Publié sur Voix Arabes

« Je ne suis pas l’autochtone qu’on examine à la loupe… Je veux juste un EMPLOI ! »

Image« Désolé, je suis vraiment désolé, je ne voulais pas vous manquer de respect ». Le jeune homme qui vient de s’exclamer ainsi est confus et tripote nerveusement son petit bloc-notes. Il est encore jeune, mais on voit sur son visage, profondément marqué, que sa vie n’a pas dû être facile. « Vous savez ce que c’est que de se réveiller tous les matins en ayant honte, profondément honte, de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ses parents vieillissants ? De ne pas pouvoir aller acheter des fruits pour sa petite sœur parce qu’on n’a plus un sou vaillant ? Je suis allé à l’école, j’étais bon élève. Alors je suis allé à l’université, et là aussi, tout allait bien. Mais à quoi bon ? Ça n’a servi à rien ! Me voilà, sans rien. Je ne peux même pas me marier. Je n’arrive plus à regarder ma mère en face parce que je passe les nuits dans les rues à noyer mon chagrin ». Le jeune homme lève la tête, les yeux remplis de larmes. « On me prive ma vie d’homme. Ou plutôt, on ne m’a jamais autorisé à devenir un homme ». Il baisse la voix parce qu’il commence à chevroter. « J’ai 29 ans, mais j’ai vraiment l’impression de mourir. À petit feu ».

Les cinq autres jeunes gens autour de la table hochent silencieusement la tête. Cet aveu profondément sincère les a émus. Nous décidons alors de faire une petite pause. Je me rends dans une pièce voisine, pour me ressaisir et réfléchir quelques instants. Que de douleur, de frustration et de désespoir dans les paroles de ce jeune homme ! J’en ai rencontré beaucoup dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) qui expriment ces mêmes sentiments. C’est éprouvant de voir tous ces jeunes, intelligents et bourrés de talent, perdre pied parce qu’on ne leur donne pas l’occasion de devenir des citoyens productifs. Après une profonde inspiration, je retourne dans la salle de réunion. Mais le jeune homme est déjà parti.

Je décide de finir la consultation avec les autres participants et, ensemble, nous revenons sur cette question du chômage des jeunes et les solutions envisageables. Au moment de nous séparer, une jeune fille posée, avec de beaux yeux en amande, accroche mon regard : « Madame, même si j’acquiers les compétences voulues, même si de nouveaux emplois sont créés, cela me servira à quoi si je n’ai pas le ‘bon’ nom de famille ? Ce sont mes camarades de classe moins doués mais avec de bonnes relations qui décrocheront le boulot, de toute façon ».

 Une double transition

Cet épisode donne toute la dimension humaine des statistiques sur le chômage de longue durée des jeunes au Moyen-Orient. Comme l’analyse le prochain rapport phare sur l’emploi dans la région MENA, la jeunesse est face à une « double transition » : tout d’abord, obtenir les compétences et les diplômes requis pour devenir employable ; ensuite, trouver un emploi sur un marché du travail réputé ne pas fonctionner à la méritocratie...

Jusqu’ici, les concertations sur les politiques à mener ont surtout porté sur les échecs de la première transition et supposé que les diplômés n’étaient pas employables parce que l’éducation prodiguée et les compétences imparties étaient inadaptées et de mauvaise qualité. Or la seconde transition présente aussi de nombreux écueils : bon nombre de diplômés ne peuvent tout simplement pas toucher leur « capital employabilité » parce que les embauches se font en fonction de privilèges sociaux et de liens familiaux, sans aucun rapport avec le talent, les aptitudes ou les résultats. On observe aussi un profond décalage dans les attentes, les diplômés voulant décrocher un niveau et un type d’emploi sans commune mesure avec la réalité du marché.

De multiples obstacles

La récente note conceptuelle de la stratégie pour la protection sociale dans la région MENA (« Répondre attentes de la révolution : inclusion, intégration et responsabilité ») propose un premier état des lieux du chômage des jeunes et de ses défis. L’un des dilemmes concerne le nombre de jeunes qui postulent dans le secteur public et, en attendant une place, recourent à de petits boulots dans le secteur informel pour survivre. Cette solution ne fait que prolonger leur exclusion du marché du travail privé et formel.

