Publié sur Voix Arabes

Les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord peuvent-ils sortir du piège du revenu intermédiaire ?

Ce billet a d'abord été publié sur Project Syndicate
 
Pour un pays en développement, accéder au statut de pays à revenu intermédiaire est autant une aubaine qu’un fléau. Si cela signifie que la pauvreté extrême et les privations ont disparu, le fléchissement de la croissance qui s’ensuit habituellement fait que rares seront les pays à rejoindre le groupe des pays à revenu élevé — l’histoire le montre et c’est effectivement ce qui s’est passé pour les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), pour la plupart membres du groupe des pays à revenu intermédiaire. Comment sortir de cette impasse ?
 
Au cours des 50 dernières années, les pays de la région MENA ont eu leur lot de ralentissements économiques, voire de stagnation. Et tandis que bon nombre de ceux dont l’économie dépend des exportations d’hydrocarbures ont connu des périodes de forte croissance, aucun rattrapage durable n’a été observé.
 
Cet enfermement des pays de la région MENA dans le statut du revenu intermédiaire indique la présence d’obstacles structurels à la croissance. Tous sont notamment pénalisés par l’absence d’un secteur privé dynamique, qui tient au manque de volonté ou à l’incapacité à adopter les technologies les plus récentes. Ce qui a empêché une hausse durable de la productivité sans laquelle aucun gouvernement ne peut assurer l’amélioration générale des niveaux de vie.
 
Cette atonie de l’activité privée s’explique notamment par plus d’un demi-siècle de politiques publiques fondées sur le fonctionnariat systématique et les subventions universelles afin « d’acheter » la paix sociale sans rendre de comptes. Parce qu’il assure aux citoyens une trajectoire économique sans risques, ce contrat social étouffe toute velléité d’innover et de créer des entreprises. Il a également nui à la fourniture des services publics et alimenté la défiance envers le gouvernement.
 
Quand bien même les pouvoirs publics des pays de la région MENA voudraient respecter leurs engagements, ils en seraient incapables : la hausse des niveaux d’endettement les oblige à tailler dans les dépenses publiques qui, traditionnellement, sont le principal moteur de l’activité économique dans la région, mais aussi à supprimer progressivement les subventions universelles. Avec le recul du tourisme et des investissements étrangers découlant des tensions géopolitiques, l’incertitude grandit.
 
D’autant que la fonction publique de ces pays ne peut plus absorber les diplômés de l’université, toujours plus nombreux. Même si la qualité et l’accessibilité des établissements scolaires soulèvent de sérieuses interrogations, le fait est que les nouveaux entrants sur le marché du travail sont de plus en plus instruits, les femmes ayant dans de nombreux pays rattrapé leur retard sur les hommes, voire les ont dépassés.
 
Ces améliorations du capital humain ne se sont pourtant pas traduites par une accélération de la croissance : la région MENA affiche l’un des taux de chômage les plus élevés du monde — qui alimente un exode des cerveaux plus important que partout ailleurs puisque les jeunes diplômés partent à l’étranger en quête de débouchés. L’incapacité des gouvernements des pays de la région MENA à encourager l’innovation, quand ils ne font pas tout, dans certains cas, pour l’empêcher, est l’une des principales causes de cette situation. Alors que certains pays s’inquiètent de voir les robots se substituer à l’humain, la non-adoption des nouvelles technologies par les pays de la région entrave la création d’emplois.
 
Le problème tient au fait que, par souci de protéger les acteurs historiques, notamment dans la banque et les télécommunications, les gouvernements des pays de la région MENA imposent des réglementations excessivement pesantes et dépassées qui dissuadent les nouveaux opérateurs d’entrer sur le marché. Ce faisant, ils empêchent toute vraie concurrence, la diffusion des technologies courantes et les formes d’adaptation et d’évolution indispensables à l’émergence d’un secteur privé dynamique.
 
Des régions comme l’Asie par exemple ont fait le choix inverse de s’ouvrir aux nouvelles technologies pour s’imposer comme un pôle manufacturier mondial. D’ailleurs, grâce à l’automatisation, l’Asie devrait conserver cette position dominante même lorsque les salaires dépasseront le niveau habituel dans les économies à forte intensité manufacturière.
 
Dans ce contexte, les pays de la région MENA ne peuvent pas compter sur leurs exportations traditionnelles de produits manufacturiers pour maintenir leur trajectoire de croissance. Ils vont devoir au contraire faire émerger une économie numérique plus sophistiquée en profitant de leur vivier de main-d’œuvre, jeune et instruite. Pour y parvenir, la première des priorités consiste à adopter les nouvelles technologies et à assurer la fourniture de « biens publics numériques » que sont un accès fiable à l’internet haut-débit et des solutions de paiement dématérialisées.
 
Malgré la généralisation des connexions internet et des appareils numériques dans la région MENA, ces outils servent avant tout à accéder aux médias sociaux plutôt qu’à créer de nouvelles entreprises ou embaucher du personnel. Cela tient sans doute au fait que la région affiche le plus faible débit alloué par abonné au monde. Et pour ce qui est de l’argent mobile, les pays d’Afrique de l’Est obtiennent de bien meilleurs résultats que leurs homologues de la région MENA.
 
S’ils veulent rendre autonomes les centaines de millions de jeunes qui frapperont aux portes du marché du travail dans les décennies à venir, les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord vont devoir se doter d’un nouveau contrat social axé sur l’utilisation de la technologie. Indispensable, la fourniture de services publics numériques n’y suffira pas. Il faudra aussi remettre à plat tout l’arsenal réglementaire. À cet égard, les gouvernements des pays de la région MENA pourraient s’inspirer du Kenya qui, en optant pour une approche réglementaire allégée, a favorisé le déploiement rapide du système M-Pesa de paiement de pair à pair. Ils devront aussi faciliter l’accès de nouveaux acteurs, y compris les opérateurs non bancaires, aux marchés de la région.
 
La technologie peut aider les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à sortir du piège du revenu intermédiaire — à condition que les pouvoirs publics prennent l’initiative d’actionner ce levier. Sinon, la région continuera de perdre du terrain et ses habitants à aller tenter leur chance ailleurs.

Auteurs

Ferid Belhaj

Vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord

Rabah Arezki

Ancien économiste en chef pour la Région MENA

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