Publié sur Voix Arabes

La région MENA ne peut plus se permettre de négliger son problème foncier

Construction site of New Mansoura city, Egypt. (Shutterstock.com/Matyas Rehak) Construction site of New Mansoura city, Egypt. (Shutterstock.com/Matyas Rehak)

Pendant des décennies, de nombreux pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) ont tiré profit d’abondantes ressources naturelles, notamment le pétrole et le gaz. Mais cette région n’est pas dotée de toutes les ressources. Elle manque en effet de terres, et cela de plus en plus. Dans une région désertique à 84 %, les terres à cultiver sont de moins en moins nombreuses.  De fait, au regard de la piètre qualité des terres disponibles, si les agriculteurs décidaient de cultiver plus, ils pourraient augmenter de 17 % au plus les superficies exploitées sans avoir besoin de recourir à l’irrigation.

Les terres où peut se loger la population urbaine croissante sont également peu nombreuses, ce qui entraîne l’expansion des villes sur des terres agricoles ou dans le désert. D’ici à 2050, il faudra peut-être augmenter de 50 % la superficie totale des zones urbaines de la région pour répondre aux besoins d’une population de plus en plus nombreuse.  Notre rapport, intitulé La terre en question, se penche sur la nature et l’ampleur du problème foncier dans la région MENA, ses multiples causes et ce qui peut être fait pour y remédier. Il montre clairement que cette région ne peut plus se permettre de négliger son problème foncier, particulièrement au moment où ses gouvernements doivent faire face aux risques posés par le changement climatique et à la pression démographique.

Globalement, soit les gouvernements ont ignoré la question, soit ils y ont répondu des trois manières suivantes : i) beaucoup de pays ont mis en valeur leurs terres désertiques (pour y pratiquer l’agriculture et y construire des villes), ce qui a produit des résultats mitigés et a accru les pressions sur une ressource encore plus rare : l’eau ; ii) certains pays ont limité l’occupation des sols pour atteindre leurs objectifs stratégiques (comme la souveraineté alimentaire), mais, ce faisant, ont plutôt entraîné une perte d’efficacité — une anecdote intéressante qui illustre ce point dans le rapport est celle d’agriculteurs locataires de terres publiques fertiles qui se plaignent d’être tenus par leur gouvernement de produire du lait au lieu de mettre ces terres en culture ; et iii) au cours des 15 dernières années, certains des pays les plus pauvres en terres de la région ont acheté (ou du moins essayé d’acheter) de vastes étendues de terres ailleurs pour produire des denrées de base qu’ils renvoient ensuite chez eux, une pratique qui a suscité une certaine controverse à l’échelle internationale.

Bien que l’on comprenne parfaitement pourquoi ces mesures ont vu le jour, elles ne résoudront manifestement pas le problème. D’une certaine manière, elles pourraient même l’aggraver. Dans notre dernier rapport en date, nous faisons valoir que le problème est en grande partie dû à la mauvaise gouvernance des terres, qui empêche que celles-ci soient utilisées de manière efficace. La mauvaise gouvernance foncière a de nombreuses causes, allant de cadres juridiques complexes à l’omniprésence de l’État, à la fragmentation institutionnelle, au manque de reconnaissance des principes du marché, au manque de transparence, à la faiblesse des droits fonciers des femmes et, éventuellement, à des politiques malavisées.

Même les pays MENA qui affichent une meilleure gouvernance foncière (à savoir les pays plus riches du Golfe) connaissent d’énormes défaillances en matière d’utilisation des terres, qu’il s’agisse de l’existence d’exploitations agricoles à forte intensité d’eau dans le désert ou de vastes étendues de terres inoccupées dans leurs villes. Par voie de conséquence, la mauvaise gouvernance et l’occupation inefficace des terres pourraient entraîner des coûts prohibitifs pour toutes les économies de la région (alors que les entreprises peinent à accéder à la terre et que les gouvernements ne sont pas en mesure de générer des revenus à partir du foncier).

Après l’Afrique subsaharienne, c’est dans la région MENA que les entreprises ont le plus de difficultés à accéder à la terre. Jusqu’à 23 % des entreprises de cette région considèrent en effet la terre comme un obstacle majeur ou sérieux à leur activité. De surcroît, les gens ont du mal à se procurer des terrains pour se loger. Les bidonvilles sont très répandus, accueillant, selon les estimations plus de 24 % de la population urbaine. Et l’impôt foncier est peu utilisé pour générer des recettes, voire inexistant.

Les questions foncières freinent le développement de la région MENA, entravent la diversification de son économie et l’empêchent de se départir du modèle de rente pétrolière. Si elles ne sont pas résolues, il est à craindre que le changement climatique, l’accroissement des inégalités et le mécontentement social aient des conséquences encore plus graves sur cette région.

Bien que tous les pays MENA ne soient pas touchés avec la même intensité (car certains sont plus pauvres en terres tandis que d’autres en possèdent relativement plus, mais affichent une gouvernance foncière nettement moins bonne), il est indispensable de définir les droits de propriété, autrement dit de préciser qui possède quoi. Mais cela ne suffira pas. Les terres domaniales doivent être gérées de manière plus efficace et plus transparente. Les biens immobiliers doivent être mieux évalués (aux prix du marché) et soumis à l’imposition. Les droits fonciers des femmes doivent également être mieux protégés.

Le rapport La terre en question fait une analyse approfondie de ces questions (et de bien d’autres), dans l’espoir d’alimenter le débat fort nécessaire sur la réforme foncière. Au regard des faits qui y sont présentés, nous estimons que, compte tenu des crises climatiques, sociales et politiques qui touchent la région, les questions foncières ne peuvent être négligées guère plus longtemps. 


Auteurs

Anna Corsi

Senior Land Administration Specialist, Social, Urban, Rural and Resilience (SURR) Global Practice

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