Publié sur Voix Arabes

Vers une région MENA dynamique : réduire le déficit d’emplois

Les employés travaillent sur le spectacle Albasheer à Amman, en Jordanie. Shutterstock.com/Sébastien Castelier Les employés travaillent sur le spectacle Albasheer à Amman, en Jordanie. Shutterstock.com/Sébastien Castelier

La région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) possède un important vivier de talents sous-exploités, avec le taux de chômage parmi les jeunes le plus élevé au monde et la participation des femmes à la vie active la plus faible. Les emplois de qualité, caractérisés par une rémunération attractive ou un statut formel, restent rares, tandis que l’emploi privé demeure en grande partie à faible valeur ajoutée.

Si cette phrase vous semble familière, c'est parce qu'elle ouvrait déjà un rapport de la Banque mondiale en 2013 sur l’emploi dans la région MENA. Depuis, bien des événements ont bouleversé la région et le monde. À la suite du Printemps arabe, des pays comme l’Iraq, la Libye, la Syrie et le Yémen ont sombré dans des conflits et une fragilité persistante. Le Liban, après une période de prospérité, a plongé dans l’une des récessions les plus graves de l’histoire récente. Malgré des déséquilibres budgétaires et des déficits courants, la Jordanie et l’Égypte ont connu une croissance régulière, tandis que le Maroc s’est imposé comme un leader en matière d’intégration aux chaînes de valeur mondiales. Les pays du CCG ont intensifié leurs efforts de diversification économique. En 2023, un nouveau conflit dévastateur a éclaté, redéfinissant les équilibres géopolitiques au Levant et au-delà. À l’échelle mondiale, les prix du pétrole ont connu des fluctuations spectaculaires, chutant fortement en 2015 avant d’atteindre des sommets inattendus en 2022. L’automatisation a redéfini les dynamiques du marché du travail, tandis que l’essor des géants technologiques a transformé le paysage du secteur privé. Une pandémie a frappé le monde entier. L’intelligence artificielle générative est désormais capable de découvrir de nouvelles molécules. Et pourtant, les constats établis en 2013 pour la région MENA restent d’actualité : le chômage des jeunes atteint toujours 25 %, conservant son triste record mondial, et la participation des femmes au marché du travail, à seulement 16 %, demeure la plus faible au monde.

Comme l'a souligné le président du Groupe de la Banque mondiale, Ajay Banga, la création d'emplois constitue l'un des moyens les plus efficaces de lutter contre la pauvreté. L'emploi est essentiel pour libérer ce potentiel : il offre de l'autonomie aux femmes et de l'espoir aux jeunes générations. Cela est particulièrement vrai pour la région MENA, où 54 % de la population a moins de 30 ans. Si la région parvenait à instaurer la paix et à mettre en œuvre des réformes structurelles profondes, elle pourrait pleinement capitaliser sur son potentiel démographique.

Les enjeux sont considérables, mais les opportunités le sont tout autant. Pour illustrer cette dynamique, une statistique frappante : d'ici 2050, près de 300 millions de jeunes dans la région MENA seront à la recherche d'un emploi. Mais d’où proviendront ces emplois ? À l’échelle mondiale, c’est le secteur privé qui est le moteur principal de la création d'emplois. Quelles sont donc les conditions nécessaires pour que ce secteur se développe et génère des emplois à forte productivité dans la région MENA ? 

Prenons l'exemple de l'éducation et de la participation au marché du travail. Avec 60 % de la population de la région MENA possédant désormais au moins un diplôme du premier cycle de l'enseignement secondaire, la région a enregistré une augmentation de 40 % du nombre moyen d'années de scolarité au cours des 20 dernières années, soit la progression la plus rapide au monde. Comment les programmes d'études devront-ils évoluer pour doter les jeunes des compétences nécessaires afin de soutenir un secteur privé dynamique et stimuler l'innovation ?

Si la scolarité s'est améliorée, l'emploi reste stagnant, principalement en raison de la faible participation des femmes au marché du travail. Dans des pays comme l'Égypte, l'égalisation du taux d'emploi entre hommes et femmes pourrait, à long terme, entraîner une augmentation du PIB par habitant de 50 %. Quels changements, notamment en termes de disponibilité et d'accessibilité financière des services de garde d'enfants et de soins aux personnes âgées, de protection des droits, et de levée des obstacles réglementaires, pourraient permettre de concrétiser ces gains ?

Un autre défi majeur est l'informalité généralisée. En Égypte, par exemple, l'emploi informel représentait 69 % de l’emploi total en 2018. Dans des pays comme le Maroc et la Jordanie, ces chiffres s'élèvent respectivement à 59 % et 77 %. La situation devient encore plus préoccupante lorsque l’on compare ces chiffres à ceux de l’emploi dans le secteur privé. En Égypte, environ 86 % de l'emploi privé est informel, tandis qu'au Maroc et en Jordanie, ces taux sont respectivement de 84 % et 75 %. Dans un tel contexte, quelles réglementations, structures de formation continue et réformes des systèmes de retraite pourraient être mises en place pour stimuler le dynamisme des marchés du travail tout en offrant une protection aux travailleurs contre les risques ?

Les vulnérabilités émergentes constituent également une préoccupation majeure. Alors que le changement climatique s'intensifie et que les prix du pétrole sont en déclin, quelles actions politiques peuvent être entreprises pour diversifier les économies, réduire la dépendance au pétrole et stimuler une croissance inclusive dans les pays producteurs d'hydrocarbures ? 

Dans un contexte marqué par d'importantes inégalités spatiales et une mobilité interne restreinte, comment les villes peuvent-elles créer les écosystèmes nécessaires pour favoriser une croissance soutenue dans les secteurs manufacturier et tertiaire, particulièrement générateurs d'emplois ?

Dans l'ensemble, qu'il s'agisse de pays riches ou pauvres en ressources, de nations exportatrices de main-d'œuvre ou de pays à faible population autochtone dépendant de l'immigration, ou encore des défis de fragilité croissante et des crises humanitaires dévastatrices qui coexistent avec certaines des sociétés les plus prospères du monde, la région MENA se distingue par une diversité remarquable. De toute évidence, aucune approche unique ne permettra de créer miraculeusement les emplois nécessaires pour stimuler la croissance et en faire un processus inclusif.

Les raisons même pour lesquelles il est difficile de concevoir une solution universelle pour l'emploi dans la région MENA sont aussi celles qui font d'elle un terreau fertile pour les idées nouvelles. À cet égard, nous souhaitons créer un espace d'échange pour explorer diverses solutions et approches en matière de création d'emplois dans la région. Votre participation est la bienvenue. Nous comptons sur vos retours.

 


Ousmane Dione

Vice-président, Moyen-Orient et Afrique du Nord

Roberta Gatti

Économiste en chef, Moyen-Orient et Afrique du Nord

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