Ce billet a fait l’objet d’une première publication dans Future Development.
Les événements tragiques survenus en Méditerranée, que des milliers de demandeurs d’asile tentent de franchir au péril de leur vie, rappellent au monde entier que ce phénomène sans précédent de migrations sera l’un des enjeux du 21 e siècle. « Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’y a eu autant de migrants et de réfugiés », indique Leonard Doyle, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Selon les estimations, il y aurait eu 16,7 millions de réfugiés et 34 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays à fin 2013. Les conflits en Iraq, en Syrie, au Liban et au Yémen ont donné lieu à environ 15 millions de réfugiés, un chiffre qui s’accroît quotidiennement. En quelques semaines, le conflit au Yémen a chassé 150 000 personnes de chez elles tandis qu’en Iraq, 114 000 personnes ont fui la ville de Ramadi pour rejoindre les quelque 3 millions de réfugiés et de déplacés que compte le pays.
La plupart de ces personnes cherchent un refuge dans leur propre pays ou dans un pays voisin. Mais du fait des conflits et d’une conjoncture économique difficile, sans parler de l’environnement politique et social, ils ont aussi tendance, surtout s’ils sont ressortissants de pays d’Afrique et du Moyen-Orient, à tenter leur chance dans un pays développé. Et ils sont de plus en plus nombreux à le faire, au péril de leur vie. Le HCR estime qu’en 2014, les 44 pays « industrialisés » de la planète ont reçu 866 000 demandes d’asile, soit 270 000 de plus qu’en 2013. Étant donné le nombre de personnes qui tentent, légalement ou non, de trouver refuge dans des pays plus ou moins accueillants pour bénéficier d’une vie meilleure, ce chiffre sous-estime fortement la réalité. L’Allemagne détient le record des demandes en 2014 (173 100), devant les États-Unis (121 200), la Turquie (87 800), la Suède (75 100) et l’Italie (63 700).
Selon le HCR, l’Europe a été la destination la plus recherchée en 2014 (714 300 demandes), en hausse par rapport à 2013 (485 000). Les États membres de l’Union européenne (UE) représentent 80 % des dossiers, contre 44 % en 2013. Du côté des pays d’origine, le palmarès en volume (par ordre décroissant) réunit la Syrie, l’Iraq, l’Afghanistan, le Kosovo et l’Érythrée. À eux seuls, la Syrie et l’Iraq constituent 30,1 % de toutes les demandes d’asile dans l’UE. Bon nombre de réfugiés ne déposent pas immédiatement de dossier au premier point d’entrée. La plupart des demandeurs arrivant en Europe du Sud et dans les Balkans préfèrent attendre d’avoir rejoint un pays du Nord pour le faire, les conditions d’accueil, notamment financières, étant meilleures.
D’autres ne feront probablement jamais la démarche, faute d’avoir les papiers requis ou craignant de se voir refoulés. Ils vont alors se fondre dans la masse des travailleurs informels pour tenter de se reconstruire. Les chances de bénéficier du droit d’asile varient fortement d’un pays à l’autre. Au Royaume-Uni, 36 % des demandeurs répertoriés en 2013 ont reçu une décision initiale positive. Mais il existe des dispositifs pour faire appel et divers autres moyens pour rester dans le pays, licitement ou non, de sorte que seulement 24 % de la cohorte de 2013 ont été renvoyés chez eux ou ont profité des mesures de rapatriement volontaire. Au niveau de l’UE, le taux moyen d’acceptation a été de 25 % en 2013, Malte (72 %) et l’Italie (62 %) arrivant en tête du classement. À elles quatre, l’Allemagne, l’Italie, la France et la Suède ont représenté plus des deux tiers des demandes d’asile cette année-là.
Si les Syriens constituent le gros des demandeurs d’asile en 2014, leur nombre (149 600) est faible comparé à leurs compatriotes ayant cherché refuge dans un pays voisin (4 millions) et ayant été déplacés dans leur propre pays (8 millions). Pourtant, le nombre de demandeurs d’asile syriens ne cesse d’augmenter, comme celui des demandeurs d’asile iraquiens puisque, dans ce dernier cas, leur chiffre a plus que doublé entre 2013 et 2014, de 37 300 à 68 700 dossiers. La Turquie a enregistré 50 500 demandes de ressortissants iraquiens en 2014, soit 74 % du total. Mais comparé au nombre de Syriens et d’Iraquiens vivant dans des pays voisins (Jordanie, Liban et Turquie), l’Europe et des pays comme les États-Unis ou l’Australie notamment, n’ont en général guère ouvert leurs frontières à ces réfugiés.
