La réduction de la corruption passe nécessairement par l’intégrité et par la croissance économique : tel est le message essentiel que j’ai retenu de la conférence annuelle de l’Economic Research Forum, organisée récemment au Caire et consacrée à la question de l’éradication de la corruption.
Au delà des appels classiques à la transparence des pouvoirs publics et à leur obligation de rendre des comptes — et sans nier pour autant l’importance cruciale de ces deux facteurs —il a été reconnu que pour venir à bout des tentations de la corruption, il faut que la population ait une aversion morale pour ces pratiques et que les faits montrent de manière irréfutable que moins il y a de corruption plus le revenu par habitant est élevé.
Au cours de la séance d’ouverture, Paul Collier, professeur à Oxford, a relaté une expérience au Nigéria, où une étude sur l’enseignement a indiqué qu’un grand pourcentage des enfants de dix ans ne savait pas lire. Il est apparu qu’en fait nombre des enseignants étaient eux-mêmes illettrés, en dépit de leurs certificats d’enseignement. Et qu’ils ne passaient qu’environ une heure par jour en classe, compensant leurs faibles salaires d’enseignant par d’autres activités. Le fait de demander aux élèves de prendre des photos de leurs professeurs pendant les cours s’est accompagné à la fois d’une augmentation du temps passé en classe par ces derniers et d’une augmentation des compétences en lecture des enfants. Inciter les enseignants à enseigner (en prouvant leur présence par des photos ou en augmentant leurs salaires) peut donc avoir du bon mais, au fond, c’est en changeant le système de valeurs dans les écoles — c’est-à-dire en protégeant les enfants des conséquences de pratiques telles que l’achat de diplômes — que l’on parviendra véritablement à améliorer les choses. Les normes éthiques ont donc de l’importance, bien qu’elles ne soient pas faciles à quantifier, ni fréquemment citées dans les études empiriques sur la corruption.
Connu pour ses théories parfois peu orthodoxes, le professeur Mushtaq Khan a pour sa part mis en avant le rôle de la croissance économique comme première des stratégies anticorruption. Son idée est que les méthodes classiques de lutte contre la corruption ne font bien souvent que déplacer les pots-de-vin vers d’autres canaux puisque, dans les pays pauvres, de nombreux groupes d’intérêt tirent principalement leur revenu de rentes improductives. À l’inverse, lorsque les revenus augmentent et que les rentes productives deviennent la norme, les entreprises sont soucieuses de la rentabilité de la production et réclament plus de réglementation, ce processus entraînant à son tour une diminution de la corruption.
Les interventions de Dani Kaufmann et Pratap Mehta sont malheureusement venues montrer que la démocratie ne réduit pas la corruption, et qu’elle peut même l’aggraver. S’appuyant sur les mesures de perception de la corruption, M. Kaufman a indiqué que celles-ci ne révélaient pas de grands changements à l’issue des processus de démocratisation. Quant aux exemples fournis par M. Mehta et tirés de l’expérience indienne, ils illustrent comment la démocratie peut, dans de nombreuses circonstances, encourager la corruption. Un homme politique, quand il pense qu’il ne sera pas réélu, sera encore plus tenté de voler — et de voler plus et plus vite — que s’il est en poste à vie. Étant donné les faibles taux de réélection et le niveau élevé de la corruption, il s’agit d’une inquiétude majeure en Inde.
J’écris ce billet pendant mon vol retour à Washington. Pour faire une pause après ces quatre journées de conférence intenses, je regarde Margin Call. L’histoire se déroule dans une grande banque d’investissements américaine à la veille de la crise financière de 2008. Après une conférence traitant de la corruption, le sujet est tout indiqué : le film traite de l’avidité et de l’absence de normes éthiques qui ont fini par mener au crash financier mondial. La corruption est multiforme ; dans le film, les comportements « illicites » ne sont même contraires à la loi pour la plupart, ce qui me ramène à la position du professeur Collier : ce sont les valeurs et les comportements qu’il faut changer.
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