Publié sur Voix Arabes

Le Liban et la corruption : adieu les tabous ? Finis les intouchables ?

BeirutFléau national longtemps tabou, la corruption semble avoir droit aux feux de la rampe et occupe désormais tout l’espace public au Liban. Les acteurs de la scène politique observent avec stupeur la course de vitesse dans laquelle se sont lancés les ministres pour prouver à quel point ils ont à cœur de lutter contre ces pratiques « innommables ». Ils font feu de tout bois, n’hésitant pas, avec une ardeur souvent discutable, à désigner à la vindicte publique les présumés criminels.
 
Tout y passe, depuis les importateurs de denrées alimentaires et propriétaires de restaurants aux douanes, en passant par les médicaments, les hôpitaux, les écoles et bon nombre d’autres entités publiques et privées. Une campagne anti-corruption sans précédent a en effet révélé l’immensité des périls menaçant la santé et le portefeuille des Libanais. À son lancement, l’an dernier, la population était plutôt sceptique quant à l’efficacité d’une telle répression, en quelque sorte immunisée par des années de pratiques illégales. Beaucoup craignaient qu’il ne s’agisse d’une énième manœuvre du gouvernement pour rallier des soutiens dans un climat politique tendu et hostile. Quant aux contrevenants, ils ont cru qu’en faisant profil bas, ils parviendraient à tirer leur épingle du jeu. Ils avaient tort, apparemment… mais pour combien de temps ?
 
Pas un jour pratiquement ne passe sans la publication de nouvelles listes de délinquants. Certains des prestataires de services les plus connus du pays et, surtout, des personnalités influentes jugées un temps intouchables grâce à leurs relations politiques, se retrouvent sur la sellette.
 
« Le Liban découvre le pire visage de la corruption, à savoir la corruption politique », a déclaré le ministre des Finances Ali Hassan Khalil lors d’une conférence récente. Cette déclaration fracassante et la conférence elle-même — où la question de la corruption a été ouvertement abordée sous tous ses aspects — ont permis de briser un vieux tabou dans un pays qui se targue de respecter les principes de liberté, égalité et développement paritaire.
 
Le titre de cette conférence organisée le 18 mars dernier, « Lutter contre la corruption dans les actes et non dans les discours », ne laissait guère présager ce que le public, ni d’ailleurs les participants, allaient entendre, notamment ces autocritiques sans fard et sans concession venant de tout l’échiquier politique.
 
« Nous vivons dans un régime qui permet à chacun de se livrer à la corruption, à tous les niveaux, et de bénéficier d’une protection politique de la part des institutions (gouvernementales) ou à l’extérieur des cercles du pouvoir », a affirmé le ministre des Finances. La campagne pour éradiquer les moindres poches de corruption ne fera pas machine arrière, a-t-il ajouté, même s’il ne s’agit que d’une première étape modeste par rapport à l’indispensable réforme politique globale à engager.
 
Les Libanais sont réputés pour leur cynisme, véritable sport national. Pourtant, certains panélistes éminents, qui tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme, sont sortis de cette journée de conférence en ayant le sentiment qu’enfin, la réforme était sur les bons rails. N’oublions pas que le Liban a encore régressé dans l’indice de perception de la corruption établi par Transparency International, se situant au 136 e rang sur 175 pays en 2014.
 
De fait, la corruption dans le secteur public et le secteur privé s’y est répandue sous de multiples formes et de manière éhontée. Pendant des années pourtant, le sujet était tabou. Comme le rappelait le ministre, « on en discutait à mots couverts en privé, mais on ne l’évoquait jamais en public ». Eh bien, aujourd’hui, tout le monde en parle ouvertement.
 
Le Liban n’est pas le seul pays à vouloir lutter contre tout ce qui relève de la corruption : détournements de fonds publics et privés, absence de transparence et de responsabilité ou fréquence des pots-de-vin et des monopoles. Mais il sort du lot parce que, pendant les années de vacance du pouvoir, tous ces comportements répréhensibles se sont banalisés, dans le public comme dans le privé.
 
Bien sûr, les défis politiques, économiques et sociaux du pays sont gigantesques. Certains tiennent à sa configuration politique et confessionnelle unique et d’autres aux retombées de l’insécurité régionale. Mais le moment est venu de consentir quelques sacrifices personnels, politiques et religieux pour éviter au Liban de sombrer dans le gouffre des États faillis.
 
Le pays possède un potentiel exceptionnel, de par son capital humain, le dynamisme de son secteur privé, le niveau d’instruction de sa population, la qualité de ses services de santé et la richesse de sa culture. Les graves malversations qui effraient les investisseurs, déstabilisent l’économie et poussent les jeunes à émigrer en masse en quête d’emplois de qualité, qu’ils peuvent décrocher au mérite et non en vertu de leur influence ou de leur carnet d’adresses, ne doivent pas occulter tous ces atouts.
 
Bien sûr, tous les malheurs du Liban ne disparaîtront pas comme par magie. Car indépendamment de ses fondements politiques et de ses motivations intéressées, le gouvernement doit commencer quelque part — d’où cette campagne pour juguler les comportements illicites — et montrer qu’il assume son rôle avec détermination.
 
Le Groupe de la Banque mondiale soutient depuis longtemps le Liban, par son aide technique et financière, et entend bien continuer. La transparence, l’éthique contraignante et les clauses de sauvegarde auxquelles sont soumis les projets de l’institution pourraient bien servir de microcosme pour observer la manière dont les dirigeants du pays vont mener leur barque et permettre au Liban d’atteindre le statut économique et social qu’il mérite.

Auteurs

Ferid Belhaj

Vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord

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