De toute évidence, les initiatives de l’UE pour gérer les flux en provenance du Sud et de l’Est de la Méditerranée vont continuer de reposer sur des barrières et une politique de la porte fermée, ce qui ne fait que déplacer le problème. Une politique d’immigration raisonnée finira probablement par voir le jour, le HCR appelant à un renforcement des opérations de recherche et de sauvetage et des voies légales (programmes de réinstallation, visas humanitaires, regroupement familial). Mais l’UE devra aussi entamer des discussions avec les autorités de Tripoli, qui contrôlent les ports de départ mais auxquelles elle ne reconnaît pas d’existence officielle. Une stratégie devra également être conçue pour répartir plus équitablement entre tous les pays de l’UE la charge que constituent les demandeurs d’asile, prévoyant éventuellement l’ouverture de camps de transit en Afrique du Nord et ailleurs. Elle devra aussi s’atteler à la question des passeurs qui profitent des failles des dispositions actuelles pour s’enrichir.
Ce qui se passe aux portes de l’Europe n’est que l’une des manifestations de la crise, bien plus vaste, qui se joue ailleurs dans le monde. Nous devons par tous les moyens nous saisir de cette tragédie pour mettre fin aux drames qui se sont déroulés récemment en Méditerranée. Nous devons aussi admettre que la situation s’aggrave partout dans le monde, à cause des conflits au Moyen-Orient et ailleurs, et que cela se traduit quotidiennement par des morts, des blessés et de nouveaux déplacés. La fermeture des frontières a des vertus, mais extrêmement limitées. La présence de réfugiés est une source de déstabilisation pour des sociétés et des régions entières, même des décennies après la fin du drame à l’origine de leur fuite. Le moment est sans doute venu d’envisager une réponse mondiale, à l’instar de ce que nous faisons face aux défis environnementaux ou aux pandémies. Sinon, la question des réfugiés pourrait bien fragiliser un ordre mondial déjà chancelant.
Les événements tragiques survenus en Méditerranée, que des milliers de demandeurs d’asile tentent de franchir au péril de leur vie, rappellent au monde entier que ce phénomène sans précédent de migrations sera l’un des enjeux du 21 e siècle. « Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’y a eu autant de migrants et de réfugiés », indique Leonard Doyle, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Selon les estimations, il y aurait eu 16,7 millions de réfugiés et 34 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays à fin 2013. Les conflits en Iraq, en Syrie, au Liban et au Yémen ont donné lieu à environ 15 millions de réfugiés, un chiffre qui s’accroît quotidiennement. En quelques semaines, le conflit au Yémen a chassé 150 000 personnes de chez elles tandis qu’en Iraq, 114 000 personnes ont fui la ville de Ramadi pour rejoindre les quelque 3 millions de réfugiés et de déplacés que compte le pays.
La plupart de ces personnes cherchent un refuge dans leur propre pays ou dans un pays voisin. Mais du fait des conflits et d’une conjoncture économique difficile, sans parler de l’environnement politique et social, ils ont aussi tendance, surtout s’ils sont ressortissants de pays d’Afrique et du Moyen-Orient, à tenter leur chance dans un pays développé. Et ils sont de plus en plus nombreux à le faire, au péril de leur vie. Le HCR estime qu’en 2014, les 44 pays « industrialisés » de la planète ont reçu 866 000 demandes d’asile, soit 270 000 de plus qu’en 2013. Étant donné le nombre de personnes qui tentent, légalement ou non, de trouver refuge dans des pays plus ou moins accueillants pour bénéficier d’une vie meilleure, ce chiffre sous-estime fortement la réalité. L’Allemagne détient le record des demandes en 2014 (173 100), devant les États-Unis (121 200), la Turquie (87 800), la Suède (75 100) et l’Italie (63 700).
