Le fort taux de chômage de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) reflète avant tout un déficit de croissance. La Chine, qui croît à un rythme de 10 % depuis dix ans, affiche un taux de chômage inférieur à 5 %, à l’inverse de la région MENA dont la croissance est de 5 % pour un taux de chômage supérieur à 10 %.
Si l’absence d’une croissance soutenue a constitué un sérieux frein à l'emploi dans la région MENA, la réactivité de l’emploi à la croissance du revenu y est dans l’ensemble plutôt élevée. En d’autres termes, la situation de l’emploi dans la région MENA ne relève pas précisément du phénomène de croissance sans création d’emplois qui a miné la plupart des pays industriels ces dernières années. Elle est au contraire due à une croissance insuffisante.
La forte augmentation de la main-d’œuvre dans la région MENA constitue une des facettes du problème. Pour absorber tous les nouveaux jeunes arrivants sur le marché du travail, il faudrait que la croissance soit plus beaucoup plus élevée ou que la réactivité de l'emploi à la croissance soit bien supérieure à la moyenne.
Comment faire ? On peut agir sur le premier front en employant les ressources plus efficacement et, sur le second, en mettant en place des mesures d’incitation à la croissance relativement plus importantes dans les secteurs créateurs d’emploi. Le rapport sur l'emploi dans la région MENA, qui sera bientôt publié, met en évidence plusieurs pistes pour stimuler la croissance et l’emploi. J’en relève trois que j’estime essentielles (au-delà des recommandations d’usage telles que la nécessaire stabilité macroéconomique) :
- Suppression des distorsions de prix dans les facteurs de production. L’énergie et la main-d’œuvre sont toutes deux des facteurs de production. Comme de nombreux pays de la région subventionnent fortement l’énergie, celle-ci est un facteur de production relativement moins cher que dans le reste du monde ; entre une énergie subventionnée par l’État et une main d’œuvre qui les assujettit à des taxes, les sociétés risquent de privilégier la première. Cela conduit certains pays à se spécialiser dans des secteurs et des processus de production plutôt énergivores. Ces subventions créent donc des distorsions majeures dans des pays dotés de ressources humaines considérables : elles retardent la croissance par une utilisation inefficace des ressources tout en limitant la réactivité de l’emploi à la croissance.
- Des mesures incitatives en faveur du secteur privé. En dépit d’une faible productivité, le secteur public est toujours l’employeur principal de la région MENA, le secteur privé formel ne représentant en moyenne qu’un petit 10 % des emplois. Le secteur public accapare donc les ressources au détriment de secteurs qui en feraient un usage plus productif, ce qui pénalise la croissance et la création d’emplois. Les jeunes sociétés au développement rapide et les grandes entreprises du secteur privé sont généralement de grands pourvoyeurs d'emploi dans les économies. Mais, dans la région MENA, leur essor est entravé par un environnement des affaires médiocre et par les incitations qui poussent les demandeurs d’emploi à préférer le secteur public.
- Fabriquer plus. L’élasticité de l’emploi dans les industries manufacturières est beaucoup plus élevée que celle prévalant dans les industries extractives. Par ailleurs, tout un corpus de textes montre que l’accélération de la croissance s’accompagne d’un bond des entreprises manufacturières. En d’autres termes, le secteur manufacturier génère à la fois de l’emploi et de la croissance. Dans la région MENA, cependant, ce secteur contribue pour moins de 10 % à la croissance de la valeur ajoutée, tandis que les ressources naturelles y contribuent à hauteur de 20 % en moyenne — de piètres chiffres, en comparaison de la situation de pays tels que la Turquie, la Malaisie ou l’Indonésie, où le secteur manufacturier représente 15 à 25 % de la valeur ajoutée, et les ressources naturelles moins de 10 % seulement. L’essor du secteur manufacturier repose non seulement sur la croissance du secteur privé (déjà mentionnée au point précédent), mais aussi sur un taux de change compétitif et une ouverture au commerce et aux investissements étrangers qui ont largement fait défaut dans la région.
Pour soutenir la croissance et la création d’emplois, la région MENA doit canaliser son immense réservoir de ressources humaines à des fins productives. Les politiques du travail ne pourront à elles seules remédier au problème du chômage, parce que de nombreuses autres distorsions interdisent une mobilisation efficace de la main d’œuvre. À l’opposé des incitations actuelles, qui favorisent le recours excessif à l’énergie et l’emploi dans le secteur public, il est donc fondamental de mettre en place des mesures incitatives en faveur de l'emploi dans le secteur privé, où la demande de main-d’œuvre est forte.
Cet article appartient à une série de billets hebdomadaires qui visent à alimenter votre réflexion sur les questions essentielles soulevées dans notre rapport phare sur l’emploi dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Dans la perspective des prochaines Assemblées annuelles de la Banque mondiale qui se tiendront en octobre, le fil rouge et l’ambition de ces billets sont de nourrir une discussion qui réponde à la question « Que souhaiteriez-vous dire à votre ministre des Finances ? ».
Les points clés du rapport et le bilan d'un chat en ligne sur l’emploi seront présentés aux décideurs politiques de la région MENA. Nous voulons savoir ce que VOUS pensez : à quelles entraves la population se heurte-t-elle ? Que faire pour créer des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité dans la région MENA ? Nous comptons sur vous pour nous faire part de votre opinion et vous donnons rendez-vous pour un chat en ligne sur l'emploi, le 17 septembre en anglais et en arabe et le 26 septembre en français.
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