- Une jeune femme lors de la Conférence de dialogue national, mars 2013, Sanaa, Yémen
Les Yéménites figurent parmi les femmes les plus déterminées que j'ai jamais rencontrées. Au milieu des conflits et des famines, la survie des familles a souvent reposé sur ces femmes que la pauvreté frappe avec une virulence extrême mais qui ne baissent pourtant pas les bras. Les Yéménites tiennent bon et, imperturbables, elles arborent la fierté qu’elles ont de leur culture et l’amour qu’elles vouent à leur magnifique pays. Malgré ce que je savais d'elles, les images des manifestations qui ont fait trembler Sanaa en 2011 m’ont impressionnée.
Au plus fort de la bataille, au cœur de la capitale, on pouvait voir les femmes yéménites protester ouvertement, et aux côtés des hommes, sur ce qui allait devenir la « Place du changement ». Les nombreuses tentatives pour empêcher ces femmes de prendre part aux manifestations ont toutes échoué devant leur résistance. Certaines d’entre elles ont même assumé un rôle de premier plan lors de la révolution, tandis que d'autres défilaient dans les rues ou contribuaient à l'organisation et au fonctionnement d'un « hôpital de campagne » pour les manifestants blessés.
Parmi les nombreuses vidéos qui ont essaimé sur la Toile et permis au reste du monde de pouvoir suivre les événements au Yémen, je retiens le témoignage d’une manifestante lors du « vendredi de la colère », le 18 février 2011 — des milliers de Yéménites étaient alors descendus dans les rues des principales villes du pays : « Les femmes risquent tout pour mettre fin à ce régime répressif. Aujourd’hui, nous avons le sentiment qu’hommes et femmes se retrouvent unis. Nous nous mobilisons avant tout en tant que Yéménites, la question de notre sexe est secondaire. »
Pour bien comprendre l’importance du rôle des femmes et l’adversité qu’elles ont dû vaincre, il est nécessaire de comprendre ce que signifie naître femme dans ce pays. L'illettrisme touche 70 % de la population féminine, un taux deux fois supérieur à celui des hommes. Huit femmes en moyenne meurent chaque jour du manque de soins de santé. Il n’y a pas d’âge minimum légal pour le mariage. Quand on marie des fillettes de 10 ans, les grossesses précoces aggravent les risques de mortalité maternelle. Enfin, alors que les femmes yéménites élèvent et nourrissent les enfants, qu’elles s’occupent du ménage et font paître moutons et bétail, seuls 7 % d'entre elles perçoivent un salaire.
Dans un pays où la liberté de mouvement des femmes est prescrite par un ensemble de règles et de restrictions, la révolution a créé une opportunité exceptionnelle de pouvoir remédier aux disparités entre les hommes et les femmes, celles-ci constituant l’un des principaux facteurs du sous-développement chronique du pays.
Depuis la chute de la dictature, incarnée par l’inamovible Ali Abdallah Saleh, le Yémen vit une transition historique : les citoyens débattent aujourd’hui d’une nouvelle Constitution dans le cadre d’un dialogue national. La participation de tous à ce processus déterminera la réussite et le développement à long terme du pays.
Qu’elles soient laïques ou islamistes, les femmes ont affiché une même détermination lors de la révolution. Elles s’y sont impliquées comme citoyennes et pour le bien à long terme de la nation tout entière. Les bonnes raisons socio-économiques ne manquent pas qui plaident en faveur de l’inclusion civique, politique et économique des femmes, notamment une productivité considérablement accrue à mesure que l'inégalité entre les sexes se réduit, si l’on en croit le Rapport sur le développement dans le monde 2012 consacré à l’égalité des genres.
La semaine dernière, une conférence consacrée à la place des femmes dans la fondation de l’État s’est déroulée au siège de la Banque mondiale, à Washington. Elle avait pour but de guider la réforme constitutionnelle au Yémen à partir des contextes locaux et des enseignements tirés d’autres expériences dans le monde. Des praticiens et des responsables politiques de diverses régions y ont débattu de la manière dont un pays pouvait garantir une réforme à long terme du droit des femmes, en période d’instabilité politique et économique. Par exemple, lors du difficile processus de transition qui a suivi le génocide de 2004, le Rwanda a compris très tôt que, pour pouvoir aller de l’avant, le pays devait intégrer pleinement les femmes au système de gouvernance. Les intervenants ont également insisté sur le laps de temps crucial qui précède la rédaction d’une Constitution, lors duquel les questions essentielles doivent être abordées.
Amat Al Alim Alsoswa, membre de la Conférence du dialogue national, a précisé que 161 représentantes yéménites prennent actuellement part au dialogue national, un chiffre exceptionnellement élevé pour le pays. Jamal Benomar, conseiller spécial sur le Yémen auprès du secrétaire général des Nations Unies, a pour sa part mis l’accent sur la nécessité de faire participer des catégories diverses (politiques, tribales et régionales des deux sexes) pour veiller au sérieux des échanges. À ce stade, le dialogue national a permis de réunir ces différentes parties autour d’une même table pour qu’elles se parlent, malgré les divisions du pays.
« Ce processus est unique », a-t-il ajouté. « Dans le monde arabe, c’est le seul exemple de transition politique, participative, négociée et transparente. »
Reste à savoir si l’accès des femmes et leur participation à la vie politique, civique et économique s’élargiront au fil du temps. Selon Houriah Mashhour, ministre des Droits de l’homme du Yémen, un fait est certain : « rien ni personne ne peut les [les femmes] marginaliser aujourd’hui ; elles sont en marche. »
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