Publié sur Voix Arabes

Comment investir dans des institutions inclusives et résilientes pour établir une paix durable dans la région MENA

Building for Peace report cover.  Building for Peace report cover.

Neuf ans après le Printemps arabe, les morts, les destructions et les déplacements de population continuent d’atteindre une ampleur tragique en Iraq, en Libye, en Syrie et au Yémen. De 2012 à 2017, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) a enregistré le plus grand nombre de décès liés aux conflits dans le monde (a), avant d’être dépassée par l’Asie en 2018 et 2019.

Ces niveaux de conflit et de violence inédits dans la région posent de nouveaux défis aux professionnels du développement et aux décideurs politiques. Les processus de transition vers une paix durable sont complexes, en particulier lorsque les causes de conflits très enracinés s’entremêlent, impliquant souvent divers acteurs locaux et régionaux.

Leur réussite repose avant tout sur la formulation d’une stratégie claire et de long terme qui répond aux griefs passés (et actuels) et définit les arbitrages stratégiques nécessaires pour éviter des conséquences indésirables. Cela demande un changement de mentalité : l’enjeu n’est pas tant de reconstruire des infrastructures que de se concentrer sur les populations et leur bien-être. En privilégiant l’humain et les communautés par rapport aux équipements en dur, nous pouvons mieux comprendre un élément clé des processus de planification qui permettent de poser les fondations de la consolidation de la paix. Au moment de réfléchir à une stratégie, ce recentrage nous encourage à regarder au-delà des dégâts à réparer pour considérer au contraire les actifs existants. Une telle démarche nous aidera à tirer parti des atouts qui existent et des opportunités à mesure qu’elles se présentent.

Une stratégie sur le long terme doit tenir profondément compte de la nécessité de restaurer la sécurité et la confiance des populations et de favoriser le développement d’institutions inclusives et légitimes qui, loin de se borner au rétablissement des systèmes antérieurs, s’adressent à toutes les catégories de population et leur rendent des comptes. Elle doit mettre en évidence les griefs et les facteurs de conflit, en créant des zones de responsabilité destinées à réduire le sentiment d’impunité et les motifs possibles de résurgence des conflits.

Nos travaux et notre expérience en la matière nous ont montré qu’une approche sectorielle et cloisonnée faisant abstraction des dynamiques politiques et économiques locales peine à briser le cercle vicieux des conflits. En se focalisant sur des interventions dans des secteurs ciblés, les acteurs du développement et ceux de l’humanitaire sont dans l’incapacité de répondre pleinement aux doléances des populations. Quant aux décideurs politiques, ils ne peuvent évaluer minutieusement les implications à long terme de chacune de leurs initiatives.

Voilà pourquoi un processus d’évaluation se doit d’être plus global et plus dynamique lorsque de telles interventions sont envisagées. Un processus qui, sur la base des outils disponibles, se réinvente pour mieux comprendre l’ensemble des parties prenantes, des institutions et des facteurs structurels sur le terrain est également indispensable.

La collecte d’informations doit s’opérer sans œillères, de manière inclusive, afin d’écarter tout angle mort et d’éviter de conduire un pays dans l’impasse d’une paix impossible à maintenir.

Il s’agit d’écouter la parole des personnes qui ont traversé ces épreuves, et pas seulement la voix de nos interlocuteurs habituels. Pour le récent rapport de la Banque mondiale intitulé Building for Peace, nous avons effectué un travail de fond sur la base d’une série d’enquêtes anonymes en ligne menées en Iraq, en Libye et au Yémen en partenariat avec la société RIWI. Grâce à ces enquêtes, nous avons pu recueillir les perspectives, les points de vue et les priorités de populations prises dans l’étau d’un conflit prolongé.

Une vision éclairée, intégrée et pérenne doit s’accompagner d’initiatives visant à rétablir ou à préserver les activités sociales et économiques, ainsi qu’à créer et préserver des espaces propices aux échanges formels entre personnes d’horizons différents. Pour instaurer une paix durable, il est indispensable de garantir la sécurité et les moyens de subsistance de tous : des emplois pertinents offrant une rémunération décente et une dignité aux populations, favorisant ainsi une prospérité inclusive.

Il faut donc lutter contre la construction ou à la reconstruction d’un système de gouvernance qui perpétuerait l’exclusion, l’informalité et la recherche de rentes, ou tout modèle qui nourrirait les mêmes griefs que ceux qui ont conduit au déclenchement d’un conflit.

Nous devons également forger des partenariats avec des acteurs locaux, nationaux, régionaux et internationaux afin d’identifier des points d’appui et de reconstruire progressivement à partir des actifs existants. Nous devons collaborer avec tous nos homologues et l’ensemble des principales parties prenantes en faisant preuve d’une plus grande souplesse, ce qui présuppose que nous nous ouvrions plus largement.

Pour resserrer le lien entre aide humanitaire, développement et paix, tous les acteurs doivent collaborer. Ces partenariats permettront de mieux définir la situation globale sur le terrain pour œuvrer ensemble à une ambition commune : parvenir à une paix durable. Notre travail au Yémen, par exemple, consiste à nouer des partenariats avec diverses agences des Nations unies et des acteurs locaux afin de fournir à la population yéménite des services essentiels tout en renforçant la résilience et les capacités des institutions locales et nationales.

Le processus d’établissement de la paix crée inéluctablement « des gagnants et des perdants » : nous ne devons pas nous abstenir de comprendre les motivations de ceux qui pourraient compromettre la phase de transition. Prenons l’exemple de notre approche collective qui entend aider l’Iraq à rompre le cycle de violence : elle implique de démêler la manière dont les différents groupes armés se constituent une base économique et politique, la manière dont ils s’intègrent dans l’économie politique nationale et locale, ainsi que les relations avec les communautés qu’ils prétendent protéger et représenter. En nous imprégnant de l’histoire et des réalités sur le terrain, nous avons pu dresser la liste des incitations et des facteurs qui ont abouti à la violence. Forts de ce travail, nous avons pu affiner nos interventions, en faisant en sorte qu’elles fournissent des incitations à la consolidation de la paix, et mettre sur pied des institutions inclusives et résilientes, tout en accompagnant l’émergence d’opportunités économiques nouvelles ou plus larges en faveur des populations exclues.

Il n’existe pas de panacée pour les transitions après conflit, mais nous avons constaté qu’en mettant à profit les ressources locales et les dynamiques sur le terrain, il est possible de bâtir des institutions inclusives, de créer des opportunités sérieuses et rémunératrices et de favoriser la cohésion sociale, ouvrant la voie à une paix durable.


Auteurs

Ayat Soliman

Directeur de la stratégie et des opérations, Amérique latine et des Caraïbes

Nadir Mohammed

Directeur régional Croissance équitable, finance et institutions pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

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