Publié sur Voix Arabes

Maroc : ouvrir la voie à des réformes graduelles et régulières

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ImageAlors que les citoyens faisaient entendre leurs revendications dans les rues de Rabat, nos discussions avec les autorités marocaines en vue de préparer un prêt à l’appui des politiques de développement axé sur la responsabilité et la transparence se présentaient sous les meilleurs auspices, aussi bien au niveau central que local. Il y a une réelle volonté de réformer la gouvernance en écho aux demandes de changement de la population et l’envie d’obtenir rapidement des résultats indiscutables et visibles. Cet intérêt est encore accru par le désir de traduire les récents amendements apportés à la Constitution en de véritables changements sur le terrain. Récemment, les Marocains ont célébré le premier anniversaire de leur version du Printemps arabe. Des milliers de citoyens ont afflué à Casablanca et à Rabat et quelques milliers d’autres dans tout le pays pour réaffirmer leur demande de changement démocratique.

Le Maroc est de fait confronté aux mêmes défis que ses voisins, du chômage à la participation politique en passant par les inégalités. Un simple examen du dernier indice de développement humain publié par les Nations Unies révèle que le Maroc est dans une situation comparable, voire moins bonne, que celle de la Tunisie et de l’Égypte pour certains indicateurs clés mesurant la qualité de la vie. Pourtant, la monarchie a su résister aux bourrasques révolutionnaires qui ont balayé les autres pays de la région. Ce qui ne veut pas dire que les Marocains sont moins mobilisés ou moins actifs que leurs voisins : en un an, des manifestations ont été organisées pratiquement toutes les semaines.

Lors de mon dernier séjour au Maroc, j’ai souvent entendu les citoyens exprimer leur confiance dans l’aptitude du roi Mohammed VI à satisfaire leurs demandes en faveur d’un changement démocratique plus profond. Un autre message circulait aussi, selon lequel le Maroc ferait exception dans le mouvement récent qui a touché la région — un sentiment ancré dans les nombreuses explications de la « différence » du Maroc, liées à son histoire, ses relations économiques étroites avec l’Europe et la présence d’un Islam modéré. Pour autant, les événements récents ont montré que rien ne peut enrayer la dynamique puissante du mécontentement social alimentée par le chômage, la corruption et des inégalités toujours plus nombreuses. Il faudra bien un jour s’attaquer de front à ces questions.

Avec les amendements constitutionnels récents, le roi a reconnu les vertus économiques et politiques de la régionalisation, notamment en termes d’amélioration des services publics et de la représentation. Ces réformes vont transférer autorité et ressources du centre aux régions. Les amendements donnent plus de pouvoir aux conseils régionaux, élus au suffrage direct, et non plus par des représentants des régions pour l’instant nommés par le pouvoir exécutif. Cela étant, le mouvement en faveur d’une plus grande régionalisation n’est pas nouveau : depuis l’indépendance, les autorités ont engagé ce processus, de manière progressive et contrôlée.

Un petit séjour dans la ville de Meknès m’a permis de voir concrètement l’importance de cette réforme et de toucher du doigt les inégalités régionales et sociales en partie à l’origine des récentes manifestations. Au Maroc, le fossé entre les villes et les campagnes est particulièrement profond : la consommation par habitant des ménages ruraux ne représente que 54 % de celle des ménages urbains. Alors que des progrès ont été faits sur le plan de l’accès aux services publics et de leur qualité, surtout dans les grandes villes, ils restent inégaux et sont souvent plus que médiocres dans les zones rurales ou isolées. Les services ne sont par ailleurs pas suffisamment axés sur l’usager et les plaintes abondent face au pouvoir discrétionnaire et arbitraire des administrations locales censées assurer les services essentiels. De toute évidence, l’absence de procédures administratives standard et de normes de services, conjuguée à la quasi-absence de mécanismes de rétroaction et de recours pour les usagers ouvre la porte à tous les comportements iniques.

Une visite dans le village de Boufkerane m’a donné un bon aperçu du fossé entre les classes sociales et les autorités administratives et du combat qui se joue pour assurer une représentation locale équitable. Ainsi, le rôle du président du conseil local, désigné à bulletins secrets, présente le budget et applique les décisions prises par le conseil. Mais en réalité le pouvoir réel est exercé par le « pacha », qui agit comme intermédiaire entre le conseil et le ministère de l’Intérieur — l’autorité qui, au final, décidera de tout. Aussi attend-on du processus de régionalisation qu’il permette de remédier aux problèmes patents observés en termes de ressources, de mandat et de capacités conférés aux autorités locales et auxdifficultés qui en découlent pour qu’elles soient en mesure de répondre aux attentes de la population. Il faudra pour cela accroître la participation locale aux processus de prise de décisions et l’engagement citoyen, augmenter la visibilité, la transparence et la responsabilité des administrations régionales, mieux partager les responsabilités entre citoyens, représentants élus et autorités mais aussi aller vers un développement régional davantage défini (et régi) par les acteurs concernés.

À l’enthousiasme initial suscité par les récents événements dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord semble succéder désormais une lecture plus réaliste des perspectives d’avenir. De nombreuses incertitudes demeurent sachant, comme nous avons pu le constater dans la région, que la transition est un processus difficile et complexe. Les pays ne s’en sortent pas tous sans dommages. Toute la difficulté consiste à engager un processus de réforme sincère, concret et pertinent. Cela prend du temps et même si nous voudrions tous que les changements soient immédiats, une réforme progressive et effective représente, en définitive, la solution la plus souhaitable pour toute la région. Peut-être est-ce cet aspect qui, au final, distinguera le Maroc de ses voisins : un processus constant et authentique de réforme redéfinissant la relation entre l’État et ses citoyens. La volonté politique semble bien être là, mais le verdict n’a pas encore été rendu.


Auteurs

Lida Bteddini

Analyste-recherchiste en gouvernance

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