Publié sur Voix Arabes

Le sang bout dans les veines de la région MENA

Ce billet a étéco-rédigé par Enis Baris, Tamer Samah Rabie and Aakanksha Pande.

Hypertension artérielle dans la région Moyen-Orient Afrique du Nord

La tension monte au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Et elle ne risque guère de retomber. La pression grimpe, entretenue par les chichas des kahawi de la place Tahrir en Égypte, les débats enfumés de la place de la Perle à Bahreïn ou les malsouka huileux de l’avenue Habib Bourguiba en Tunisie. Toutes les couches de la société, sans exception, sont affectées. Et sans changement radical, le coût sera considérable, tant pour l’économie que pour la population.

La montée de la tension dans la région MENA ne renvoie pas seulement aux transformations politiques que ces pays traversent. Il faut également la prendre au pied de la lettre. L’hypertension artérielle est en effet responsable de près d'un demi-million de décès par an, provoquée par un régime alimentaire riche en graisses et en sodium — comme les konafa (un dessert de la région) et les torshi (légumes en saumure) — une consommation de tabac élevée (chicha et cigarette) et un mode de vie sédentaire. La Journée mondiale de la santé sera consacrée le 7 avril à l’hypertension artérielle, une question tout particulièrement pertinente dans la région MENA.

Cette pathologie touche quatre personnes sur dix dans le monde et la région MENA n'échappe pas à la règle. En 2010, jusqu’à un Libyen sur deux souffrait de pression artérielle élevée. Le phénomène concerne autant les populations masculines que féminines : l’hypertension figure au premier rang des facteurs de risque de décès chez les femmes et au deuxième chez les hommes. Mais il y a plus inquiétant encore : sa prévalence n’a pas diminué au fil du temps. Depuis vingt ans, l’hypertension artérielle occupe invariablement la deuxième place des causes de décès et d'invalidité dans la région (la « médaille d’or » revenant aux « risques alimentaires »). À moins d'une action urgente, il est peu probable qu’elle disparaisse du podium dans un avenir proche…

Les effets de l’hypertension sont très lourds. Si celle-ci n’est pas traitée, elle peut dégénérer en ischémie myocardique ou en accident vasculaire cérébral, principales causes de mort et d’invalidité dans la région MENA. Le coût économique lié à l’hypertension est également important : selon une étude de 2007, les pertes de PIB dues aux maladies cardiovasculaires et au diabète s’élèveraient à 100 millions de dollars en Égypte, et ce chiffre risque d’augmenter de 125 % à l'horizon 2015. Compte tenu de la contraction de sa marge de manœuvre budgétaire, ce coût est tout bonnement inabordable pour le pays.

Mais il n’est pas inéluctable. Il est possible de soigner et de prévenir l’hypertension et, de plus, la décision de la hisser au rang de priorité se révèle rentable au bout du compte. On peut prévenir cette pathologie en consommant moins de sel (tirer un trait sur les torshi) ; en mangeant équilibré (refuser un deuxième morceau de baklava) ; en s’abstenant de fumer (dire adieu aux cigarettes et à la chicha) ; et en pratiquant une activité physique régulière (préférer la marche à la conduite). Un dépistage précoce et des examens réguliers peuvent permettre de traiter les symptômes et de réduire les complications — or ces pratiques sont rares dans la plupart des pays de la région MENA. L’éventail des traitements est large et la pharmacopée disponible à des prix abordables. D’après certaines études, il est moins onéreux pour les pays de la région MENA d’assurer la prise en charge de ces médicaments, même pour des groupes à risque moyen voire élevé, que de supporter par la suite le coût de soins intensifs.

Pourquoi alors l’hypertension artérielle continue-t-elle d'augmenter dans la région MENA ? Pour des raisons systémiques, peut-être. Étant donné le faible niveau de revenu de ces pays, la part des dépenses consacrées à la santé est minime, et les patients assument le coût des traitements. Du Maroc à l’Iran, les dépenses de santé représentent en moyenne entre 40 et 70 % du budget des ménages, ce qui les contraint à se priver de soins ou d'être lourdement grevés à cause des frais médicaux. Une situation aggravée par l’inertie des systèmes de santé face aux besoins des patients, une corruption élevée et une défiance importante.

Sur la question de l’hypertension, on constate dans la région l’absence de grande mobilisation politique pour enrayer les causes de la propagation de cette pathologie. Même si la région est signataire de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, elle n’a mis en place aucun des dispositifs de lutte efficaces et éprouvés : le tabac est faiblement taxé, peu de pays possèdent un cadre législatif qui prévoit l'interdiction de fumer dans les lieux publics et seuls deux pays font apposer un avertissement sur les paquets de cigarettes (un moyen très efficace de convaincre les fumeurs de réduire leur consommation). Les normes socioculturelles et l'absence d'espaces publics restreignent la possibilité de pratiquer régulièrement une activité physique, ce qui se manifeste dans la population féminine de la région MENA par un taux d’obésité parmi les plus élevés au monde. Par ailleurs, l’insuffisance des contrôles et l’absence de données fiables compliquent la tâche des agences de la santé dans le suivi des taux de prévalence et la mise sur pied de solutions adéquates.

La médiocrité des politiques de prévention, de détection et de prise en charge de l’hypertension témoigne des nombreuses lacunes des systèmes de santé de la région MENA. Pour tenter de remédier à cette situation, la Banque mondiale redouble d'effort dans la région, en lançant une nouvelle stratégie pour l'amélioration des résultats en matière de santé, nutrition et population. Cette stratégie, qui couvre les cinq prochaines années, s’inspire des mots d'ordre du Printemps arabe et repose sur les principes « d'équité » et de « responsabilisation » qu’elle veut transposer de manière viable à la santé. La création de systèmes de soins équitables et responsables devrait contribuer à faire baisser la pression… tant sur le plan sanitaire que politique.



[1] OMS (2008), Global atlas on cardiovascular disease prevention and control, OMS Genève. Document disponible sur http://www.who.int/cardiovascular_diseases/publications/atlas_cvd/en/index.html

[2] Murray et al (2013). The Global Burden of Disease Study 2010 (édition spéciale), Lancet 380 (9859), 2053-2260. http://www.healthmetricsandevaluation.org/gbd/visualizations/gbd-arrow-diagram

[3] Abegunde et al (2007). « The burden and costs of chronic diseases in low-income and middle income countries », Lancet, 370 (9603), 1929-1938.

[4] Graziano TA, Opie LH, Weinstein MC (2006), « Cardiovascular disease prevention with a multidrug regimen in the developing world: A cost effective analysis ». Lancet, 368: 679-686.


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