Publié sur Voix Arabes

Réfugiés et communautés d’accueil à Djibouti : l’espoir, envers et contre tout

Courtesy of Benjamin BurckhartEn août dernier, l’équipe de la Banque mondiale dont je fais partie s’est rendue à Djibouti dans le but d’aider les pays de la Corne de l’Afrique à affronter le défi que représentent les déplacements forcés. Le rapport Forced Displacement and Mixed Migration in the Horn of Africa (a) avait donné une idée très précise de l’ampleur du phénomène. Et les autorités de Djibouti, d’Éthiopie et d’Ouganda avaient manifesté leur volonté de trouver des solutions à une situation qui s’éternise sur leurs territoires respectifs. Le moment était donc largement venu de passer à l’action…
 
Jusque-là, l’évocation des camps de réfugiés et des communautés d’accueil faisait naître chez moi un sentiment profond d’impuissance face au sort de ces populations plongées dans la pauvreté, la faim et la désolation. Sans diminuer en rien la souffrance et les bouleversements provoqués par les déplacements forcés, ce que j’ai vu à Djibouti m’a prouvé que tout n’était pas perdu : certaines communautés font preuve de résilience et conservent l’espoir en un avenir meilleur.

Depuis des années, Djibouti abrite, en plus de ses quelque 900 000 habitants, plus de 15 300 réfugiés . Somaliens pour la plupart, ils sont regroupés dans les camps d’Ali-Addeh et de Holl-Holl. Sur place, j’ai été particulièrement frappé par la situation des communautés environnantes : cela fait 20 ans qu’elles accueillent ces exilés alors qu’elles manquent de tout (nourriture, services sociaux essentiels et emplois), que l’approvisionnement en eau et en bois de feu est un combat quotidien et que leurs seuls actifs sont de maigres troupeaux. La situation des réfugiés ne vaut guère mieux.

À Obock, une ville portuaire située à quelques encablures du Yémen, le déferlement de nouveaux arrivants est continu  depuis que ce pays est en crise. En mai 2016 (a), les autorités djiboutiennes ont accordé le statut de réfugiés à 6 260 Yéménites  dont la plupart vivent désormais dans le camp de Markazi, les autres ayant été répartis à Obock et dans la capitale de Djibouti. À ces flux s’ajoutent les quelque 35 500 ressortissants étrangers arrivés depuis peu : si 56 % d’entre eux sont Yéménites, 38 % sont des migrants en transit et 6 % des Djiboutiens de retour au pays. Je me disais qu’Obock serait particulièrement touchée, étant donné l’impact de la crise yéménite depuis plusieurs années : on sait que, dans l’espoir d’atteindre le Moyen-Orient et l’Europe et de se ménager ainsi un avenir meilleur, plus de 100 000 migrants de la Corne de l’Afrique transitent chaque année par cette ville.

Notre mission sur place a débuté par une visite des camps d’Ali-Addeh et Holl-Holl, à quelques heures de la capitale. Outre les flux de réfugiés, la région subit de plein fouet les assauts du changement climatique : six années de sécheresse consécutives ont placé les communautés locales dans une situation catastrophique, puisque leurs troupeaux de chameaux et de chèvres ont été largement décimés. Pour survivre, réfugiés et autochtones doivent compter sur des sources de revenu aléatoires, comme la vente de charbon et de bois, ou renoncer à l’agriculture pour travailler comme domestiques, quand ils ne dépendent pas tout simplement de cadeaux ou de transferts des migrants. Les réfugiés d’Ali-Addeh, arrivés là il y a plus de 20 ans, sont résignés à passer encore de nombreuses années dans ce camp.

Les réfugiés yéménites tout juste installés dans le nouveau camp de tentes de Markazi ne sont pas du tout dans le même état d’esprit : le traumatisme du départ est encore palpable même si l’espoir qu’il s’agisse d’une situation temporaire perce toujours, chacun se disant qu’il pourra bientôt rentrer dans sa région d’origine. Difficile pourtant de ne pas éprouver de la détresse malgré cet optimisme. Qui pourrait rester insensible aux drames vécus par tous ces individus contraints d’abandonner leur foyer et leur métier à cause du conflit ? Mais les échanges que nous avons pu avoir avec certains autochtones, à Obock, se sont révélés aussi inattendus que positifs et passionnants. Voyez Youssif. Ce pêcheur a constaté combien certains Yéménites étaient doués pour la pêche ou l’agriculture. Et même si leur présence exerce un poids considérable sur les maigres ressources collectives, le fait de travailler avec eux et de bénéficier de leurs connaissances profite à tout le monde.
 
Sans le savoir, Youssif corrobore ainsi les conclusions d’un récent forum consacré aux nouvelles approches face aux déplacements forcés et de longue durée (a), organisé à Wilton Park, au Royaume-Uni, en avril dernier. L’un des « principes de Wilton Park » affirme que « les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays apportent à leurs communautés d’accueil ténacité, connaissances, compétences et aptitudes. Ils ne doivent pas être considérés comme des bénéficiaires passifs de l’aide humanitaire mais plutôt comme des agents dotés du capital humain requis pour bâtir leur avenir et participer au développement et à la croissance de leur pays. »
 
Nous avons à présent achevé la phase préparatoire d’un projet qui vise à aider les pays de la région à affronter les défis durables des déplacements forcés, en mettant l’accent sur l’amélioration de l’accès aux services sociaux essentiels, l’élargissement des débouchés économiques et le renforcement des capacités à résister aux assauts climatiques dans les communautés d’accueil à Djibouti, en Éthiopie et en Ouganda. Les deux principaux bénéficiaires de cette opération seront les réfugiés et les populations autochtones les plus éprouvées par cet afflux de population.
 
En travaillant ainsi sur les déplacements forcés, j’ai réalisé l’importance de faire preuve d’un optimisme prudent vis-à-vis de solutions a priori durables. À l’inverse des habitants des camps de réfugiés d’Ali-Addeh et de Holl-Holl, partis depuis trop longtemps de chez eux pour conserver un quelconque espoir de retour, les personnes rencontrées à Markazi aspirent à rentrer chez elles. Je souhaite de tout mon cœur qu’elles y parviennent.
 

Auteurs

Benjamin Burckhart

Spécialiste en développement social à la Banque mondiale.

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