Publié sur Voix Arabes

Liberté et renaissance d’une nation

Dans la salle d’embarquement de l’aéroport de Tripoli, en partance pour les États-Unis, je repense aux trois jours que je viens de passer en Libye, un pays dont on ne peut qu’admirer l’audace et l’intrépidité.

Il est difficile d’imaginer que cette population ait été asservie pendant 42 ans et incroyable de penser que cette nation se soit levée contre son tyran, malgré le danger extrême encouru, l’ampleur des pertes et l’incertitude du résultat. Cela témoigne bien du courage et de la détermination d’un peuple à conquérir sa liberté. Et que dire de l’optimisme dont font preuve les Libyens, notamment les jeunes, hommes et femmes confondus ? Il procède de cet esprit indomptable grâce auquel tous défendent farouchement l’avènement d’un avenir radieux, malgré la multitude d’obstacles à franchir pour y parvenir.

World BankJ’ai eu l’occasion pendant ce séjour de rencontrer le Premier ministre et son adjoint ainsi que la plupart des membres de son gouvernement. J’ai aussi pu rencontrer des jeunes hommes et femmes qui s’efforcent avec ardeur de bâtir un avenir nouveau, positif et différent pour eux et pour leur pays. Enfin, j’ai eu des entretiens avec des représentants du secteur privé, bien décidés à développer et à créer des emplois et des débouchés pour assurer la diversification d’une économie dominée à 80 % par les hydrocarbures.

Cette nation renaissante est confrontée à de multiples défis. Environ 33 % des Libyens sont au chômage — un phénomène qui touche surtout les jeunes. Si, actuellement, 55 % de la population active est employée par le secteur public, c’est le résultat d’une volonté délibérée du régime précédent : celle d’étouffer l’initiative privée et la créativité individuelle pour empêcher la possibilité d’un mode de vie indépendant et alternatif échappant au contrôle de l’État.

La dictature a de fait laissé d’innombrables séquelles. Dans les années 1970, la propriété privée a été interdite et tous les biens et entreprises privés confisqués. Le régime a ensuite toléré un minimum d’activité, tant que cela restait modeste, de sorte que dans la Libye d’aujourd’hui, aux infrastructures décaties ou détruites par la guerre, rares sont les entreprises d’envergure capables d’entreprendre, pour le compte des autorités, les immenses chantiers de remise en état et de reconstruction.

J’ai eu l’occasion de rencontrer des jeunes gens brillants dont plusieurs avaient combattu pour la liberté et se sont mis au service de leur pays. Certains ont créé des organisations de la société civile afin de mobiliser la jeunesse et lui donner des moyens d’action ; d’autres tâchent d’enraciner plus profondément la démocratie en contrôlant l’action des pouvoirs publics et en leur réclamant des comptes ; sans oublier ce jeune homme qui a créé sa propre radio, au succès immédiat. Tous m’ont parlé de l’importance de l’emploi et des débouchés, grâce auxquels les jeunes pourront commencer à vivre et, notamment, se marier et créer une famille.

Dans ces conditions, quelles seraient les solutions pour faire de ce pays une économie dynamique, active et créatrice d’emplois et de perspectives ? Déjà, il faudrait améliorer l’environnement des affaires et supprimer cette bureaucratie dans laquelle les créateurs d’entreprise s’enlisent. Il faudrait aussi réformer le secteur bancaire. Tous les établissements appartiennent pour l’instant à l’État et jouent avant tout un rôle de banques de dépôts au lieu de financer l’indispensable relance de l’activité et de la production et le non moins indispensable développement des infrastructures. De telles réformes permettraient aux esprits entreprenants de monter leur affaire en toute simplicité, soutenus par un gouvernement pariant sur le développement du secteur privé pour assurer la croissance à long terme. De telles réformes permettraient aussi aux nouvelles entités de se financer auprès de banques libyennes dont l’objectif premier serait de fournir des services et du crédit à la population du pays. Enfin, une réforme du système éducatif contribuerait non seulement à améliorer le contenu et la qualité des enseignements mais aussi à impartir aux jeunes des compétences qui favorisent et récompensent l’innovation, encouragent l’esprit critique et la créativité et développent un esprit d’entreprise et de gestion. Avec l’amélioration du climat des investissements, un secteur bancaire déterminé à soutenir une croissance tirée par le secteur privé et des diplômés parés pour l’avenir, les progrès du pays pourraient être impressionnants.

Mais ces réformes suffiront-elles à créer une économie dynamique et active ? Hélas, non. Il restera encore de nombreux autres défis à relever. Toutefois, tous les Libyens que j’ai pu rencontrer sont farouchement décidés à s’y atteler. Ils ont également insisté sur le fait que leur pays avait besoin d’aide et de conseils de l’extérieur, après de si longues années d’isolement. Si la Libye peut se passer des financements de la Banque mondiale, elle est avide de retisser des liens avec le reste du monde afin de tirer parti des expériences et des enseignements de différents pays pour s’en inspirer au moment de forger son devenir. Et c’est précisément cela que la Banque mondiale peut offrir à ses partenaires libyens.

Auteurs

Inger Andersen

Ancienne Vice-présidente de la Banque mondiale pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord

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