Selon le HCR, l’Europe a été la destination la plus recherchée en 2014 (714 300 demandes), en hausse par rapport à 2013 (485 000). Les États membres de l’Union européenne (UE) représentent 80 % des dossiers, contre 44 % en 2013. Du côté des pays d’origine, le palmarès en volume (par ordre décroissant) réunit la Syrie, l’Iraq, l’Afghanistan, le Kosovo et l’Érythrée. À eux seuls, la Syrie et l’Iraq constituent 30,1 % de toutes les demandes d’asile dans l’UE. Bon nombre de réfugiés ne déposent pas immédiatement de dossier au premier point d’entrée. La plupart des demandeurs arrivant en Europe du Sud et dans les Balkans préfèrent attendre d’avoir rejoint un pays du Nord pour le faire, les conditions d’accueil, notamment financières, étant meilleures.
D’autres ne feront probablement jamais la démarche, faute d’avoir les papiers requis ou craignant de se voir refoulés. Ils vont alors se fondre dans la masse des travailleurs informels pour tenter de se reconstruire. Les chances de bénéficier du droit d’asile varient fortement d’un pays à l’autre. Au Royaume-Uni, 36 % des demandeurs répertoriés en 2013 ont reçu une décision initiale positive. Mais il existe des dispositifs pour faire appel et divers autres moyens pour rester dans le pays, licitement ou non, de sorte que seulement 24 % de la cohorte de 2013 ont été renvoyés chez eux ou ont profité des mesures de rapatriement volontaire. Au niveau de l’UE, le taux moyen d’acceptation a été de 25 % en 2013, Malte (72 %) et l’Italie (62 %) arrivant en tête du classement. À elles quatre, l’Allemagne, l’Italie, la France et la Suède ont représenté plus des deux tiers des demandes d’asile cette année-là.
Si les Syriens constituent le gros des demandeurs d’asile en 2014, leur nombre (149 600) est faible comparé à leurs compatriotes ayant cherché refuge dans un pays voisin (4 millions) et ayant été déplacés dans leur propre pays (8 millions). Pourtant, le nombre de demandeurs d’asile syriens ne cesse d’augmenter, comme celui des demandeurs d’asile iraquiens puisque, dans ce dernier cas, leur chiffre a plus que doublé entre 2013 et 2014, de 37 300 à 68 700 dossiers. La Turquie a enregistré 50 500 demandes de ressortissants iraquiens en 2014, soit 74 % du total. Mais comparé au nombre de Syriens et d’Iraquiens vivant dans des pays voisins (Jordanie, Liban et Turquie), l’Europe et des pays comme les États-Unis ou l’Australie notamment, n’ont en général guère ouvert leurs frontières à ces réfugiés.
De toute évidence, les initiatives de l’UE pour gérer les flux en provenance du Sud et de l’Est de la Méditerranée vont continuer de reposer sur des barrières et une politique de la porte fermée, ce qui ne fait que déplacer le problème. Une politique d’immigration raisonnée finira probablement par voir le jour, le HCR appelant à un renforcement des opérations de recherche et de sauvetage et des voies légales (programmes de réinstallation, visas humanitaires, regroupement familial). Mais l’UE devra aussi entamer des discussions avec les autorités de Tripoli, qui contrôlent les ports de départ mais auxquelles elle ne reconnaît pas d’existence officielle. Une stratégie devra également être conçue pour répartir plus équitablement entre tous les pays de l’UE la charge que constituent les demandeurs d’asile, prévoyant éventuellement l’ouverture de camps de transit en Afrique du Nord et ailleurs. Elle devra aussi s’atteler à la question des passeurs qui profitent des failles des dispositions actuelles pour s’enrichir.
Ce qui se passe aux portes de l’Europe n’est que l’une des manifestations de la crise, bien plus vaste, qui se joue ailleurs dans le monde. Nous devons par tous les moyens nous saisir de cette tragédie pour mettre fin aux drames qui se sont déroulés récemment en Méditerranée. Nous devons aussi admettre que la situation s’aggrave partout dans le monde, à cause des conflits au Moyen-Orient et ailleurs, et que cela se traduit quotidiennement par des morts, des blessés et de nouveaux déplacés. La fermeture des frontières a des vertus, mais extrêmement limitées. La présence de réfugiés est une source de déstabilisation pour des sociétés et des régions entières, même des décennies après la fin du drame à l’origine de leur fuite. Le moment est sans doute venu d’envisager une réponse mondiale, à l’instar de ce que nous faisons face aux défis environnementaux ou aux pandémies. Sinon, la question des réfugiés pourrait bien fragiliser un ordre mondial déjà chancelant.
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