Publié sur Voix Arabes

Accélérer les échanges d’électricité entre les pays arabes

World Bank MENA World Bank MENA

Il y a quelques jours, j’ai pris part à la première conférence ministérielle panarabe sur le commerce de l’énergie. Organisée en Égypte, elle avait pour but de discuter de l’importance stratégique de la coopération des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) en matière énergétique. J’ai eu l’honneur d’ouvrir la conférence, aux côtés de MM. Abdlatif Al-Hamad, directeur général et président du Conseil d’administration du Fonds arabe pour le développement économique et social, et Kamal Hassan Ali, secrétaire général adjoint de la Ligue des États arabes.  

Précédé par des travaux exploratoires, cet événement constitue une étape cruciale pour démontrer avec vigueur l’intérêt d’une intégration économique accrue dans le secteur énergétique et la volonté politique d’y parvenir. En plus de mobiliser son expérience internationale et son pouvoir fédérateur, la Banque mondiale a apporté son soutien au projet de création d’un marché commun arabe de l’électricité, avec la réalisation d’études pour évaluer les opportunités et l’identification des investissements critiques et des réformes politiques et réglementaires à engager.

La région MENA est la moins intégrée du monde sur le plan économique : à titre de comparaison, le commerce intrarégional y ressort à moins de 10 %, contre 63 % au sein de l’Union européenne. À la Banque mondiale, nous sommes convaincus que le commerce de l’énergie pourrait changer profondément la donne pour la compétitivité de la région et, ce faisant, enclencher une dynamique susceptible de renforcer les échanges et la coopération dans d’autres domaines.

La conférence ministérielle intervient à un moment critique pour la région MENA, alors que sa croissance économique reste poussive. Le mois dernier, la Banque mondiale a abaissé ses prévisions pour la région et table désormais sur une progression de 0,6 % seulement en moyenne en 2019, soit une baisse de près de 1 % par rapport à ses précédentes estimations (1,4 %). Cette révision à la baisse doit certes être en partie imputée à la contraction observée dans certains pays — quand d’autres affichent au contraire de solides taux de croissance — mais la tendance à long terme n’en reste pas moins préoccupante.  

Le commerce régional d’électricité pourrait donner un véritable coup de fouet à la croissance dans la région, pour plusieurs raisons. Premièrement, ces échanges peuvent l’aider à mieux exploiter les excédents de capacités de production de certains pays afin d’éviter à d’autres, déficitaires, de consentir de lourds investissements en capital. Le secteur de l’énergie étant par ailleurs étroitement lié à la gestion des déficits budgétaires, il s’agit là d’un aspect essentiel. De fait, les pays de la région MENA enregistrant les plus forts déficits budgétaires sont aussi ceux qui pratiquent le plus les subventions à l’énergie.

Ensuite, le commerce régional est un moyen de faire évoluer le mix énergétique au profit des énergies renouvelables et du gaz naturel, ce qui favoriserait la transition énergétique des pays de la région avec, à la clé, une réduction des émissions de gaz à effet de serre et une dégradation moindre de l’environnement dont les effets sur le capital humain et les systèmes nationaux de santé sont délétères (et coûtent de plus en plus cher aux États). 

Par ailleurs, l’adoption de nouvelles technologies plus propres peut avoir des retombées positives sur l’emploi. Nous avons collecté des données qui montrent que les initiatives de développement de l’énergie solaire photovoltaïque créent en moyenne deux fois plus d’emplois par unité d’électricité produite que les projets portant sur des énergies conventionnelles. Les projets d’énergie renouvelable ont également davantage tendance à faire appel aux ressources locales : en Égypte et au Maroc, la part du contenu local dans les projets solaires s’établit autour des 40 %.  

Enfin, la région a su attirer de nombreux investissements privés dans des projets d’énergie renouvelable à des coûts très compétitifs.  Grâce aux travaux que nous avons menés ces dernières années, nous estimons globalement que l’intégration des systèmes électriques en soutien aux échanges pourrait engendrer entre 100 et 180 milliards de dollars d’économies, selon les scénarios d’évolution des cours du pétrole et du gaz utilisés et les décisions prises par les pays de plafonner ou non les émissions.

Quelle suite donner à tout cela ?

Pour la Ligue des États arabes, le Fonds arabe pour le développement économique et social et la Banque mondiale, la conférence a été l’occasion de réitérer leur engagement à créer un marché commun arabe de l’électricité et de s’accorder sur la mise en place des institutions nécessaires. Voici donc les principales étapes à venir :

  • l’Arabie saoudite prévoit d’accueillir la réunion régionale de définition des mécanismes de prix, qui rassemblera tous les pays concernés, afin de tester et finaliser les méthodes à déployer pour accélérer les échanges commerciaux ;  
  • le marché sera officiellement créé lorsque les principaux accords entreront en vigueur ; plus tôt dans la semaine, une réunion du Conseil des ministres arabes pour l’électricité a enclenché le processus de ratification des accords en vue de la création du marché commun, dont le démarrage est fixé au début de l’année 2020 avec, pour objectif, une finalisation fin 2020 ;
  • comme la réalisation d’un marché de l’électricité totalement intégré va prendre du temps, la prochaine étape devra également s’intéresser aux investissements physiques. Il s’agit notamment de créer un pôle électrique Machrek-Arabie saoudite (Iraq, Jordanie, Arabie saoudite), en plus de l’infrastructure d’interconnexion entre l’Arabie saoudite et l’Égypte, dont le déploiement est en cours. En accroissant l’excédent de production en Jordanie et en Arabie saoudite, ce pôle permettra d’alimenter l’Iraq où, selon les estimations, le déficit dépasse les 10 gigawatts. Mais le potentiel de ce triangle Iraq-Jordanie-KSA (une passerelle vers les systèmes énergétiques des pays du Conseil de coopération du Golfe) ne se limite pas à cet aspect, dans la mesure où il peut aussi servir de base à la concrétisation de la vision d’un marché panarabe du commerce d’électricité.

Je suis très optimiste quant aux perspectives de ce marché, et convaincue que nous avons tous les atouts pour trouver une solution bénéfique pour tous !


Auteurs

Anna Bjerde

Directrice générale de la Banque mondiale, Opérations

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000