Publié sur Voix Arabes

Le pouvoir du peuple donnera-t-il du pouvoir aux femmes ?

ImageLes mouvements démocratiques qui prennent naissance partout dans la région du Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) suscitent un grand optimisme quant à la prise en compte de la voix citoyenne et une meilleure intégration du plus grand nombre.

L’essence des démocraties, c’est le partage du pouvoir et l’expression de la volonté du peuple par des voies pacifiques à travers les urnes. On peut alors se demander si la volonté et le pouvoir du peuple vont conduire à plus d’égalité entre les sexes et de participation féminine, et ce d’autant plus que les femmes ont combattu pour le changement aux côtés des hommes.

Le cas « avant/après » de l’Iran et de l’Iraq

L’expérience montre qu’au cours des trente dernières années les changements de régime intervenus dans la région se sont traduits par un recul des droits de la femme.

La révolution iranienne de 1979 en est un exemple : la plupart des droits que les femmes avaient acquis dans les années 50-60 après plus d’un siècle de combat ont été immédiatement abrogés après la victoire de la Révolution islamique, avant même la rédaction d’une nouvelle constitution. Aujourd’hui, les femmes et la société civile iraniennes mènent une lutte acharnée en vue de restaurer certains de ces droits perdus.

Le cas de l’Iraq fournit un autre exemple. Ce pays a nommé sa première femme juge dès 1959 alors que, partout dans le monde et dans presque toutes les religions, cette profession était considérée comme un domaine réservé aux hommes. Après la chute de Saddam Hussein, avant même la mise en place d’une nouvelle constitution, la remise en cause des droits de la femme est apparue comme une question hautement prioritaire. Les femmes auraient perdu leurs droits n’eussent été les actions immédiates, concertées et proactives entreprises par les groupes internationaux et locaux de défense des droits de la femme pour obtenir l’adoption d’un quota de 25 % de femmes au sein du parlement et constituer un bataillon de femmes qualifiées capable de se présenter aux élections et de pourvoir ces sièges.

Ces révolutions, qui ont été déclenchées et encouragées par une jeune génération d’hommes et de femmes férus de technologie seront-elles différentes des autres ?

Quelles sont aujourd’hui les perspectives dans la région MENA ? En 2008-2009, la Banque mondiale a réalisé une enquête dans trois villes (Amman, Le Caire et Sanaa) sur les formes de travail chez les hommes et chez les femmes. Ces trois villes sont un échantillon représentatif de l’ensemble de la région. En outre, pour des raisons de comparabilité entre les pays, le choix s’est porté sur des capitales dans la mesure où celles-ci fournissent un meilleur accès à l’infrastructure et une plus grande connectivité, et où leurs populations sont plus instruites, plus cosmopolites et plus modernes.

Les données de l’enquête portaient sur 8 000 ménages et sur un total de 40 000 hommes et femmes couvrant tous les groupes d’âge, tous les niveaux d’instruction et cinq groupes de revenu. Outre les questions d’ordre personnel et professionnel, l’enquête comportait également des questions sur les mentalités et les normes sociales.

Les personnes interrogées devaient notamment dire ce qu’elles pensaient du travail des femmes hors du foyer. En effet, le fait que le travail des femmes en dehors de la sphère familiale soit bien accueilli est généralement un signe précurseur de l’acceptation de leur participation aux affaires publiques – soit le test par excellence de la modernité, de l’ouverture d’esprit et de l’égalité hommes-femmes.

Les données ont révélé que la participation des femmes à la vie active dépendait fortement des normes sociales, et surtout de l’institution du mariage, mais rarement du fait d’avoir des enfants ou non. Comme on peut le voir dans la figure ci-dessus, ce taux de participation apparaît considérablement plus faible dans les ménages dont au moins un membre s’oppose au travail des femmes que dans les autres ménages.

Fait aussi inattendu que déconcertant : l’opposition au travail des femmes était beaucoup plus importante parmi les hommes jeunes que chez les hommes plus âgés. Les courbes ci-dessous (panneau de gauche) montrent que le nombre d’années d’études augmente tant pour les hommes que pour les femmes interrogés. Les chiffres indiquent que non seulement les personnes issues de la jeune génération sont bien plus instruites que leurs parents, mais que de surcroît il n’existe presque pas de disparité hommes-femmes.

En revanche, comme l’illustrent les graphiques dans le panneau de droite, malgré ce niveau d’instruction plus élevé, on constate une montée inquiétante du conservatisme vis-à-vis du travail des femmes chez les 15- 44 ans : près d’1 homme sur 2,5 pense que les femmes ne doivent pas travailler hors du foyer. Cette opposition existe certes dans d’autres régions, mais au pire des cas dans une proportion de 1 sur 10 ou sur 20. Le fait d’avoir suivi des études universitaires réduit le taux d’opposition à environ 1 sur 5, ce qui reste élevé.

À l’encontre du mythe

Ces éléments factuels vont donc à l’encontre du mythe selon lequel les individus seraient moins conservateurs à mesure que s’allonge le nombre d’années d’études et que s’estompe le fossé entre les hommes et les femmes dans l’accès à l’éducation.

Alors que 70 % de la population est âgée de 35 ans, que l’essentiel de la population en âge de voter a atteint au plus le second cycle de l’enseignement secondaire et qu’y prévalent des mentalités relativement conservatrices, quelles sont les probabilités de voir les droits des femmes progresser, ou au contraire régresser ? En outre, en quoi le contenu de l’enseignement a-t-il renforcé chez les jeunes hommes des attitudes aussi conservatrices envers les femmes au cours des dernières décennies ? Et, enfin, que peut-on faire pour contrer une marginalisation croissante des femmes ?

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Average years of schooling : Nombre moyen d'années d'études
Men : Hommes
Women : Femmes

 Cet article est une traduction de la version anglaise.


Auteurs

Nadereh Chamlou

Ancienne conseillère principale auprès de l’économiste en chef

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