Ce billet a fait l’objet d’une première publication dans Future Development.
Alors que les combats continuent de faire rage dans plusieurs pays du Moyen-Orient (Iraq, Libye, Syrie et Yémen), les 15 à 16 millions de réfugiés et personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays à cause des conflits (a) représentent un phénomène inédit et dont l’ampleur ne fait que s’accentuer. Une proportion significative de ces exilés se trouve dans sept pays (Égypte, Iraq, Jordanie, Liban, Libye, Tunisie et Turquie), tandis qu’un nombre considérable d’entre eux cherche refuge en Europe et que, d’autres, moins nombreux, ont trouvé asile à Oman (a), en Somalie (a) ou ailleurs. Alors que les États s’efforcent de faire face au problème, les tensions qui montent entre les communautés locales et ces populations, du Liban (a) au Kurdistan iraquien (a), en passant par Bagdad (a), les incitent à amorcer au plus vite un processus de retour.
Cela ne pourra toutefois se produire qu’une fois la paix revenue et le processus de réconciliation engagé. Et même alors, leur contrée d’origine sera peut-être bien différente de ce qu’elle était lorsqu’ils l’ont quittée. Malgré les investissements consentis dans le logement, les services et les infrastructures de base, seuls les individus se sentant en sécurité reviendront, et il se pourrait que ce ne soit pas ceux qui avaient été contraints au départ.
De nombreuses raisons expliquent qu’il est de plus en plus difficile de rentrer chez soi à mesure que les années passent. Quelques-unes sont relativement anodines : les populations rurales, par exemple, qui ont trouvé refuge en ville tendent à oublier leur savoir-faire agricole ou à se désintéresser de leurs anciennes activités ; il arrive aussi que des individus nouent des liens familiaux en dehors de leur ancienne communauté. D’autres raisons sont plus graves : les conflits qui font rage en Syrie et en Iraq, à l’origine d’un nombre croissant de déplacements à caractère ethnique et religieux avérés ; les violentes attaques de l’organisation État islamique (EI) contre les yézidis (a) ou les opposants sunnites (a), sans oublier les actes barbares dont sont victimes les populations chrétiennes (a) et chiites (a). Et la liste ne s’arrête pas là, d’exemples de communautés spécifiques qui sont déplacées ou cibles d’attaques.
En Iraq, la progression de l’hégémonie kurde à Kirkouk et ses environs a conduit à un déplacement des populations arabes qui vivaient jusqu’alors dans des régions arabo-kurdes. Pour Wladimir van Wilkenburg, qui tient une chronique sur le site Al-Monitor (a), « […] les Kurdes ne veulent pas voir les Arabes revenir après les massacres perpétrés contre les yézidis, ils ont également le sentiment qu’ils [les Arabes] ont été les alliés de l’EI. Avant l’EI, les relations entre Arabes et Kurdes étaient bien meilleures dans la région. » Pour le moment, le nombre de personnes déplacées reste relativement limité, mais cela pourrait changer.
En Iraq et en Syrie, le conflit religieux entre les alaouites/chiites et les sunnites mène à une situation quasi irréversible sur le terrain. En Iraq, 85 % des PDI sont sunnites (a). En mars 2015, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a publié une étude complète sur la violation des droits de l’homme par l’EI et les forces pro-iraquiennes (a), dans laquelle il accuse l’organisation de s’être rendue coupable de persécutions l’encontre des yézidis qui pourraient constituer un génocide et des crimes contre l’humanité. Le rapport affirme également que les milices chiites ont participé à des brutalités et à un nettoyage religieux. Human Rights Watch précise « qu’au moins 47 villages à majorité sunnite ont fait l’objet de destructions de bâtiments méthodiques, guidées par une soif de vengeance et la volonté de modifier la composition démographique des provinces de Salâh ad-Dîn et Kirkouk, historiquement très diverse » (a). Les violences touchent également les communautés sunnites qui subsistent, notamment à Samarra (a) et Bagdad (a), tandis que les quartiers chiites continuent à subir des frappes aériennes.
Avec les Kurdes qui tiennent fermement le nord du pays et entendent se battre pour préserver, voire étendre leur territoire, et les déplacements ethniques au nord et au sud de Bagdad visant à renforcer la majorité chiite qui peuple ces régions, la volonté de déplacer le combat vers les provinces sunnites de l’ouest du pays semble amoindrie, d’autant que l’armée iraquienne est affaiblie (a). L’alternative repose sur les milices chiites, mais le recours à ces groupes pose de sérieux problèmes dans les zones à majorité sunnite. Lorsque ces milices ont repris à l’EI la ville sunnite de Tikrit, où est né Saddam Hussein, la population sunnite a fui définitivement.
