Publié sur Voix Arabes

Plus que des routes : les enseignements du projet de corridor de transport en Tunisie

Plus que des routes : les enseignements du projet de corridor de transport en Tunisie Grande arche, vestige d'un aqueduc romain, au bord de la route au sud de Tunis. (Shutterstock.com/Uta Scholl)

Le paysage économique de la Tunisie reflète un schéma de développement dynamique mais inégal. Les villes côtières comme Tunis, Sfax et Sousse constituent des pôles économiques clés, soutenus par des investissements stratégiques, des zones industrielles et des infrastructures développées. Parallèlement, les efforts se poursuivent pour améliorer les opportunités économiques dans l’ensemble des régions, favorisant ainsi une croissance inclusive et équilibrée à l’échelle nationale. 

Les régions côtières affichent des taux de pauvreté relativement faibles — Tunis (3,5 %), Ben Arous (4,3 %) et Ariana (5,4 %), contre une moyenne nationale de 16,6 % — et bénéficient de meilleures opportunités d’emploi, ainsi que d’un accès plus favorable aux marchés et aux services publics. En revanche, les gouvernorats de l’intérieur, en particulier dans le nord-ouest et le centre-ouest, continuent de faire face à des perspectives économiques limitées. Les taux de pauvreté élevés dans certaines régions, comme Kairouan (34,9 %), Le Kef (34,2 %) et Kasserine (32,8 %), illustrent les défis persistants liés au développement des infrastructures, à l’investissement et à l’intégration économique1. Pour favoriser un développement plus équilibré à l’échelle nationale, la Tunisie s’emploie à renforcer les liaisons régionales et à améliorer les opportunités de croissance, notamment à travers des investissements dans les infrastructures routières.  

Alors que la densité des routes nationales du pays est en moyenne de 12 km pour 100 km², l’essentiel du réseau est concentré dans les régions côtières2. Le pays dispose de plus de 743 km d’autoroutes3 et 3 938 km de routes nationales4. La principale route côtière, reliant Bizerte à la frontière libyenne via Tunis et Sfax, représente à elle seule 80 % du réseau routier national, facilitant ainsi la circulation rapide des biens et des personnes entre les principales villes du pays. En revanche, les régions de l’intérieur sont confrontées à un réseau routier sous-développé, marqué par des embouteillages fréquents et des routes à voie unique inadaptées au transport des produits agricoles et des matières premières Ce manque de connectivité ne se limite pas à entraver l’activité économique : il isole également les entreprises et les communautés rurales, restreignant l’accès à l’emploi, à l’éducation et aux services essentiels, et perpétuant ainsi le cycle des disparités économiques régionales.

C’est dans ce contexte que le gouvernement tunisien a lancé en 2015 le Projet de corridor de transport routier (PMCTR), avec un financement de 230 millions de dollars de la Banque mondiale, afin d’améliorer la connectivité entre les régions intérieures et les pôles économiques côtiers. Le projet avait pour objectif de réduire la durée des trajets, de renforcer la sécurité routière et d’améliorer l’accessibilité aux grands centres économiques, rendant ainsi les régions en retard de développement plus attractives pour les investissements privés et permettant aux entreprises locales d’accéder à des marchés plus vastes. L’initiative a permis de moderniser 122 kilomètres de routes nationales, améliorant ainsi les liaisons entre Kairouan, Siliana et les villes côtières, ainsi que 25 kilomètres de routes régionales reliant Zaghouan à Tunis, toutes deux mises ene service en 2020. En outre, une route de 55 km dans le sud du pays, entre Tataouine et Médenine, est toujours en construction. 

Depuis son lancement, le projet PMCTR a transformé le quotidien de plus de 370 000 résidents vivant le long des corridors modernisés, en leur offrant des routes plus sûres, plus rapides et plus fiables. Dans un pays marqué par d’importantes disparités régionales, ces améliorations ont été particulièrement bénéfiques pour les régions de l’intérieur du pays, où la pauvreté et le chômage restent élevés. Le projet a également généré 1,2 million journées de travail pour la main-d’œuvre locale, apportant ainsi une dynamique économique essentielle aux communautés situées le long de ces axes routiers.

Une hausse de 3,5 % de l’activité des lumières nocturnes (NTL), un indicateur de l’activité économique, a été observée dans les zones avoisinantes des routes modernisées après l’achèvement des travaux en décembre 2019. Si l’impact des améliorations sur les routes nationales est resté limité, la route régionale reliant Zaghouan et Tunis a enregistré une augmentation notable de 7 % de l’activité des routes non tarifaires, illustrant ainsi le potentiel des investissements stratégiques dans certains corridors pour stimuler la croissance économique locale. Au-delà des bénéfices immédiats, cette approche fondée sur les données permet d’évaluer plus précisément l’impact économique du projet.  

