Publié sur Voix Arabes

Moyen-Orient et en Afrique du Nord : comment remédier aux pertes d’apprentissages ?

Children in Sharm El-Sheikh, Egypt. (Shutterstock.com/OlegD) Children in Sharm El-Sheikh, Egypt. (Shutterstock.com/OlegD)

Alors que nous célébrons ce mois-ci la Journée internationale de l’éducation, le thème de l'’année 2023, « Investir dans l’humain, faire de l’éducation une priorité », revêt une importance capitale pour les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA). Confrontés ces dix dernières années à de profonds bouleversements sociaux, économiques et politiques qui ont entraîné un grave déficit de performance du capital humain, notamment dans le secteur de l’éducation, les pays de la région doivent aujourd’hui plus que jamais s’atteler à la tâche pour l’avenir des générations futures.

Apprendre est essentiel, depuis la lecture, l’écriture et le calcul de base jusqu’à l’acquisition des compétences fondamentales et de la pensée critique. Malheureusement, la fermeture des écoles pendant la pandémie de COVID‑19 a entraîné toujours plus de retards et de difficultés pour des millions d’enfants dans notre région.

Concentrons-nous sur le véritable problème structurel du secteur de l’éducation dans la région MENA :  même avant la pandémie, la proportion d’enfants incapables de lire et de comprendre un texte simple à l’âge de 10 ans atteignait le chiffre alarmant et inacceptable de 60 %. En raison de la fermeture des écoles, ce taux de pauvreté des apprentissages devrait encore progresser d’au moins 10 %.

Entre 2020 et 2022, les établissements scolaires de la région MENA sont en moyenne restés fermés pendant 22 semaines, soit l’équivalent de la moitié d’une année scolaire. Malgré les efforts déployés en matière d’enseignement à distance, des données récentes montrent qu’en moyenne, les élèves n’ont pas acquis les connaissances requises. Un mois sans école équivaut donc à un mois d’apprentissages perdus.

Les conséquences à court terme sont désastreuses, et les coûts à long terme, colossaux. Les apprentissages forment un élément essentiel du capital humain, qui est à la base d’un développement économique durable. Selon nos estimations, si l'on n'y remédie pas, ces retards d’apprentissage pourraient coûter aux élèves actuels de la région 10 % de leurs revenus annuels futurs, soit un manque à gagner cumulé de 800 milliards de dollars sur toute la vie.

Les pertes d’apprentissages viennent s’ajouter aux multiples crises auxquelles la région est aujourd’hui confrontée. L’inflation galopante, le niveau élevé de l’endettement et le changement climatique exigent une action immédiate, ce qui met à rude épreuve les pays dont la marge de manœuvre budgétaire est déjà limitée. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, cette situation se répercute sur le niveau des dépenses d’éducation, en déclin par rapport à 2019. 

Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord est une région disparate. Des ressources abondantes permettent à certains pays d’allouer d’importants financements à l’éducation. En revanche, les troubles et l’instabilité freinent d’autres pays, ce qui porte la moyenne des dépenses d’éducation à 3,8 % du PIB pour l’ensemble de la région, un chiffre bien inférieur à la moyenne mondiale de 4,5 %. Tout en étant confrontés à la nécessité de traiter les crises immédiates, les gouvernements doivent continuer à maintenir le cap sur leurs objectifs de développement de plus long terme qui sont essentiels pour renforcer la résilience et la prospérité. Réaliser des investissements solides et intelligents dans l’éducation et allouer les ressources de manière efficace comptent parmi les meilleurs moyens de tenir la promesse d’un avenir meilleur.

Pour améliorer les acquis scolaires, il faut agir et investir sur plusieurs fronts : garder les écoles ouvertes, que ce soient les salles de classe ou l’enseignement à distance, selon les besoins et les circonstances ;  augmenter le nombre d’heures d’enseignement ; adapter l’enseignement au niveau des élèves ; se concentrer sur la lecture, l’écriture, le calcul et les compétences fondamentales ; veiller à ce que chaque enseignant soit bien préparé, motivé, présent et rémunéré en temps voulu ; et enfin, promouvoir le rôle et valoriser le statut social de l’enseignant, notamment par des campagnes de sensibilisation du public  — et ce, même dans les pays en proie à des conflits comme le Liban et le Yémen.

Sans ouvrir le débat sur la question des variations linguistiques dans la région, il faut reconnaître que l’arabe standard moderne, associé à la nécessité absolue de maîtriser une ou plusieurs langues étrangères, demeure le principal vecteur de transfert des connaissances.

Les pays de la région MENA prennent des mesures, dont les résultats sont prometteurs :

  • Au Maroc, la relance des apprentissages est désormais au cœur des réformes de l’éducation. Le gouvernement a mis à l’essai un programme de soutien scolaire adapté de l’approche TaRL (Teaching at the Right Level, ou « enseigner au bon niveau »), et les évaluations font état de progrès considérables chez les élèves participants dans les trois matières principales : l’arabe, les mathématiques et le français. 
  • L’Arabie saoudite, la Jordanie et les Émirats arabes unis ont élaboré des stratégies spécifiques pour améliorer la maîtrise de l’arabe durant les premières années de scolarité, avec des objectifs d’apprentissage et des plans d’action ambitieux.
  • Les pays de la région MENA participent de plus en plus aux évaluations internationales, comme le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) et l’enquête TIMSS sur le niveau des élèves en mathématiques et en sciences. En 2022, l’Égypte a entrepris sa première évaluation nationale des compétences en arabe et en mathématiques des élèves de 4e année. Ces procédures d’évaluation sont indispensables pour pouvoir cibler les interventions dans les domaines qui en ont le plus besoin, tandis que la diffusion des résultats permet de sensibiliser et de mobiliser l’action d’un large éventail de parties prenantes.
  • La scolarisation dans les écoles maternelles, où les enfants commencent leur apprentissage de la lecture, est également cruciale. La Banque mondiale soutient l’expansion de programmes préscolaires de qualité dans toute la région. Par exemple, dans les Territoires palestiniens, 237 salles de classe ont été rénovées l’année dernière et les pouvoirs publics viennent de lancer sept partenariats public-privé dans le secteur de la petite enfance.
  • Les allocations monétaires versées aux familles comptant des enfants d’âge scolaire, avec une aide supplémentaire destinée aux plus vulnérables, permettent d’aider les élèves qui risquent le plus d’abandonner l’école. La santé, la nutrition et le logement sont également des conditions préalables fondamentales pour les apprentissages, et la Banque mondiale soutient les gouvernements de la région MENA en finançant des programmes de transferts monétaires qui offrent une planche de salut aux familles les plus démunies.

En prenant des mesures concertées, soutenues par des investissements solides et intelligents, les pays ont la possibilité de rattraper les pertes d’apprentissages. Principale source de financement extérieur pour l’éducation dans le monde, la Banque mondiale est un partenaire sans faille des pays de la région MENA dans ce secteur.

Si toutes les parties prenantes travaillent de concert (pouvoirs publics, familles, éducateurs, partenaires de développement, société civile et secteur privé), la région MENA pourra opérer le changement nécessaire pour transformer l’état des apprentissages et, ce faisant, tenir la promesse d’un avenir meilleur pour cette génération. Il est urgent d’agir !


Auteurs

Ferid Belhaj

Vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord

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