Elle fausse aussi l’acquisition de compétences, puisque les jeunes font des études en vue de se spécialiser dans les domaines recherchés par ce secteur public si convoité, au lieu de s’adapter à la demande du secteur privé.

Parallèlement, les réglementations du travail dans la région concourent à la protection de ceux qui sont déjà en place, soit globalement les hommes dans la force de l’âge travaillant dans le secteur formel. Cette protection se fait aux dépens des nouveaux entrants que sont les femmes et les jeunes, notamment. Comme l’a déjà souligné un autre blogueur sur ce même site, la participation des femmes à la vie active dans la région MENA est la plus faible du monde. Ce qui n’a rien de surprenant, étant donné les réglementations en vigueur, sans parler des autres facteurs qui entrent aussi en ligne de compte. Le prochain rapport phare sur l’emploi analysera ces dynamiques en détail.

Quelles solutions ?

Les difficultés évoquées plus haut ne se prêtent pas à des solutions simples ou rapides. Mais il faut bien commencer quelque part. Notre équipe a décidé d’entamer des consultations dans la région, afin de prendre le pouls des experts locaux et voir comment ils appréhendent cette situation de chômage des jeunes et quelles solutions ils préconisent.

Voici ce que des représentants des gouvernements, des milieux universitaires et de la société civile à Beyrouth et à Tunis nous ont dit :

« Regardez cette jeunesse qui s’est servi d’Internet (réseaux sociaux) pour enclencher le changement. Ces jeunes sont bien plus créatifs et connectés que la génération précédente. S’ils pouvaient aussi acquérir des compétences professionnelles, ils canaliseraient leur créativité et leur mise en réseau dans les entreprises et contribueraient ainsi au boum économique ».

 « Dès que les jeunes femmes se marient et ont des enfants, elles renoncent à travailler pendant de nombreuses années. Certainement, cela correspond à ce qu’on attend d’elles — qu’elles restent à la maison — mais de toute façon, même si elles veulent travailler, elles sont confrontées au problème de la garde des enfants ».

 Les participants ont souligné la nécessité de discuter des contraintes qui entravent le travail des femmes, qui sont à la fois d’ordre pratique et culturel, ainsi que le besoin d’impartir aux jeunes des compétences (entrepreneuriales et autres) utiles pour l’économie régionale et mondiale. Notre équipe fera en sorte d’apporter des éclairages sur ces questions dans la prochaine stratégie régionale.

[[avp asset="/content/dam/videos/mna/2018/jun/world_bank_consultations_in_tunisia_on_what_the_priorities_should_be_for_a_new_social_protection_strategy_source.wmv"]]/content/dam/videos/mna/2018/jun/world_bank_consultations_in_tunisia_on_what_the_priorities_should_be_for_a_new_social_protection_strategy_source.wmv[[/avp]]


« Nos pays comptent de nombreux jeunes mais sont incapables de créer les emplois requis. Nous devons identifier leurs avantages comparés respectifs et investir dans ces secteurs, qu’il s’agisse du tourisme ou de centres d’appels délocalisés, tout en faisant acquérir aux jeunes des compétences adaptées aux marchés émergents ».

 « Le monde arabe est confronté à de sérieux problèmes de qualité dans l’enseignement supérieur, d’où cette situation dramatique en termes d’employabilité ».

 Nous avons bien pris note du double impératif ainsi mis en lumière — découvrir de nouvelles sources de croissance économique et revoir la pertinence du système éducatif — et nous attacherons à en tenir compte dans notre prochaine stratégie régionale.

Qu’en pensez-VOUS ? Participez virtuellement à la discussion !

 Nous serions heureux de recueillir votre opinion afin de l’intégrer dans nos réflexions.

Faites nous part de vos idées dans la section réservée aux commentaires, ci-dessous, sur le thème suivant : « DÉFIS ET OPPORTUNITÉS DE L’EMPLOI DES JEUNES DANS LA RÉGION MENA »


Auteurs

Amina Semlali

Human Development Specialist

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000