L’amélioration de la connectivité a également permis des réductions significatives des temps de trajet pour les régions les plus enclavées de Tunisie. Kairouan, Siliana, Zaghouan et Kasserine bénéficient désormais d’un accès plus rapide aux centres économiques et aux ports,  réduisant ainsi les coûts de transport pour les entreprises locales. À Kairouan, par exemple, le temps de trajet jusqu’au port le plus proche a diminué de 14 %, tandis que Siliana et Zaghouan ont amélioré leur accès aux pôles industriels de 14 % et 16 %, respectivement. Ces gains de temps illustrent le rôle du projet dans la réduction de l’isolement des régions intérieures, facilitant ainsi l’intégration des agriculteurs, fabricants et petites entreprises aux marchés nationaux et internationaux.

Le Projet de corridors économiques en Tunisie (2024), une nouvelle initiative financée par la Banque mondiale à hauteur de 278 millions de dollars, s’appuie sur les enseignements tirés du PMCTR, en reconnaissant que l’amélioration des routes ne suffit pas, à elle seule, à générer une transformation économique durable. Bien que la connectivité se soit améliorée, les gains monétisés lies à la réduction des temps de trajet pour les principaux produits d’exportation tunisiens — tels que l’huile d’olive et les dattes — représentaient moins de 1 % de la valeur totale de leurs exportations. Ce constat met en évidence la nécessité d’une approche plus intégrée, combinant infrastructures, optimisation des chaînes d’approvisionnement, connectivité du dernier kilomètre et amélioration de la logistique afin de maximiser les bénéfices économiques. Le nouveau projet cible spécifiquement le corridor Sfax-Sidi Bouzid-Kasserine, en adoptant une approche plus stratégique et ciblée pour renforcer la connectivité régionale et stimuler le développement économique. 

Un autre enseignement clé est que l’impact des infrastructures routières varie d’une route à l’autre. L’analyse a révélé que les routes régionales et les voies de desserte du dernier kilomètre généraient des retombées économiques plus importantes que les grands axes routiers. Le nouveau projet intègre cet approche en donnant la priorité à 117 km de routes de desserte rurales, assurant ainsi de meilleures liaisons entre les exploitations agricoles, les marchés et les industries, en particulier dans les zones mal desservies. 

Construire des routes ne suffit pas ; la croissance économique repose également sur l’élimination des goulets d’étranglement logistiques et le soutien aux entreprises locales. Pour remédier à cette situation, le projet combine investissements routiers et appui aux PME (petites et moyennes entreprises), en facilitant leur accès au financement par le biais du fonds IMPACT de la CDC (Caisse des dépôts et consignations). Cette approche intégrée aide les entreprises à se développer et à s’intégrer dans les chaînes de valeur, notamment dans les régions de Kasserine, Sidi Bouzid et Sfax. 

Au-delà des infrastructures, le projet a fortement mis l’accent sur la croissance inclusive, en veillant à ce qu’au moins 30 % des PME soutenues soient dirigées par des femmes. Des initiatives dédiées de renforcement des capacités visent également à stimuler l’esprit d’entreprise et à renforcer la résilience dans le couloir. En donnant la priorité aux liaisons routières à fort impact, en alignant les infrastructures sur les besoins économiques et en favorisant un développement inclusif, le Projet de corridors économiques en incarne une approche plus stratégique et efficace des investissements dans les transports. Il constitue ainsi un modèle pour réduire les disparités régionales et stimuler une croissance durable à long terme.

L’expérience tunisienne met en évidence une leçon clé : l’amélioration des routes, à elle seule, ne garantit pas automatiquement la croissance économique. Si la connectivité joue un rôle crucial, son impact dépend de son intégration aux marchés nationaux et mondiaux. Les investissements les plus efficaces ne se sont pas limités aux grands axes routiers, mais ont également ciblé les routes régionales et de desserte, qui facilitent l’accès direct des entreprises, exploitations agricoles et industries aux pôles économiques. Ainsi, les projets de transport doivent aller au-delà de la simple construction de routes en s’attaquant aux goulets d’étranglement logistiques, en améliorant l’accès aux financements et en s’alignant sur des priorités sectorielles clés, telles que l’agriculture et le commerce. Lorsqu’ils sont accompagnés de mesures complémentaires adaptées, les investissements dans les infrastructures ont le potentiel de générer des impacts économiques encore plus significatifs. 

 

Graphique : Pourcentage de gain de temps vers le port ou le centre industriel le plus proche grâce au projet PMCTR

Graphique : Pourcentage de gain de temps vers le port ou le centre industriel le plus proche grâce au projet PMCTR


Jai Kishan Malik

Young Professional in Transportation Practice, World Bank Group

Dominic Patella

Senior Transport Specialist

Benjamin Stewart

Geographer, Geospatial Operational Support Team, World Bank

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