En route dans un taxi pour la 8e édition des Rendez-vous de la Méditerranée, à Marseille, je tentais de me concentrer sur les principaux arguments que je voulais développer d’ici une heure. Le trajet en avion m’avait un peu fatiguée et je n’avais que peu de temps pour me ressaisir, devant prendre la parole dès mon arrivée. Nous venions d’achever la dernière édition du rapport que la Banque mondiale consacre chaque année à l’évolution et aux perspectives économiques de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), axé cette année sur le parcours des économies concernées depuis leurs différentes révolutions. Il traitait aussi, plus généralement, de l’évolution et des perspectives qui s’offraient à la région après une année de transition.
Je suis arrivée juste à temps pour prendre ma place à la table du panel et découvrir le public, très divers : des universitaires et des hommes d’affaires de la région aux côtés de représentants de grandes organisations multilatérales et de missions diplomatiques. J’étais la dernière à m’exprimer. Auparavant, les autres intervenants avaient abordé les problèmes structurels de leurs pays et les enjeux politiques de la période de transition. S’il s’agit bien là d’aspects cruciaux pour installer une croissance sans exclus, ils ne donnent pas une image complète de la situation. Même en supposant que ces aspects soient correctement traités, on risque de compromettre indéfiniment l’élargissement de leurs bénéfices à long terme, faute de s’attaquer vraiment aux fragilités macroéconomiques.
Quand mon tour est venu, j’en ai donc profité pour orienter la discussion sur les évolutions macroéconomiques et les perspectives à court terme de la région. J’ai d’abord évoqué la situation dans les pays du Printemps arabe — l’Égypte, la Tunisie, la Libye et le Yémen —auxquels notre rapport était plus spécifiquement consacré. Leur redressement, après une période de ralentissement lié aux bouleversements politiques, a été relativement rapide et, dans certains cas, le repli de la croissance observé en 2011 a été moins prononcé que dans d’autres régions du monde ayant déjà connu ce type de changement de régime et de transition. En bref, la situation s’améliore, même si l’avenir n’est pas sans défi.
Globalement, les fondamentaux macroéconomiques se sont en effet affaiblis dans la plupart des pays de la région MENA en 2011-2012, avec une croissance moins alerte que les années précédentes, sachant que les gouvernements ont répondu aux pressions sociales par des mesures budgétaires de relance. Résultat, les déficits se sont creusés, les dettes publiques se sont alourdies et les taux d’intérêt réels ont grimpé. Soucieux d’éviter une dévaluation, les gouvernements ont puisé dans leurs réserves de change, parfois sans retenue. La bonne tenue des cours du pétrole a aidé les pays exportateurs mais aggravé les déficits de la balance courante et du budget dans les pays importateurs, surtout ceux qui subventionnent fortement l’énergie.
Mon intention était de faire passer le message suivant : au moment où les responsables politiques négocient des accords de partage du pouvoir et mettent en place des règles d’engagement, il est crucial de ne pas négliger les fondamentaux macroéconomiques. J’en parle en connaissance de cause, puisque c’est précisément l’erreur qu’a commise mon pays au moment de sa transition, et dont la population a longtemps subi les conséquences. La Bulgarie a chèrement payé de n’avoir pas maîtrisé ses équilibres macroéconomiques dans les années qui ont suivi le changement de régime, en 1989. Le maintien de subventions à des entreprises publiques déficitaires et l’absence de tout ajustement budgétaire ont conduit à un empilement de dettes, intérieures et extérieures, et à une inflation débridée, sans compter le pillage des ressources publiques auquel les gouvernements successifs n’ont pas su mettre fin. Personne n’osait fermer des entreprises qui n’étaient plus rentables, par peur d’augmenter le chômage, celles-ci multipliant les créances douteuses auprès de banques publiques toujours prêtes à les accepter, la banque centrale (non indépendante) continuant elle à subventionner le gouvernement.
Heureusement pour elles, les économies en transition de la région MENA sont plus au fait des mécanismes de marché que ne l’était la Bulgarie et devraient donc éviter la catastrophe. Mais tout cela prouve la rapidité avec laquelle des revers économiques peuvent devenir incontrôlables si l’on ne réagit pas.
J’ai conclu mon intervention en évoquant les incertitudes qui pèsent sur les prévisions économiques. Après une accélération probable de l’activité économique régionale en 2012, la croissance devrait fléchir légèrement en 2013, contrainte par un moindre rebond dans les pays en transition, un tassement du côté des pays exportateurs de pétrole et un environnement mondial morose. La seule grande inconnue tient à la durée des incertitudes, politiques et stratégiques, qui freinent l’investissement privé et les échanges, en particulier dans le secteur des services — sachant que les troubles politiques et sociaux rendent ces prévisions et perspectives fortement susceptibles de révisions à la baisse. C’est pourquoi, si nous avons en effet le devoir de ne pas perdre de vue les aspects macroéconomiques, nous devons aussi garder à l’esprit les défis politiques sur lesquels les autres membres du panel avaient centré leurs interventions, car tous sont inextricablement liés.
Pour plus d’informations sur la question, je vous renvoie à la dernière édition du rapport Economic Developments and Prospects (en anglais - pdf).
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