Parfois, de simples réformes produisent de grands résultats.
Nous travaillons au sein d’une institution qui place la lutte contre le changement climatique au cœur de son mandat, en même temps qu’elle s’emploie à mettre fin à l’extrême pauvreté et à œuvrer au développement équitable dans ses pays clients. Dans son Plan d’action sur le changement climatique 2021-2025 (a), le Groupe de la Banque mondiale s’est engagé à consacrer plus de 35 % de ses financements aux mesures d’atténuation des émissions ou aux efforts d’adaptation.
Au Maroc, une réforme discrète contribue à cet objectif : la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics.
Dans ce pays, la commande publique représente 20 % du PIB et plus de 40 000 appels d’offres par an. Jusqu’à une date récente, tous les soumissionnaires devaient effectuer des démarches en personne à chaque étape de la procédure : se rendre au bureau local des marchés publics pour rassembler les documents d’appel d’offres, obtenir une garantie bancaire, soumettre une offre, prendre part à l’ouverture des plis, soumettre d’autres documents après notification de l’attribution du marché et signer le contrat.
Ces démarches nécessitaient un nombre important de déplacements (un total de 12 trajets routiers d’environ 60 km chacun, soit 720 km par soumissionnaire), entraînant d’importantes émissions de carbone, mais aussi une perte de temps et d’argent particulièrement dissuasive pour les PME. L’objectif visant à attribuer 30 % des appels d’offres publics aux PME, inscrit dans la loi marocaine, semblait difficile à atteindre. Pour y parvenir, l’un des leviers possibles pour les États est l’adoption d’une procédure numérisée qui facilite la participation des PME.
La Banque mondiale a donc soutenu, dans le cadre de son Programme d’appui budgétaire en faveur de l’inclusion financière et numérique (a), les réformes menées par le Maroc en vue de dématérialiser les procédures de commande publique, permettant ainsi aux entreprises d’y prendre part en ligne en effectuant toutes leurs démarches à distance. Le Maroc a entamé ce processus de numérisation avec le lancement en 2007 d’un portail offrant l’accès à un système d’appels d’offres, de soumissions et d’enchères inversées électroniques.
Cette transition s'est cependant heurtée à la défiance des entreprises et à un manque de maîtrise des procédures numériques. Au sein de la Trésorerie générale du Royaume, le passage aux soumissions électroniques a nécessité un vaste programme de gestion du changement et de renforcement des capacités pour promouvoir l’adoption de ce progrès technologique auprès des entreprises. En outre, sans le recours aux soumissions électroniques, il n’existait aucune statistique permettant d’établir que les PME bénéficiaient effectivement des marchés publics. Entre 2020 et 2022, les autorités marocaines ont pris trois dispositions imposant i) à toutes les entités adjudicatrices publiques de publier le nombre et la valeur des contrats attribués aux PME ; ii) à tous les soumissionnaires de passer par le portail des marchés publics ; et iii) la numérisation des garanties bancaires.
La dématérialisation de la commande publique est ainsi respectueuse de l’environnement ; elle peut stimuler la demande de produits et de services durables et créer un marché pour diverses solutions « vertes ». En rendant obligatoires les soumissions électroniques, les acheteurs publics favorisent des pratiques commerciales durables et réduisent les émissions de carbone. Avant cette réforme, en décembre 2019, le pourcentage d’offres soumises par voie électronique s’élevait à 15 %. Il est passé à 68 % en juin 2022, le gouvernement visant les 100 % en août 2023.
Grâce à cette dématérialisation, les émissions de carbone ont nettement reculé, en dépit même de la hausse de la consommation d’énergie générée pour le traitement et le stockage des données. Au regard des 40 000 appels d’offres annuels et d’une moyenne de quatre soumissionnaires par appel d’offres, la réforme a réduit les trajets routiers des soumissionnaires de 22 à deux par appel d’offres, seule la signature du contrat exigeant le déplacement en personne du soumissionnaire retenu. À son achèvement, la réforme pourrait faire chuter la distance parcourue sur une année par la totalité des soumissionnaires de 86 000 à 6 000 km seulement, soit une baisse des émissions de CO2 de 84 %.
Prochaines étapes
Il faut toutefois des mesures supplémentaires pour passer de la dématérialisation au véritable verdissement des marchés publics, qui consiste à faire en sorte que l’administration publique réduise effectivement son empreinte carbone à travers non seulement ses processus d'achat mais aussi ses achats eux-mêmes. Le Maroc s’y emploie, avec le soutien de la Banque mondiale : une charte verte pour les marchés publics est en cours d’adoption, avec l’introduction de critères écologiques au sein de la plateforme des appels d’offres en ligne, afin que les entités publiques achètent des biens qui répondent à certaines normes environnementales.
Enfin, quid de l’objectif de favoriser les PME ? En juin 2022, seuls 11 % des marchés publics annuels avaient été attribués à des PME. Les délais de paiement constituent un obstacle majeur pour ces entreprises et, selon l’Observatoire des délais de paiement, l’État a réduit ceux-ci de 42 à 34 jours entre 2019 et 2022.
La dématérialisation des marchés publics contribue à l’atténuation du changement climatique, mais elle présente également d’autres avantages essentiels en ce qu’elle favorise la transparence, l’équité et la bonne gouvernance et qu’elle accroît la concurrence. En tirant parti des nouvelles technologies, la commande publique numérique renforce la responsabilisation des acteurs, prévient la corruption et encourage des pratiques durables.
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