Publié sur Voix Arabes

Moyen-Orient et l’Afrique du Nord : C'est maintenant qu'il faut agir

Berber kids in the village in High Atlas Mountains of Morocco. (Shutterstock.com/Sergiy Velychko) Berber kids in the village in High Atlas Mountains of Morocco. (Shutterstock.com/Sergiy Velychko)

Les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord ne peuvent pas se permettre d’attendre la fin de la pandémie de COVID-19 pour engager la reconstruction de la région.

La semaine dernière, la Banque mondiale présentait son Rapport 2020 sur la pauvreté et la prospérité partagée, une publication bisannuelle qui dresse un état des lieux aussi exhaustif que possible de la pauvreté dans le monde. Ses conclusions seront au cœur des discussions de la Banque mondiale à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, le 17 octobre prochain.

 

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Le rapport dépeint un sombre tableau. Pour la première fois depuis 1988, quand la Banque mondiale a commencé à suivre l’évolution de l’extrême pauvreté dans le monde, le taux de pauvreté augmente. En 2020, entre 88 et 115 millions de personnes supplémentaires basculeront dans l’extrême pauvreté, ce qui signifie qu’entre 703 et 729 millions d’individus vivront avec moins de 1,90 dollar par jour. La pandémie de COVID-19 y est pour beaucoup, mais les conflits et le changement climatique entrent également en ligne de compte. L’objectif d’éliminer l’extrême pauvreté dans le monde à l’horizon 2030, qui semblait naguère atteignable, est désormais presque hors de portée.

Si la situation internationale est préoccupante, les données sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA) traduisent une réalité encore pire. Avant la survenue de la pandémie, cette région était la seule au monde à connaître une progression de l’extrême pauvreté, à cause des conflits au Yémen, en Libye et en Syrie. Le ralentissement économique du Liban est venu accentuer cette tendance. Et le coronavirus n’a fait qu’aggraver les choses : à lui seul, il devrait faire basculer trois millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté dans la région MENA. Des chiffres qui, malheureusement, sous-estiment probablement la réalité de son impact sur les plus démunis. Des enquêtes par téléphone révèlent l’ampleur des pertes de moyens de subsistance et la manière dont la pauvreté se propage à des profils jusque-là relativement épargnés par la pauvreté : les citadins et les petits entrepreneurs (informels). Le chômage, qui atteignait déjà des records avant la crise, a explosé, réduisant comme peau de chagrin les perspectives d’emploi très limitées des jeunes et des femmes. L’insécurité alimentaire gagne du terrain et les violences sexistes se multiplient.

La pandémie aura des effets durables. Le nombre d’élèves décrocheurs a augmenté, compromettant le devenir économique de la prochaine génération avec, pour corollaire, une aggravation des performances déjà médiocres de la région sur le plan du capital humain. L’alourdissement de la dette publique, l’épuisement des réserves de change et le ratio élevé de prêts non productifs sont autant de signes de conséquences qui perdureront longtemps. Les capacités du secteur public à relancer l’économie une fois la pandémie maîtrisée sont restreintes. Pire encore, la détérioration des finances publiques, plombées par un recouvrement des impôts en recul, laisse craindre des coupes dans les services publics.

Le coronavirus a frappé une région où la satisfaction de vivre était déjà en chute libre. Cet indicateur prend une résonance particulière dans les pays de la région MENA puisqu’il était le seul, avant le Printemps arabe, à suggérer un certain malaise. Les mesures traditionnelles du développement — PIB, coefficient de Gini et réduction de l’extrême pauvreté — ne renvoyaient à cette époque-là aucun signal d’alerte. Mais des indicateurs moins conventionnels du bien-être, comme la satisfaction de vivre, laissaient entrevoir un mécontentement croissant qui s’est traduit par des mouvements citoyens de grande ampleur.

Dans le sillage du Printemps arabe, en 2011, l’indicateur de la satisfaction de vivre a continué de s’effondrer, avant de rebondir dans les trois années qui ont suivi. Mais depuis 2015, la tendance est à nouveau à la baisse, d’autant plus nette que les trois pays ayant basculé dans la guerre civile après 2011 sont exclus des calculs. La situation dans la région MENA contraste fortement avec celle du reste du monde, où la satisfaction de vivre a augmenté. Avant la survenue de la pandémie, le degré de satisfaction de vivre dans onze des 14 pays de la région pour lesquels des données sont collectées était inférieur à son niveau pré-Printemps arabe.  

Ce recul de la satisfaction de vivre est, en tant que tel, un motif de préoccupation. Conjuguée à la dégradation d’autres indicateurs du développement, cette évolution est alarmante — notamment parce que les citoyens politiquement engagés sont particulièrement durement pénalisés par la détérioration des résultats économiques. Plus de la moitié des personnes en situation d’extrême pauvreté dans la région MENA ont moins de 15 ans ; le chômage est extrêmement élevé parmi les jeunes ; et les nouveaux pauvres vivent essentiellement en ville. En temps normal, le chômage et le mécontentement des jeunes urbains rendent la situation explosive. Imaginez un peu l’accumulation des frustrations quand la plupart doivent rester confinés chez eux…

 

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S’il est toujours bon d’encourager le militantisme politique, le Printemps arabe n’a pourtant pas eu que des conséquences positives. Seuls des responsables politiques proactifs peuvent canaliser l’énergie de la jeunesse au service d’objectifs qui amélioreront la situation de tous. Pour cela, il faut des mesures allant au-delà des dispositions prises pour gérer la pandémie, à l’instar de la hausse des transferts sociaux, des investissements dans les soins de santé ou de la fourniture de services en ligne. Ces réformes ne sont malheureusement que rarement engagées. Les financements à l’appui de politiques de développement, qui reposent sur la mise en œuvre de programmes de réforme ambitieux, est réduit à la portion congrue. Et les initiatives visant à accélérer la transformation numérique ou à renforcer la compétitivité et la transparence progressent à un rythme inadapté à l’urgence de la situation.

Le moment est venu de lancer des réformes vigoureuses, de prouver une détermination à « reconstruire en mieux » et d’améliorer ainsi les perspectives de millions de citoyens. Le Rapport 2020 sur la pauvreté et la prospérité partagée et d’autres indicateurs du développement rappellent que l’heure n’est pas à l’autosatisfaction. Bien au contraire, c’est le moment d'agir.

Ce billet est le premier d’une série initiée par Ferid Belhaj (vice-président pour la région MENA) et Nadir Mohammed (directeur régional Croissance équitable, finance et institutions) et consacrée aux axes d’action de la Banque mondiale pour aider les pays à surmonter la pandémie de COVID-19 et ses conséquences socioéconomiques.


Auteurs

Ferid Belhaj

Vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord

Nadir Mohammed

Directeur régional Croissance équitable, finance et institutions pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

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