Ce billet a d'abord été publié sur le site web du Huffington Post Maghreb.
En voyant des militants distribuer des tracts à Bizerte le 1er mai, j’ai senti pour la première fois que les élections municipales approchaient. Il faut dire que la campagne électorale avait jusqu’ici été plutôt discrète. Si certains en sont déçus et regrettent que le taux de participation soit si faible, on peut aussi voir les choses autrement : les élections municipales en Tunisie, les premières depuis 2011, donnent ainsi le sentiment d’être un événement politique « normal », s’inscrivant dans un contexte d’évolution de la démocratie.
Même si la tenue de ces élections constitue une réussite en soi, le fait que la Tunisie dispose désormais de conseils municipaux élus est également une occasion importante de repenser le modèle de développement économique centralisé. Les conseils municipaux doivent impérativement avoir la possibilité de remplir leurs missions, et de fournir des services de meilleure qualité et des investissements qui répondent aux attentes de la population. Cela opposerait un argument fort aux économistes qui persistent à voir la décentralisation comme un « risque budgétaire », en particulier dans le contexte actuel, où les dépenses publiques ont atteint des niveaux record. La dotation en personnel et la gestion des autorités locales représentent, à leur avis, un coût supplémentaire que le pays ne peut pas se permettre. Ils avancent par ailleurs que les compétences locales restent limitées et que ces autorités locales élues coûteront donc « cher ».
Ce raisonnement ne tient pas compte des problèmes de performance imputables à des décennies de centralisation extrême, ni du coût qui en a découlé pour les régions intérieures. Celles-ci affichent toujours un retard sur celles du littoral, même si elles disposent d’un potentiel de développement significatif (mais inexploité). Le processus de démocratisation n’a jusqu’ici pas fait évoluer la situation, ce qui suscite des tensions et des griefs (compréhensibles) dans les régions intérieures.
Ainsi, il y a quelques mois, à l’occasion de discussions avec des responsables locaux de plusieurs régions, ceux-ci ont insisté sur le peu d’influence qu’ils avaient sur les décisions d’investissement. Ces décisions sont prises essentiellement par les entreprises publiques, pratiquement sans consulter les autorités locales. Et ces entreprises publiques demandent souvent aux autorités locales de leur transférer des actifs (en particulier des terres) en contrepartie des investissements. La population locale perçoit souvent comme arbitraires les décisions portant sur la localisation des investissements, et rien n’est fait pour tenter de les expliquer ou de les justifier. De plus, la population a l’impression que ces investissements favorisent les régions du littoral (si l’on considère l’état de l’infrastructure locale dans les régions intérieures, ce n’est pas qu’une impression).
En quoi la décentralisation peut-elle remédier à ces problèmes, et comment peut-elle s’intégrer à d’autres aspects des réformes ?
Nous observons une tendance générale dans le monde : les gains économiques qui découlent d’un renforcement de la responsabilisation et de l’autonomisation sont supérieurs aux coûts de la décentralisation. Nous l’avons constaté en Indonésie, dans les pays européens en transition, comme la Pologne, dans les États indiens les plus avancés (comme le Karnataka), où le développement économique a fortement bénéficié du recul de la centralisation.
Ces exemples parmi d’autres montrent qu’une fois entrés en fonction, les élus locaux prendront au sérieux leurs responsabilités à l’égard de la population locale. Ils s’efforceront de créer des opportunités de développement économique pour leur municipalité ou leur région, et ils le feront dans l’espoir d’être réélus. S’ils veulent que leurs administrés leur fassent davantage confiance, ils devront également se soucier d’améliorer la qualité des services lorsqu’ils chercheront à attirer les investisseurs. C’est ainsi que l’on créée une approche infiniment plus dynamique du développement économique.
Les pays qui ont connu un processus de décentralisation et où les autorités locales sont désormais davantage tenues de rendre des comptes, ce qui a permis de conforter la croissance et le développement, sont riches d’enseignements. Un rééquilibrage progressif des affectations de dépenses et de recettes, et notamment un renforcement du contrôle des autorités locales sur des services sociaux essentiels, devrait faire suite aux efforts visant à redéployer les effectifs entre l’échelon central et les échelons locaux. Ce processus est toujours complexe (et s’accompagne souvent de coûts liés aux mesures d’incitation). Pour ces échelons locaux, il est actuellement envisagé de faire appel à des personnes récemment diplômées de l’université, dans le cadre des programmes d’emplois publics. Cela pourrait permettre de faire la transition entre la période actuelle (caractérisée par la faiblesse des effectifs des autorités locales) et le moment où les programmes de redéploiement commenceront à porter leurs fruits. Pour que la décentralisation fonctionne, il faut une solide combinaison de mesures de court et de long terme destinées à renforcer les capacités locales.
La Banque mondiale soutiendra ces efforts en ajoutant 130 millions de dollars de ressources supplémentaires au programme de 300 millions de dollars US (en cours) en faveur de la gouvernance locale et du développement urbain. Le financement additionnel sera axé sur le soutien aux nouvelles administrations locales créées en 2018 et sur le financement des arrangements «relais» susmentionnés pour renforcer les capacités locales.
C’est pourquoi les élections municipales du 6 mai sont à mes yeux une première étape, mais une étape essentielle, d’un processus important d’autonomisation économique des échelons locaux. Si les citoyens restent sceptiques quant à ce processus (comme en atteste le fort taux d’abstention), il incombera à ceux qui auront été élus de les convaincre. Et il n’existe pas de meilleur moyen pour ce faire que d’améliorer les services, d’attirer des investissements et de créer des emplois. Si les autorités locales y parviennent, l’impact sera positif sur l’avenir économique des régions intérieures, et la légitimité et la crédibilité de ces nouveaux élus s’en trouvera renforcée.
