Publié sur Voix Arabes

Moyen-Orient et Afrique du Nord : quatre politiques pouvant être adoptées pour lutter contre l’inflation

Man looking at receipt in grocery store. (Photo: Denys Kurbatov/Shutterstock.com) Man looking at receipt in grocery store. (Photo: Denys Kurbatov/Shutterstock.com)

Alors que l’inflation fait tous les jours la une de l’actualité, il serait utile d’observer de plus près la façon dont ce phénomène impacte réellement les pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA).  L’inflation est une hausse généralisée et continue du niveau des prix, et on la mesure souvent grâce à l’indice des prix à la consommation, indice qui regroupe les prix de biens et de services représentatifs du panier d’un ménage type. Il est urgent que les pays de la région prennent des décisions judicieuses pour favoriser une croissance économique durable et juguler l’inflation, qui affecte davantage les populations pauvres. Voici quatre options de politiques publiques permettant de lutter contre une inflation élevée et une faible croissance tout en soutenant les moins bien lotis :

1. Améliorer la « qualité » des dépenses publiques

De nombreux pays de la région MENA, en particulier les pays importateurs nets de pétrole, ont une dette publique élevée et une faible marge de manœuvre budgétaire, mais ils doivent continuer à engager des dépenses, notamment pour généraliser des systèmes modernes de protection sociale et investir dans l’adaptation au changement climatique. Il leur faut donc améliorer la qualité de leurs dépenses publiques et les réorienter. 

Actuellement, la masse salariale du secteur public, les subventions non ciblées et le service de la dette constituent les principaux postes de dépenses publiques et autant de sources de rigidités budgétaires (a). Il n’y a guère d’options à court terme, mais les pays peuvent néanmoins améliorer la qualité de leurs dépenses en :

  1. orientant davantage les dépenses publiques vers les résultats ;
  2. réduisant les subventions énergétiques non ciblées ;
  3. réformant les entreprises publiques investissant dans les infrastructures ;
  4. gérant plus efficacement la dette afin de réduire ses coûts (par exemple en ayant moins recours à des financements à court terme et au coût élevé). 

La Banque mondiale aide les pays dans ces domaines en conduisant des revues des dépenses publiques, en réalisant des analyses de l’incidence fiscale et en fournissant des conseils en matière d’infrastructures et de gestion de la dette, comme c’est le cas actuellement en Égypte, au Maroc, au Liban, etc.

2. Améliorer la transparence de la dette et éviter la « dette cachée »

Pour les pays actifs sur les marchés financiers internationaux de la dette souveraine, soit la plupart de ceux de la région MENA, il est important de ne pas prendre de court les acteurs du marché international. En particulier, dans le contexte actuel de fort endettement et d’aversion au risque (marchés émergents), ces pays doivent maintenir la confiance dans les informations relatives à leur dette. L’expérience mondiale montre que la « dette cachée » est souvent révélée au pire moment (a), c’est-à-dire lorsqu’une crise a déjà éclaté.

Si la transparence des données est un défi commun à l’ensemble des pays de la région MENA, celle-ci dispose d’assez bonnes statistiques relatives à sa dette. Par ailleurs, le phénomène de dette cachée, tel que celui qui a été mis au jour dans des pays comme le Mozambique, ne s’est pas produit dans la région MENA. Cependant, les pays doivent être attentifs à leurs engagements « hors bilan », qu’il s’agisse de garanties publiques accordées à des entreprises publiques ou à des projets du secteur public, de garanties implicites, par exemple lorsqu’une entreprise publique emprunte sur la base d’un soutien supposé de l’État, ou d’autres types de passifs. Les contrats d’achat d’électricité (PPA) en constituent un exemple important pour plusieurs raisons : souvent, ils ne sont pas divulgués en détail et sont conclus dans un contexte de faible recouvrement des coûts, pouvant potentiellement se convertir en dettes gouvernementales.

3. Éviter la « dominance budgétaire » et la dépendance excessive aux banques centrales

La dominance budgétaire désigne une situation où l’on s’attend à ce que les déficits et la dette publics soient « monétisés », c’est-à-dire financés par « la planche à billets ». Dans des circonstances ordinaires, la dette publique reste viable et sous contrôle grâce à une combinaison de croissance économique et de mesures fiscales. Mais les chocs et de mauvaises politiques publiques peuvent élever la dette à des niveaux insoutenables et faire naître des attentes ou l’espoir que le Trésor public fasse appel à la banque centrale. Il n’est pas souhaitable d’être dans cette situation. Le Liban est le meilleur exemple de dominance budgétaire dans la région MENA.

Les banques centrales ne peuvent pas tout régler malgré leurs réserves de change, leur politique monétaire et leur gestion des systèmes bancaires. Elles ne sont pas en mesure de maintenir la stabilité des prix (donc de maîtriser l’inflation) si elles deviennent le prêteur en dernier recours des gouvernements.

Une fois la stabilité ébranlée, les réserves de change s’épuisent rapidement. En conséquence, les banques centrales doivent recourir à un rationnement strict sur le marché intérieur des changes qui fausse la valeur de la devise locale et qui ne fait que retarder l’inévitable, comme cela a été le cas pour le Sri Lanka qui a fait défaut sur sa dette extérieure pour la première fois de son histoire, le mois dernier.

Certains gouverneurs de banques centrales de la région MENA appellent à procéder d’urgence à des réformes structurelles, ce qui est bien compréhensible. Quand les situations budgétaires s’aggravent et que les réformes structurelles ne progressent pas, la boîte à outils des banques centrales perd toute efficacité.

4. Protéger les populations pauvres et les personnes vulnérables

La poussée de l’inflation entraîne déjà les ménages de la région MENA vers la pauvreté, car les dépenses alimentaires constituent une part importante de leur budget. L’alimentation représente plus de 30 % du budget des ménages à Djibouti, en Algérie, au Maroc et en Égypte.

Alors que plusieurs pays de la région MENA étudient les mesures qu’ils peuvent adopter pour réaffecter la dépense publique, d’autres ont déjà réformé les systèmes de subventions généralisées en faveur de mécanismes ciblés de compensation, de manière à protéger les populations pauvres de la hausse des prix des aliments et de l’énergie. Ainsi, l’Égypte a annoncé en mars 2022 des dépenses supplémentaires de 130 milliards de livres égyptiennes (soit 1,6 % du PIB de l’exercice 2023) pour augmenter les salaires et les pensions du secteur public ainsi que pour élargir la couverture des programmes de transferts monétaires « Takaful » et « Karama » à 450 000 familles supplémentaires. De tels programmes doivent être analysés afin de s’assurer que les populations ciblées en bénéficient effectivement et qu'elles reçoivent un soutien adéquat.

Malgré toutes les crises auxquelles la région MENA est en butte – risquant de compromettre une décennie d’avancées en matière de développement –, des choix politiques judicieux peuvent contribuer à améliorer la situation. Il est essentiel de réduire les programmes de subventions généralisés et de mettre sur pied des systèmes de protection sociale basés sur des transferts monétaires. La transparence des données relatives à la qualité des dépenses est tout aussi primordiale. La Banque mondiale reste prête à aider les gouvernements confrontés à ces décisions difficiles grâce à ses analyses, ses opérations de financement et son soutien aux politiques publiques.


Auteurs

Nadir Mohammed

Directeur régional Croissance équitable, finance et institutions pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

Johannes Hoogeveen

Responsable mondial pour les États fragiles et touchés par un conflit

Gladys Lopez-Acevedo

Économiste principale, pôle mondial Pauvreté et équité, Banque mondiale

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