix Arabes

Égypte : l'éducation a besoin de solutions permanentes

Image« C’est censé être encore un anesthésiant ? », a demandé un participant, lors de consultations organisées au Caire autour d’une initiative en faveur de l’éducation mise en place par le Groupe de la Banque mondiale et la Banque islamique de développement. Cette observation singulière résume bien ce que beaucoup d’Égyptiens pensent des précédentes interventions menées dans le système éducatif.
                                                                                                                                             
Tous mes interlocuteurs sont d’accord : l’éducation est une priorité absolue en Égypte. Ce consensus transparaît clairement dans les enquêtes et les discussions, officielles ou non. Lorsque la Banque mondiale a mené des consultations dans l’optique de mettre sur pied sa prochaine stratégie pour l’Égypte (qui couvre les cinq prochaines années), l’éducation figurait en tête des préoccupations dans la hiérarchie des principales difficultés socio-économiques rencontrées par le pays, aussi bien chez les représentants du secteur public et que parmi les organismes non gouvernementaux.
 
Plus récemment, les consultations entreprises dans le cadre de l’initiative Education for Competitiveness (E4C) ont mis au jour un large sentiment d’exaspération quant au report permanent de réformes réelles. Les mesures suggérées par les participants font par ailleurs écho à ce que préconisent les bonnes pratiques internationales, à savoir que les pays devraient avant tout mettre l’accent sur le développement de la petite enfance. Ce point est particulièrement important pour l’Égypte, où certains enfants de milieux plus défavorisés n’ont pas toujours la chance de développer leur potentiel. L’apprentissage de la lecture et des mathématiques à un âge précoce doit également être une priorité. Au niveau des systèmes de formation continue, enfin, il convient d’adopter une approche équilibrée vis-à-vis de l’enseignement général et de l’enseignement technique et professionnel, et de ménager de véritables passerelles vers le marché du travail.
 
Passons à la phase de traitement
 
L’innovation devrait être au cœur de l’élaboration des politiques éducatives ainsi que de la prestation des services. « Nous devons agir sans délai, et cette fois, il faut que ça marche », a indiqué l’un des participants. Pour beaucoup d’entre eux, l’école doit permettre d’acquérir des compétences cognitives et techniques mais aussi inculquer des compétences non cognitives, telles que l’esprit d’entreprise, et considérer l’individu dans sa globalité. Ces aspects devraient occuper une place majeure dans la pédagogie, et ce, à tous les niveaux. L’orientation professionnelle devrait également être mise en place au terme du premier cycle secondaire (soit vers l’âge de 14 ans).
 
Les participants ont également mentionné la possibilité de sortir des instruments éducatifs traditionnels pour exploiter par exemple l’outil médiatique, et souligné le rôle de la société civile dans l’éducation extrascolaire.
 
L’éducation est l’affaire de tous : elle ne peut se limiter aux cabinets ministériels. Pour pouvoir obtenir des résultats dans l’apprentissage, l’employabilité et la vie citoyenne, il est crucial d’établir des partenariats véritables avec tous les acteurs concernés, société civile et secteur privé compris. Il faut définir clairement le rôle et les responsabilités de chacun, ce qui suppose de modifier la législation.
 
La nécessité de rendre des comptes devra concerner tous les acteurs : sans culture de responsabilisation et de transparence chez les parents, les enseignants et les chefs d’établissement, aucune réforme n’est possible. Les participants ont également évoqué la question du suivi et de l’évaluation des interventions, et proposé de se fonder sur l’évaluation des élèves pour responsabiliser enseignants et directeurs d’établissement.
 
Mais pour commencer, il faut s’attaquer de toute urgence à deux problèmes : d’une part, l’accès à l’éducation et l’engorgement des écoles, et, d’autre part, le développement des capacités chez les directeurs d’établissements et les enseignants.
 
Le pays doit aussi remédier aux inégalités. Lors des discussions, cette question est apparue sous deux angles différents : i) les élèves issus de milieux socio-économiques défavorisés ont plus de chances d’être orientés vers une formation technique et professionnelle et ; ii) au terme de leur scolarité, les élèves les plus démunis ont moins de chances d’intégrer des établissements du supérieur offrant de meilleurs débouchés professionnels, principalement en raison des frais occasionnés par les cours privés et de l’obstacle que constitue l’examen de fin d’études secondaires.
                                                                                                                                                   
Les participants ont pour beaucoup pointé le coût de ces cours privés, et souligné que la configuration actuelle ne garantissait pas véritablement le principe de gratuité de l’enseignement. Il apparaît nécessaire d’examiner ce qui, dans les dépenses consacrées à l’éducation, est inopérant et de reconnaître que la gratuité de l’enseignement ne s’est pas encore traduite dans les faits par une égalité des chances, tant dans les études que sur le marché du travail.
 
Il est temps d’agir ensemble et autrement pour l’éducation en Égypte, afin de s’assurer que la réforme à venir ne soit ni douloureuse ni superficielle.
 
L’initiative Education for Competitiveness (E4C), qui vise à mettre l’éducation au service de la compétitivité, a été mise en place sous l’égide des présidents du Groupe de la Banque mondiale et de la Banque islamique de développement. Cette initiative à vocation régionale entend mobiliser l’expertise des deux institutions, identifier des modèles d’éducation performants, qui méritent d’être reproduits et déployés à plus grande échelle, et s’appuyer sur un terreau commun afin de faire collaborer les pays du monde arabe. L’initiative E4C vise à remédier : i) au mécontentement des citoyens vis-à-vis du système éducatif ; ii) à l’absentéisme [des enseignants et des élèves] et ; iii) aux difficultés des employeurs pour trouver des individus dont les compétences sont en adéquation avec le marché du travail.

Auteurs

Amira Kazem

Chargée d’opérations senior au sein du pôle mondial d’expertise en Éducation

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