En voyant des militants distribuer des tracts à Bizerte le 1er mai, j’ai senti pour la première fois que les élections municipales approchaient. Il faut dire que la campagne électorale avait jusqu’ici été plutôt discrète. Si certains en sont déçus et regrettent que le taux de participation soit si faible, on peut aussi voir les choses autrement : les élections municipales en Tunisie, les premières depuis 2011, donnent ainsi le sentiment d’être un événement politique « normal », s’inscrivant dans un contexte d’évolution de la démocratie.
Même si la tenue de ces élections constitue une réussite en soi, le fait que la Tunisie dispose désormais de conseils municipaux élus est également une occasion importante de repenser le modèle de développement économique centralisé. Les conseils municipaux doivent impérativement avoir la possibilité de remplir leurs missions, et de fournir des services de meilleure qualité et des investissements qui répondent aux attentes de la population. Cela opposerait un argument fort aux économistes qui persistent à voir la décentralisation comme un « risque budgétaire », en particulier dans le contexte actuel, où les dépenses publiques ont atteint des niveaux record. La dotation en personnel et la gestion des autorités locales représentent, à leur avis, un coût supplémentaire que le pays ne peut pas se permettre. Ils avancent par ailleurs que les compétences locales restent limitées et que ces autorités locales élues coûteront donc « cher ».
Ce raisonnement ne tient pas compte des problèmes de performance imputables à des décennies de centralisation extrême, ni du coût qui en a découlé pour les régions intérieures. Celles-ci affichent toujours un retard sur celles du littoral, même si elles disposent d’un potentiel de développement significatif (mais inexploité). Le processus de démocratisation n’a jusqu’ici pas fait évoluer la situation, ce qui suscite des tensions et des griefs (compréhensibles) dans les régions intérieures.
Ainsi, il y a quelques mois, à l’occasion de discussions avec des responsables locaux de plusieurs régions, ceux-ci ont insisté sur le peu d’influence qu’ils avaient sur les décisions d’investissement. Ces décisions sont prises essentiellement par les entreprises publiques, pratiquement sans consulter les autorités locales. Et ces entreprises publiques demandent souvent aux autorités locales de leur transférer des actifs (en particulier des terres) en contrepartie des investissements. La population locale perçoit souvent comme arbitraires les décisions portant sur la localisation des investissements, et rien n’est fait pour tenter de les expliquer ou de les justifier. De plus, la population a l’impression que ces investissements favorisent les régions du littoral (si l’on considère l’état de l’infrastructure locale dans les régions intérieures, ce n’est pas qu’une impression).
En quoi la décentralisation peut-elle remédier à ces problèmes, et comment peut-elle s’intégrer à d’autres aspects des réformes ?
Nous observons une tendance générale dans le monde : les gains économiques qui découlent d’un renforcement de la responsabilisation et de l’autonomisation sont supérieurs aux coûts de la décentralisation. Nous l’avons constaté en Indonésie, dans les pays européens en transition, comme la Pologne, dans les États indiens les plus avancés (comme le Karnataka), où le développement économique a fortement bénéficié du recul de la centralisation.
Ces exemples parmi d’autres montrent qu’une fois entrés en fonction, les élus locaux prendront au sérieux leurs responsabilités à l’égard de la population locale. Ils s’efforceront de créer des opportunités de développement économique pour leur municipalité ou leur région, et ils le feront dans l’espoir d’être réélus. S’ils veulent que leurs administrés leur fassent davantage confiance, ils devront également se soucier d’améliorer la qualité des services lorsqu’ils chercheront à attirer les investisseurs. C’est ainsi que l’on créée une approche infiniment plus dynamique du développement économique.
Les pays qui ont connu un processus de décentralisation et où les autorités locales sont désormais davantage tenues de rendre des comptes, ce qui a permis de conforter la croissance et le développement, sont riches d’enseignements. Un rééquilibrage progressif des affectations de dépenses et de recettes, et notamment un renforcement du contrôle des autorités locales sur des services sociaux essentiels, devrait faire suite aux efforts visant à redéployer les effectifs entre l’échelon central et les échelons locaux. Ce processus est toujours complexe (et s’accompagne souvent de coûts liés aux mesures d’incitation). Pour ces échelons locaux, il est actuellement envisagé de faire appel à des personnes récemment diplômées de l’université, dans le cadre des programmes d’emplois publics. Cela pourrait permettre de faire la transition entre la période actuelle (caractérisée par la faiblesse des effectifs des autorités locales) et le moment où les programmes de redéploiement commenceront à porter leurs fruits. Pour que la décentralisation fonctionne, il faut une solide combinaison de mesures de court et de long terme destinées à renforcer les capacités locales.
La Banque mondiale soutiendra ces efforts en ajoutant 130 millions de dollars de ressources supplémentaires au programme de 300 millions de dollars US (en cours) en faveur de la gouvernance locale et du développement urbain. Le financement additionnel sera axé sur le soutien aux nouvelles administrations locales créées en 2018 et sur le financement des arrangements «relais» susmentionnés pour renforcer les capacités locales.
C’est pourquoi les élections municipales du 6 mai sont à mes yeux une première étape, mais une étape essentielle, d’un processus important d’autonomisation économique des échelons locaux. Si les citoyens restent sceptiques quant à ce processus (comme en atteste le fort taux d’abstention), il incombera à ceux qui auront été élus de les convaincre. Et il n’existe pas de meilleur moyen pour ce faire que d’améliorer les services, d’attirer des investissements et de créer des emplois. Si les autorités locales y parviennent, l’impact sera positif sur l’avenir économique des régions intérieures, et la légitimité et la crédibilité de ces nouveaux élus s’en trouvera renforcée.
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