Twitter en direct pour défendre le droit de savoir

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Twitter en direct pour  défendre le droit de savoir La Banque mondiale célèbre la Journée internationale du droit de savoir des Nations Unies, afin de défendre le droit fondamental des populations à un gouvernement transparent et responsable.

Shanta Deverajan, l’économiste en chef pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) de la Banque mondiale, s’est rendu en Tunisie le 12 septembre dernier, à l’invitation de l’Assemblée nationale constituante (ANC), afin de discuter des « équilibres bas ». Cette notion renvoie aux systèmes ou politiques économiques mis en place par un pays et ayant pour effet d’entraver son développement. Pour sortir du piège, la seule solution consiste à rompre l’équilibre qui est source de contreperformances : il peut s’agir, par exemple, de démanteler un monopole ou, comme en Tunisie, de renverser un dictateur.

En plus d’être un expert dans son domaine (l’économie du développement), Shanta Deverajan est un fervent partisan de l’accès à l’information et l’un des bloggeurs les plus prolifiques de la Banque mondiale. Cette discussion sur les équilibres bas est de la plus haute pertinence compte tenu des enjeux économiques auxquels le pays et la région tout entière doivent faire face. Et, grâce aux défenseurs du droit de savoir, elle a été largement relayée en dehors du seul cadre de l’Assemblée.

Cela fait des années que Shanta Deverajan affirme que le déni du droit à l’information est l’un des moyens les plus vicieux dont dispose le pouvoir pour enfermer le peuple dans le piège des équilibres bas, et ce particulièrement dans le cas des régimes dictatoriaux . En la matière, le régime de Ben Ali détenait un triste record : entre musellement de la presse, manipulation des statistiques ou destruction des données, les Tunisiens n’avaient qu’une idée très limitée de ce qui se passait chez eux. Tout le monde ou presque savait ou se doutait que ce régime prédateur se livrait à des abus, mais le simple fait de refuser aux citoyens l’accès à l’information, aux analyses ou aux statistiques empêchait le recueil et le partage de données par les militants et, surtout, l’organisation d’un mouvement capable de faire pièce au pouvoir.

Le soulèvement de 2011 va donner aux Tunisiens le signal qu’ils attendaient pour perturber le système et les équilibres en place. Dès le 14 janvier, la levée de toute censure sur Internet, dont l’accès aura été bloqué jusqu’aux dernières heures de l’équipe de Ben Ali, a constitué l’une des premières preuves tangibles d’une liberté retrouvée. Un mois plus tard, le gouvernement par intérim adoptait plusieurs décrets-lois garantissant le droit fondamental d’association (crucial également pour le partage des informations par la société civile) et l’accès à l’information.

Résultat, des dizaines d’organisations, comme Albawsala et Nawaat, se sont mobilisées pour réclamer une plus grande transparence à tous les échelons du pouvoir. Albawsala est une ONG qui veille à la transparence des travaux des élus et dont l’un des faits d’armes sans doute les plus connus est d’avoir porté plainte contre l’ANC pour refus de communication de documents officiels. Quant à Nawaat, un blog longtemps dissident, car interdit sous le régime de Ben Ali, et réputé pour pratiquer un journalisme d’investigation fouillé et percutant, il a souvent dans sa ligne de mire des institutions comme la Banque mondiale.

La Banque mondiale a, pour sa part, soutenu le mouvement tunisien en faveur de l’accès à l’information (à travers une assistance technique et financière), sans en subir jusqu’à présent les conséquences.

Revenons à l’Assemblée ce 12 septembre, alors que Shanta Deverajan s’apprête à parler devant la Commission des finances. J’ai réussi à trouver une place, en face de l’équipe d’Albawsala et à côté d’un journaliste de Nawaat. Pendant deux heures, je vais suivre l’intervention sur mon smartphone, puisqu’elle est couverte en direct sur Twitter, sans censure et accessible à quiconque s’y intéresse. Critique à l’encontre du système de subventions mis en place en Tunisie, au motif qu’il est injuste, destructeur d’emplois et coûteux, son discours suscite l’hostilité de bon nombre de députés pour qui l’important, c’est le timing des réformes, quelles qu’elles soient. L’un d’eux, ouvertement critique à l’encontre de la Banque mondiale, affirmera que Shanta Deverajan est juste venu défendre le programme de son institution.

 

 

 

J’ai montré ces tweets à Shanta, après coup. Certains ont fait des vagues (comme le compte rendu publié par Nawaat, qui assimile notre action à du lobbying en faveur de la suppression des subventions). Il est vrai que, pendant des années, la plupart des pays de la région MENA ne juraient que par cette politique et que l’idée de lui substituer des transferts monétaires n’a pas fait autant d’émules qu’ailleurs dans le monde. Autrement dit, c’est le type de question brûlante qu’il valait mieux éviter d’aborder, ou en tout cas pas devant des oreilles indiscrètes. Or, c’est typiquement de cela qu’il faut discuter et débattre et que l’on doit pouvoir contester, en toute liberté et transparence.

Alors que la politique fait depuis quelques semaines, et sans doute à raison, la une de l’actualité en Tunisie, il ne faudrait pas que les grands enjeux économiques, et notamment la réforme des subventions, soient relégués au second plan ou carrément évincés des discussions. Parce que cela reviendrait à dénier aux citoyens leur droit à l’information sur un sujet qui les concerne et qui a une lourde incidence sur le budget de l’État.

En dépit des efforts des journalistes et de la société civile pour porter ces discussions sur la place publique, d’importants obstacles demeurent. Ces difficultés concernent le renforcement et la protection de la presse locale mais aussi l’information des citoyens sur leurs droits à l’information précisément.

Le décret-loi relatif à l’accès à l’information montre déjà ses limites. Un projet de texte, qui viendrait remplacer le précédent, a été mis en ligne pour consultation publique et est prêt pour un examen par le gouvernement. Il appelle notamment à la création d’une commission indépendante en charge de l’information. Une proposition qui, si elle est acceptée, viendrait considérablement renforcer le droit de savoir en Tunisie. L’ANC en débattra d’ici la fin de l’année.

C’est en appuyant là où ça fait mal que les ONG, les journalistes et les citoyens ordinaires peuvent, lors de ces débats essentiels, contribuer à la transformation de la Tunisie. Ils le font déjà mais ils doivent aussi continuer à faire pression sur leur gouvernement pour permettre la création d’un cadre juridique propice à l’accès à l’information et à une transparence accrue.

Sur tout ce qui touche aux politiques et aux programmes publics et, partant, à la vie des citoyens, les Tunisiens ont le droit de savoir, indépendamment des points de vue et de l’issue des débats.

Suivez Shanta Deveraja sur Twitter : @Shanta_WB

Auteurs

Erik Churchill

Chargé de communication