De la même façon, en Syrie, environ 90 % (a) de la population de réfugiés et de déplacés internes — nettement plus nombreuse qu’en Iraq —est sunnite. Ici aussi, on assiste à des déplacements ethniques et à des destructions d’actes de naissance et de propriété, dans l’objectif de chasser les populations et de sécuriser le couloir entre Damas, Homs et la côte syrienne afin d’assurer une continuité géographique et démographique entre les zones occupées en Syrie et au Liban. Plusieurs rapports, dont celui élaboré par Naame Shaam, un groupe de militants libanais, iraniens et syriens (a) utilisant des sources en libre accès (photographies satellite notamment), recensent ces exactions. Nombre de Syriens réfugiés dans le nord du Liban sont originaires de ce couloir, et la question de leur retour s’avère pour le moins épineuse (a). Le pays se déchire sur des considérations religieuses et ethniques, tandis que les Kurdes contrôlent le nord-est, qu’ une opposition fraîchement redynamisée (a) s’empare du nord-ouest et d’autres territoires à majorité sunnite, et que l’EI marche vers l’est pour s’emparer de Damas et poursuivre sa progression en combattant le gouvernement et les autres forces d’opposition. Les lignes qui se dessinent impliquent des déplacements de populations et leur remplacement par des communautés « convenables ».
De toute évidence, la situation actuelle ne permet pas d’envisager un processus de retour significatif et durable. Les combats incessants, notamment dans les villes de Mossoul et Alep, annoncent d’autres tragédies humaines et déplacements de populations. La communauté internationale se doit d’assister les personnes déplacées autant que les communautés d’accueil. Cependant, elle doit également faire entendre fortement sa voix sur ces crimes, ne serait-ce que pour ralentir le rythme des nettoyages à caractère religieux et inciter certaines instances comme la Cour pénale internationale à intervenir. Cela permettrait à la fois d’aider les populations civiles désemparées, mais aussi ceux qui recherchent des solutions plus inclusives, comme le gouvernement iraquien actuel. Si le silence perdure autour des nettoyages ethniques, la région sera plongée dans la tourmente dans les décennies à venir.
Alors que les combats continuent de faire rage dans plusieurs pays du Moyen-Orient (Iraq, Libye, Syrie et Yémen), les 15 à 16 millions de réfugiés et personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays à cause des conflits (a) représentent un phénomène inédit et dont l’ampleur ne fait que s’accentuer. Une proportion significative de ces exilés se trouve dans sept pays (Égypte, Iraq, Jordanie, Liban, Libye, Tunisie et Turquie), tandis qu’un nombre considérable d’entre eux cherche refuge en Europe et que, d’autres, moins nombreux, ont trouvé asile à Oman (a), en Somalie (a) ou ailleurs. Alors que les États s’efforcent de faire face au problème, les tensions qui montent entre les communautés locales et ces populations, du Liban (a) au Kurdistan iraquien (a), en passant par Bagdad (a), les incitent à amorcer au plus vite un processus de retour.
Cela ne pourra toutefois se produire qu’une fois la paix revenue et le processus de réconciliation engagé. Et même alors, leur contrée d’origine sera peut-être bien différente de ce qu’elle était lorsqu’ils l’ont quittée. Malgré les investissements consentis dans le logement, les services et les infrastructures de base, seuls les individus se sentant en sécurité reviendront, et il se pourrait que ce ne soit pas ceux qui avaient été contraints au départ.
De nombreuses raisons expliquent qu’il est de plus en plus difficile de rentrer chez soi à mesure que les années passent. Quelques-unes sont relativement anodines : les populations rurales, par exemple, qui ont trouvé refuge en ville tendent à oublier leur savoir-faire agricole ou à se désintéresser de leurs anciennes activités ; il arrive aussi que des individus nouent des liens familiaux en dehors de leur ancienne communauté. D’autres raisons sont plus graves : les conflits qui font rage en Syrie et en Iraq, à l’origine d’un nombre croissant de déplacements à caractère ethnique et religieux avérés ; les violentes attaques de l’organisation État islamique (EI) contre les yézidis (a) ou les opposants sunnites (a), sans oublier les actes barbares dont sont victimes les populations chrétiennes (a) et chiites (a). Et la liste ne s’arrête pas là, d’exemples de communautés spécifiques qui sont déplacées ou cibles d’attaques.
