Publié sur Voix Arabes

Koweït : la réforme foncière, la clé de la diversification réussie de l’économie

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Aerial view of landscape and housing in Kuwait City, Kuwait
Aerial view of Kuwait City, Kuwait. Shutterstock.com/ Henryk Sadura

Au cours des 70 dernières années, les indicateurs sociaux, politiques et économiques du Koweït ont fortement progressé, grâce à un emploi judicieux des recettes pétrolières. Le pays est ainsi devenu l’un des plus riches du monde, avec un PIB par habitant de 34 000 dollars en 2018. Les citoyens koweïtiens ont un niveau de revenu élevé et bénéficient d’une large palette de services sociaux garants de leur bien-être. Pour autant, responsables politiques et citoyens ont, comme bon nombre d’observateurs de la région, bien conscience que le Koweït n’a pas encore atteint tout son potentiel ni rattrapé ses pairs au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ou d’autres économies émergentes en plein essor.

Les autorités koweïtiennes savent que la manne pétrolière finira par s’épuiser et, qu’à la faveur des changements technologiques rapides, la dépendance globale à l’or noir diminuera avec le temps. Avec sa « Vision 2035: New Kuwait », le gouvernement s’est fixé pour objectif de diversifier l’économie et se s’affranchir ainsi de cette dépendance. Les réformes envisagées couvrent de nombreux domaines, dont la santé, l’éducation, l’environnement des affaires et l’urbanisation. L’une d’entre elles jouera un rôle clé : il s’agit de la réforme foncière, préalable indispensable avant d’engager pratiquement toutes les autres réformes prévues. Voici pourquoi.

Le Koweït a beau être l’un des pays les plus riches du monde, la plupart de ses habitants n’ont pas les moyens de s’y acheter une maison : à environ 80 % de la valeur de l’habitation, soit largement au-dessus de la norme internationale (autour des 30 %), le terrain est hors de prix. Le gouvernement octroie un terrain de 400 mètres carrés aux jeunes couples pour qu’ils puissent construire leur maison, mais les délais d’attente sont d’environ 15 ans pour des parcelles très éloignées des centres urbains, où se concentrent les entreprises, les institutions et les loisirs. Le secteur privé peine à trouver des emplacements pour se développer et ne peut donc pas fournir les bâtiments commerciaux, résidentiels ou industriels qui changeraient la donne. Cette pénurie artificielle fait flamber les prix, rendant le foncier inabordable pour la plupart des ménages koweïtiens et des investisseurs.

Le gouvernement attribue des terres à différents organismes publics en charge du logement, de l’agriculture, de l’industrie, etc., qui les allouent ensuite à des tiers. Bien souvent, ces parcelles restent inutilisées ou sous-utilisées. Surtout, le gouvernement ne possède pas de base de données complète qui lui permettrait de suivre le devenir de ces terrains. Il ne dispose pas non plus de mécanisme pour récupérer ces parcelles et les réaffecter à d’autres usages importants. Bien souvent, les investisseurs désireux de s’installer au Koweït ne trouvent pas l’emplacement idéal pour le faire — contrairement à la plupart des autres pays où, après avoir repéré le terrain qui leur convient, ils l’achètent au prix du marché à leur propriétaire. Au Koweït, la terre étant pour l’essentiel sous le contrôle de l’État, qui connaît mal l’étendue de ses possessions foncières, investir dans le pays relève du casse-tête. Nous avons de nombreux témoignages d’investisseurs qui renoncent à s’installer au Koweït faute de trouver des emplacements adaptés.

Depuis trois ans, la Banque mondiale aide le gouvernement koweïtien à identifier les principaux obstacles et les raisons à l’origine de cette situation et à définir une feuille de route pour réformer le régime foncier. Celle-ci s’articule autour de deux axes : une réforme institutionnelle, pour réunir tous les services ayant trait au foncier au sein d’une seule agence, l’Autorité foncière, et réaliser un inventaire complet du territoire (une carte), des organismes en charge des questions foncières, des baux accordés et de leur durée ; et une réforme politique impliquant de passer en revue toutes les politiques publiques de gestion et d’allocation des terres, les techniques d’attribution du foncier, les mesures engagées pour récupérer les terrains inutilisés, la mise en place de mécanismes de marché transparent pour attribuer les parcelles et la mise à disposition d’informations sur ces attributions. Il s’agira d’identifier des interventions permettant de libérer davantage de terrains en appui au développement, de décourager les pratiques de conservation de parcelles et de propriétés inutilisées ou sous-utilisées et de réformer les règles d’aménagement du territoire pour permettre un développement mixte. En multipliant le nombre de terrains disponibles, le gouvernement remédiera ainsi à une pénurie artificielle.

Le Koweït doit engager de toute urgence cette réforme foncière : tout retard pris dans ce domaine risque de pénaliser un pays qui s’efforce de diversifier son économie et de conforter sa place de pôle financier et commercial au sein de la région, conformément à la vision promue par l’émir Sabah IV à l’horizon 2035. Partout dans le monde, des pays et des États ont institué des organismes dédiés aux questions foncières et qui concentrent toutes les fonctions nécessaires : c’est le cas de Singapour, Dubaï, des Pays-Bas et, dernièrement, de l’Arabie saoudite.

La création d’une Autorité foncière offre de nombreux avantages, et notamment : i) une gestion efficace et transparente des terrains publics au profit de tous les ressortissants ; ii) une optimisation de l’aménagement du territoire et des mécanismes de coordination pour attribuer des terrains publics ; iii) l’allocation de terrains publics à des opérateurs privés par le biais d’enchères publiques (qu’il s’agisse de vente, de bail ou d’autres formes de contrats) ; et iv) la constitution d’une base de données précises et exhaustives recensant tous les biens fonciers du Koweït et permettant de fournir des informations aux citoyens conformément aux dispositions fixées par le Conseil des ministres.

Le développement du secteur foncier enverra un signal important aux citoyens koweïtiens et aux investisseurs, prouvant que le pays est déterminé à améliorer la gestion des terrains publics dans le but de diversifier l’économie et d’assurer une prospérité partagée pour les années et les décennies à venir. En conclusion, la concrétisation de la « Vision 2035 » du pays passe par la réforme foncière, premier acte incontournable de ce vaste mouvement réformateur.

 


Auteurs

Ghassan Alkhoja

Chargé principal des opérations pour le développement humain, MENA, Banque mondiale

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