En Tunisie, il existe une interpénétration remarquable entre secteur public et secteur privé, une dynamique d'entregent qui a donné lieu à l'apparition de « golden boys », comme j'aime à les appeler. Il semblerait que la Tunisie n'ait rien appris de ses erreurs : en fait, le pays risque de retomber dans ses travers passés, où une petite élite pillait les ressources de l'État pour s'enrichir aux dépends du reste de la population. Tout semble indiquer que le pays constitue de nouveau un terreau extrêmement fertile pour la corruption. Les erreurs qui ont été commises dans les années 70 pourraient bien être en passe de se répéter. Pour donner une image claire de la situation actuelle, il est sans doute utile de rappeler brièvement l'histoire récente du pays.
L'épisode de socialisme qu'a connu la Tunisie dans les années 70 a conduit à l'établissement d'un monopole d'État sur l'ensemble des moyens de production. Un peu plus tard, dans les années 80, le pays est revenu à un système économique libéral sous le gouvernement du Premier ministre Hedi Nouira. Au cours de cette transition du socialisme au libéralisme, la Tunisie a vu l'émergence d'une seconde génération d'hommes d'affaires prospères, connus sous le nom de « golden boys ».
La plupart des golden boys tunisiens étaient d'anciens responsables gouvernementaux qui avaient démissionné du secteur public pour se lancer dans les affaires. Lorsqu'ils évoluaient dans les sphères gouvernementales, ils avaient été informés du fait que la Tunisie allait revenir à une économie libérale. Par conséquent, alors que tout le monde vendait ses actifs par peur du socialisme, et que l'État confisquait les terres et les moyens de production, les golden boys se sont mis à acheter tout ce qu'ils pouvaient parce qu'ils savaient que le libéralisme économique allait être réinstitué sous peu.
Le gouvernement Nouira a jeté les fondations des grandes privatisations qu'a connues la Tunisie par la suite, transformant dans le même temps ses anciens responsables publics en golden boys pour les décennies à venir. Le monopole quasi total dont ces golden boys disposaient sur l'économie tunisienne a conduit à davantage de corruption, à l'élimination de toute forme de concurrence et à l'absence de nouveaux acteurs dans le domaine économique. Ils ont utilisé leurs propres réseaux au sein des administrations du pays pour influer sur les appels d'offres liés à la passation des marchés publics (le système par le biais duquel l'État gère les contrats qu'il passe avec des sociétés privées pour la fourniture de biens ou de services). Ainsi, comme l'État tunisien est le client le plus riche du pays, avec un tiers du budget national consacré aux marchés publics, ceux qui se débrouillent pour remporter ces appels d'offres s'assurent d'immenses profits.
Les choses ont-elles changé après la révolution de 2011 ? Les choses ont bien changé, mais sans doute pour le pire ! Après la révolution, alors que tout le monde s'attendait à ce que la corruption diminue, c'est l'inverse qui s'est produit. Le manque de volonté politique pour lutter contre la corruption ainsi que la non-conformité de la législation tunisienne vis-à-vis des conventions internationales ont créé un environnement propice pour que la corruption prospère. Le secteur public est ainsi devenu un monde gangréné par le népotisme et les conflits d'intérêt.
Si on ajoute à cela le manque de transparence dans la passation des marchés publics et la gestion des droits de propriété, l'absence d'un environnement équitable et propice à la concurrence, et l'influence croissance des groupes de pression et des chambres de commerce, la nouvelle génération de golden boys tunisiens est déjà bien partie pour se remplir les poches. Chaque jour, les groupes d'intérêts économiques voient leur influence grandir, et ce, d'une manière qui leur garantit un certain degré d'immunité. Après la révolution, les autorités de transition avaient établi une liste de plus de 400 hommes d'affaires tunisiens (dont une majorité de golden boys) auxquels il avait été interdit de sortir du pays et dont on disait qu'ils faisaient l'objet d'une enquête pour actes de corruption. Aujourd'hui, cette liste ne compte plus que 40 noms… Si la Tunisie veut parvenir à bâtir un nouveau système économique transparent, la première chose à faire est de mettre fin à la forme d'impunité qui permet aux présumés golden boys de faire retirer leur nom de cette liste sans aucune forme de procès ni qu'il leur soit demandé de rendre des comptes de manière publique.
