Publié sur Voix Arabes

Le retour de l’Iran sur le marché pétrolier : quels gagnants, quels perdants ?

Teheran, Iran - Borna_Mirahmadian l ShutterstockL’effondrement des prix pétroliers à des niveaux qui n’avaient jamais été aussi bas depuis le début des années 2000 a fait vaciller les marchés et suscité des inquiétudes quant à la santé de plusieurs grandes économies du monde. La levée des sanctions économiques contre l’Iran figurent parmi les facteurs avancés par les experts pour expliquer ce plongeon des cours du pétrole. Il n’existe cependant pas de consensus sur ce sujet : on ne sait guère précisément dans quelle mesure le retour de l’Iran sur le marché pétrolier influe sur les cours ou sur le bien-être en général de ceux qui en subissent les effets.

Dans un article (a) récent, nous tentons de quantifier les conséquences mondiales de cette nouvelle donne commerciale en Iran, en nous penchant plus particulièrement sur les pays qui risquent d’être les plus touchés par la levée de l’embargo sur le pétrole iranien. En effet, parmi les sanctions prises contre l’Iran, les restrictions imposées en 2012 par l’Union européenne (UE) sont celles qui ont eu le plus grand impact dans la mesure où elles ont amputé les ventes du principal produit d’exportation du pays. Dans notre simulation, nous rendons également compte de deux autres éléments de l’accord sur le nucléaire iranien : la baisse attendue du coût des échanges commerciaux de l’Iran et la libéralisation des importations de services financiers et de transport. Les effets de ces deux éléments au niveau mondial sont faibles, sachant que l’Iran ne représente qu’une part négligeable des échanges internationaux hors pétrole.

En supposant que l’Iran est en mesure de porter sa production et ses exportations de pétrole vers l’UE aux niveaux d’avant l’embargo, nos estimations tablent sur un fléchissement de 13 % des prix pétroliers (soit une baisse d’environ 3 dollars le baril aux prix actuels du marché). Un déclin synonyme de pertes pour les pays exportateurs nets de pétrole, et qui frappe plus durement les États membres de l’OPEP et, parmi eux en particulier, les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui enregistrent globalement un recul de près de 4 % en termes de bien-être par habitant (voir le tableau ci-dessous). Ces pertes découlent de la détérioration des termes de l’échange. Alors qu’un grand nombre de ces pays subventionnent les produits pétroliers, la baisse des cours du pétrole est à l’origine de gains d’efficacité qui compensent en partie les pertes mais ne permettent pas d’inverser la tendance.

En revanche, les pays importateurs de pétrole devraient bénéficier de la levée des sanctions économiques contre l’Iran, principalement en raison de l’amélioration des termes de l’échange, mais aussi parce qu’un pétrole meilleur marché favorise l’expansion des industries qui consomment du brut et que la plupart de ces pays taxent la consommation de pétrole. Les gains au niveau des pays importateurs de pétrole sont relativement modestes — ils se situent dans une fourchette comprise entre 0,25 et 0,5 % —, mais globalement, le bien-être mondial est gagnant car les gains engrangés par ceux qui importent du pétrole dépassent les pertes subies par ceux qui l’exportent.

Comme on peut s‘y attendre, c’est l’Iran qui bénéficie le plus de la levée des sanctions économiques, avec une hausse du bien-être par habitant de près de 4 %, qui s’explique par l’expansion de la production et des exportations pétrolières et par la libéralisation des échanges transfrontaliers de services financiers et de transport. Autre fait important dans notre analyse, la magnitude de la variation estimée du prix du pétrole suggère que la chute spectaculaire des cours observée depuis 2015 n’est guère liée à l’anticipation de la levée de l’embargo sur le pétrole iranien, et que d’autres facteurs en sont responsables.

On observe par ailleurs que les gains de l’Iran pourraient être bien moindres si le pays n’est pas en mesure de revenir à son niveau de production ou d’exportations d’avant l’embargo. En supposant que les exportations iraniennes de pétrole vers l’UE retrouvent un niveau équivalent à la moitié seulement de leur volume antérieur (ce qui s’accompagnerait d’une baisse des prix pétroliers proportionnellement inférieure), les gains en termes de bien-être par habitant se limiteraient à 3 %. Si les principaux pays membres de l’OPEP limitent la quantité de pétrole produite et exportée afin de soutenir les cours pétroliers, ils contribueront à atténuer leurs pertes et à réduire les gains des importateurs de pétrole. Le cas échéant, le bien-être mondial est globalement perdant car la réduction des pertes des premiers ne suffit pas à compenser la réduction des gains des seconds. Mais, au niveau de l’Iran, une telle mesure aurait pour conséquence d’accroître davantage les gains par habitant, qui passeraient de 3 à 6,5 % dans l’hypothèse d’un rétablissement total des exportations pétrolières.
 
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Comment l’Iran pourrait-il maximiser les effets de la levée des sanctions ? D’abord, en mettant en place des réformes qui améliorent la compétitivité de son économie. Par exemple, si l’Iran procédait à une réduction unilatérale des droits sur les importations de biens d’équipement, cette mesure pourrait accroître de 0,5 point de pourcentage les gains projetés dans le scénario de référence, car elle permettrait aux entreprises de rénover leurs usines et d’importer des technologies nouvelles. De même, si le pays entreprenait des réformes en faveur du redressement de son secteur automobile, celles-ci viendraient augmenter le bien-être par habitant de 1,5 point de pourcentage supplémentaire. Enfin, si l’Iran tient ses engagements, les pays occidentaux pourraient ouvrir davantage leurs marchés aux biens iraniens. Si les États-Unis, l’UE et les autres pays de l’OCDE ramenaient les mesures non tarifaires imposées aux exportations iraniennes aux niveaux qu’ils appliquent en moyenne aux autres pays, l’Iran pourrait accroître ses gains de 1,1 point de pourcentage supplémentaire par rapport à ceux anticipés dans le scénario de référence.

Auteurs

Shanta Devarajan

Teaching Professor of the Practice Chair, International Development Concentration, Georgetown University

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