En Iraq, la progression de l’hégémonie kurde à Kirkouk et ses environs a conduit à un déplacement des populations arabes qui vivaient jusqu’alors dans des régions arabo-kurdes. Pour Wladimir van Wilkenburg, qui tient une chronique sur le site Al-Monitor (a), « […] les Kurdes ne veulent pas voir les Arabes revenir après les massacres perpétrés contre les yézidis, ils ont également le sentiment qu’ils [les Arabes] ont été les alliés de l’EI. Avant l’EI, les relations entre Arabes et Kurdes étaient bien meilleures dans la région. » Pour le moment, le nombre de personnes déplacées reste relativement limité, mais cela pourrait changer.
En Iraq et en Syrie, le conflit religieux entre les alaouites/chiites et les sunnites mène à une situation quasi irréversible sur le terrain. En Iraq, 85 % des PDI sont sunnites (a). En mars 2015, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a publié une étude complète sur la violation des droits de l’homme par l’EI et les forces pro-iraquiennes (a), dans laquelle il accuse l’organisation de s’être rendue coupable de persécutions l’encontre des yézidis qui pourraient constituer un génocide et des crimes contre l’humanité. Le rapport affirme également que les milices chiites ont participé à des brutalités et à un nettoyage religieux. Human Rights Watch précise « qu’au moins 47 villages à majorité sunnite ont fait l’objet de destructions de bâtiments méthodiques, guidées par une soif de vengeance et la volonté de modifier la composition démographique des provinces de Salâh ad-Dîn et Kirkouk, historiquement très diverse » (a). Les violences touchent également les communautés sunnites qui subsistent, notamment à Samarra (a) et Bagdad (a), tandis que les quartiers chiites continuent à subir des frappes aériennes.
Avec les Kurdes qui tiennent fermement le nord du pays et entendent se battre pour préserver, voire étendre leur territoire, et les déplacements ethniques au nord et au sud de Bagdad visant à renforcer la majorité chiite qui peuple ces régions, la volonté de déplacer le combat vers les provinces sunnites de l’ouest du pays semble amoindrie, d’autant que l’armée iraquienne est affaiblie (a). L’alternative repose sur les milices chiites, mais le recours à ces groupes pose de sérieux problèmes dans les zones à majorité sunnite. Lorsque ces milices ont repris à l’EI la ville sunnite de Tikrit, où est né Saddam Hussein, la population sunnite a fui définitivement.
De la même façon, en Syrie, environ 90 % (a) de la population de réfugiés et de déplacés internes — nettement plus nombreuse qu’en Iraq —est sunnite. Ici aussi, on assiste à des déplacements ethniques et à des destructions d’actes de naissance et de propriété, dans l’objectif de chasser les populations et de sécuriser le couloir entre Damas, Homs et la côte syrienne afin d’assurer une continuité géographique et démographique entre les zones occupées en Syrie et au Liban. Plusieurs rapports, dont celui élaboré par Naame Shaam, un groupe de militants libanais, iraniens et syriens (a) utilisant des sources en libre accès (photographies satellite notamment), recensent ces exactions. Nombre de Syriens réfugiés dans le nord du Liban sont originaires de ce couloir, et la question de leur retour s’avère pour le moins épineuse (a). Le pays se déchire sur des considérations religieuses et ethniques, tandis que les Kurdes contrôlent le nord-est, qu’ une opposition fraîchement redynamisée (a) s’empare du nord-ouest et d’autres territoires à majorité sunnite, et que l’EI marche vers l’est pour s’emparer de Damas et poursuivre sa progression en combattant le gouvernement et les autres forces d’opposition. Les lignes qui se dessinent impliquent des déplacements de populations et leur remplacement par des communautés « convenables ».
De toute évidence, la situation actuelle ne permet pas d’envisager un processus de retour significatif et durable. Les combats incessants, notamment dans les villes de Mossoul et Alep, annoncent d’autres tragédies humaines et déplacements de populations. La communauté internationale se doit d’assister les personnes déplacées autant que les communautés d’accueil. Cependant, elle doit également faire entendre fortement sa voix sur ces crimes, ne serait-ce que pour ralentir le rythme des nettoyages à caractère religieux et inciter certaines instances comme la Cour pénale internationale à intervenir. Cela permettrait à la fois d’aider les populations civiles désemparées, mais aussi ceux qui recherchent des solutions plus inclusives, comme le gouvernement iraquien actuel. Si le silence perdure autour des nettoyages ethniques, la région sera plongée dans la tourmente dans les décennies à venir.
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