Les opinions exprim ées dans cet article sont celles de l’auteur seul et ne reflètent pas nécéssairement le point de vue de la Banque mondiale.
L'épisode de socialisme qu'a connu la Tunisie dans les années 70 a conduit à l'établissement d'un monopole d'État sur l'ensemble des moyens de production. Un peu plus tard, dans les années 80, le pays est revenu à un système économique libéral sous le gouvernement du Premier ministre Hedi Nouira. Au cours de cette transition du socialisme au libéralisme, la Tunisie a vu l'émergence d'une seconde génération d'hommes d'affaires prospères, connus sous le nom de « golden boys ».
La plupart des golden boys tunisiens étaient d'anciens responsables gouvernementaux qui avaient démissionné du secteur public pour se lancer dans les affaires. Lorsqu'ils évoluaient dans les sphères gouvernementales, ils avaient été informés du fait que la Tunisie allait revenir à une économie libérale. Par conséquent, alors que tout le monde vendait ses actifs par peur du socialisme, et que l'État confisquait les terres et les moyens de production, les golden boys se sont mis à acheter tout ce qu'ils pouvaient parce qu'ils savaient que le libéralisme économique allait être réinstitué sous peu.
Le gouvernement Nouira a jeté les fondations des grandes privatisations qu'a connues la Tunisie par la suite, transformant dans le même temps ses anciens responsables publics en golden boys pour les décennies à venir. Le monopole quasi total dont ces golden boys disposaient sur l'économie tunisienne a conduit à davantage de corruption, à l'élimination de toute forme de concurrence et à l'absence de nouveaux acteurs dans le domaine économique. Ils ont utilisé leurs propres réseaux au sein des administrations du pays pour influer sur les appels d'offres liés à la passation des marchés publics (le système par le biais duquel l'État gère les contrats qu'il passe avec des sociétés privées pour la fourniture de biens ou de services). Ainsi, comme l'État tunisien est le client le plus riche du pays, avec un tiers du budget national consacré aux marchés publics, ceux qui se débrouillent pour remporter ces appels d'offres s'assurent d'immenses profits.
Les choses ont-elles changé après la révolution de 2011 ? Les choses ont bien changé, mais sans doute pour le pire ! Après la révolution, alors que tout le monde s'attendait à ce que la corruption diminue, c'est l'inverse qui s'est produit. Le manque de volonté politique pour lutter contre la corruption ainsi que la non-conformité de la législation tunisienne vis-à-vis des conventions internationales ont créé un environnement propice pour que la corruption prospère. Le secteur public est ainsi devenu un monde gangréné par le népotisme et les conflits d'intérêt.
Si on ajoute à cela le manque de transparence dans la passation des marchés publics et la gestion des droits de propriété, l'absence d'un environnement équitable et propice à la concurrence, et l'influence croissance des groupes de pression et des chambres de commerce, la nouvelle génération de golden boys tunisiens est déjà bien partie pour se remplir les poches. Chaque jour, les groupes d'intérêts économiques voient leur influence grandir, et ce, d'une manière qui leur garantit un certain degré d'immunité. Après la révolution, les autorités de transition avaient établi une liste de plus de 400 hommes d'affaires tunisiens (dont une majorité de golden boys) auxquels il avait été interdit de sortir du pays et dont on disait qu'ils faisaient l'objet d'une enquête pour actes de corruption. Aujourd'hui, cette liste ne compte plus que 40 noms… Si la Tunisie veut parvenir à bâtir un nouveau système économique transparent, la première chose à faire est de mettre fin à la forme d'impunité qui permet aux présumés golden boys de faire retirer leur nom de cette liste sans aucune forme de procès ni qu'il leur soit demandé de rendre des comptes de manière publique.
Les opinions exprim ées dans cet article sont celles de l’auteur seul et ne reflètent pas nécéssairement le point de vue de la Banque mondiale.
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