Le chômage ne se résume pas au simple fait de ne pas avoir d’emploi. Il entraîne dans son sillage tout un ensemble de difficultés annexes, et peut avoir des conséquences sociales à grande échelle. Ces difficultés touchent particulièrement les jeunes qui ont du mal à avoir un emploi stable et peu de perspectives de trouver un travail permanent. Or, l’emploi constitue un élément important de l’identité sociale, et les jeunes qui en sont privés courent le risque de partir à la dérive. Certains finissent par se sentir exclus et marginalisés, ce qui peut les rendre plus réceptifs aux idées radicales, qu’elles soient politiques, religieuses ou autres.
Les crises économiques du siècle passé ont montré que la progression du chômage et de l’insécurité a tendance à s’accompagner d’une montée en puissance de courants idéologiques, politiques et religieux plus radicaux. Dans un environnement fragilisé, il arrive que la pénurie d’emplois alimente un cercle vicieux dans lequel l’amertume suscitée par un horizon bouché peut engendrer des troubles sociaux, comme des émeutes, ce qui érode la confiance des entreprises et fait fuir l’investissement, attisant ainsi le mécontentement et les émeutes, et ainsi de suite.
On peut lier la récente recrudescence de l’instabilité sociale observée au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) à l’énorme problème d’emploi dans cette région, les conséquences sociales du dysfonctionnement des marchés du travail contribuant indirectement aux troubles actuels.
En attente d’un emploi
Par rapport à ce que l’on observe dans d’autres régions, dans les pays de la région MENA, les actifs sont moins nombreux à avoir un emploi stable. Moins d’un cinquième de la population en âge de travailler y occupe en effet un emploi dans le secteur formel, privé ou public. Les emplois formels disponibles sont très demandés, surtout dans le secteur public, car ils sont souvent bien rémunérés et assortis d’avantages sociaux généreux. Toutefois, ces emplois ne sont pas pourvus selon une procédure de mise en concurrence équitable, mais sont généralement attribués aux candidats qui ont de bonnes relations, plutôt que les compétences et les qualifications requises. En outre, ceux qui sont à la recherche d’un emploi préfèrent généralement attendre d’en trouver un dans la fonction publique, ce qui prive le secteur privé de talents et d’énergies non négligeables.
Avec plus de 80 % de la population en âge de travailler qui n’a pas d’emploi formel, la région MENA constitue un cas unique. Près de la moitié de ces personnes soit ne travaillent pas, soit ne cherchent pas activement un emploi et restent en dehors de la population active. Environ une personne sur quinze est officiellement à la recherche d’un emploi et considérée comme un chômeur. Dans cette catégorie, on dénombre un pourcentage élevé de jeunes. Les autres, à savoir environ un quart de la population en âge de travailler, ont un emploi informel sans contrat ni la moindre forme de protection sociale.
Pas d’espoir de paix sans emploi
Des économistes ont observé que l’emploi n’est pas seulement vital pour le développement économique, la lutte contre la pauvreté et l’amélioration du niveau de vie, mais aussi pour la cohésion et la stabilité sociales. C’est d’ailleurs l’un des thèmes développés dans le Rapport sur le développement dans le monde 2013. Au-delà de ses bienfaits directs pour les salariés et les employeurs, l’emploi joue donc un rôle social primordial. Si la logique du marché ne facilite pas directement ce rôle social, la fonction de l’État dans la promotion de l’emploi fait actuellement l’objet de débats animés. Malheureusement, les subventions à l’énergie et aux investissements permettant d’économiser de la main-d’œuvre, la réglementation stricte du marché du travail et une protection de l’emploi mal conçue, comme c’est le cas dans toute la région MENA, ont tendance à aller à l’encontre de la création d’emplois.
En quête de solutions
S’ils veulent favoriser la prospérité et la stabilité, les pays de la région MENA doivent développer l’emploi. Dans le secteur privé, la création d’emplois passe par l’adoption et la mise en œuvre effective d’une législation et d’une réglementation qui facilitent la création d’entreprises, l’obtention de financements, la concurrence sur le marché, mais aussi l’embauche et la gestion des salariés. Aujourd’hui, des ressources publiques considérables servent à financer les avantages sociaux excessifs consentis à la fonction publique et les subventions des prix de l’énergie. Il serait plus judicieux d’utiliser ces fonds pour mettre en place des systèmes de protection sociale ciblés, dont des filets de sécurité fondés sur les besoins, des programmes de qualification, ainsi que des services de placement qui orientent les candidats disposant de compétences spécifiques sur les emplois vacants leur correspondant. Une telle politique bénéficierait à un pan bien plus important de la population, et serait adaptée à la stratégie de développement économique, aux objectifs sociaux et aux besoins du marché de chaque pays.
À son tour, un système de protection sociale et d’emploi efficace permet de réformer la législation et la réglementation du travail afin d’en atténuer les lourdeurs. Au lieu de renforcer les privilèges de la minorité d’actifs qui ont la chance d’avoir un emploi formel, ce que fait immanquablement le droit du travail actuel, le cadre législatif et réglementaire pourrait offrir davantage de flexibilité aux employeurs comme aux salariés. Il serait alors plus facile pour les employeurs de créer des emplois, et pour l’État de préserver le revenu des travailleurs qui perdent temporairement le leur.
Dans le cadre des efforts déployés par nombre de pays de la région MENA pour instaurer un nouveau contrat social, les parties prenantes doivent prendre acte de tous les bienfaits sociaux qui sont associés à l’emploi. Dans cet esprit, par exemple, les syndicats ne devraient pas seulement s’attacher à protéger les acquis de ceux qui ont déjà un emploi, mais aussi à défendre les droits et les aspirations de ceux qui en cherchent un, y compris les jeunes femmes et les jeunes diplômés, deux catégories aujourd’hui largement tenues à l’écart des opportunités professionnelles. Les employeurs pourraient coopérer avec les écoles et autres établissements pédagogiques afin de former non seulement de meilleurs salariés, mais aussi des entrepreneurs, et les étudiants comme leurs parents pourraient exiger une éducation plus pertinente et de meilleure qualité.
Les pays de la région MENA doivent s’employer à améliorer cet écosystème qu’est l’emploi ; il en va de l’avenir des nombreux demandeurs d’emploi et de la stabilité des sociétés.
Cet article appartient à une série de billets hebdomadaires qui visent à alimenter votre réflexion sur les questions essentielles soulevées dans notre rapport phare sur l’emploi dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Dans la perspective des prochaines Assemblées annuelles de la Banque mondiale qui se tiendront en octobre, le fil rouge et l’ambition de ces billets sont de nourrir une discussion qui réponde à la question « Que souhaiteriez-vous dire à votre ministre des Finances ? ».
Les points clés du rapport et le bilan d'un chat en ligne sur l’emploi seront présentés aux décideurs politiques de la région MENA. Nous voulons savoir ce que VOUS pensez : à quelles entraves la population se heurte-t-elle ? Que faire pour créer des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité dans la région MENA ? Vous avez fait partagé votre opinion durant le chat en ligne sur l'emploi, le 17 septembre en anglais et en arabe et le 26 septembre en français. Revivez la discussion.
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