Publié sur Voix Arabes

13, le nombre qui fait peur ! Amélioration du port de Radès en Tunisie

Port de Rades. Photo: ministère des Transports et de la Logistique , Tunisie Port de Rades. Photo: ministère des Transports et de la Logistique , Tunisie

13, c’est le nombre de bateaux que j’ai pu observer jeudi dernier dans la rade de Carthage. On dit souvent que le nombre 13 porte malchance. Est-ce vrai ? Sans vouloir alimenter la superstition, on pourrait être tenté d’associer ce nombre malheureux à la défaillance des opérations portuaires en Tunisie.

Lors du webinaire de haut niveau du 15 mai dernier sur les opportunités que présente la crise du Covid-19 pour la Tunisie dans une réorganisation des chaines de valeurs mondiales, les discussions se sont orientées sur les impacts néfastes de la crise du coronavirus, mais aussi sur les opportunités de repositionnement économique de la Tunisie. Le pays possède en effet de nombreux atouts pour faire face à la nouvelle réalité dans laquelle nous vivons : la proximité des marchés européens conjuguée à la recherche de chaînes de production et de distribution plus courtes, un modèle économique déjà diversifié, et un capital humain relativement fort. Malheureusement, la faiblesse de la performance logistique du pays, notamment la gestion du port de Radès, pourrait affaiblir ces avantages.

Comme plusieurs autres pays, la Tunisie est dans une situation économique fragile due à la crise du Covid-19. Il serait impardonnable que le pays perde aujourd’hui les opportunités offertes par la réorganisation des chaînes de valeurs internationales en raison d’une gestion portuaire présentant plusieurs défaillances. 

Bien que le port de Radès concentre plus de 80% du trafic de conteneurs et demeure le maillon déterminant de l’intégration de la Tunisie dans les chaînes de valeur régionales et mondiales, ses indicateurs de performance sont en baisse depuis déjà une décennie.

Avec un délai de séjour des conteneurs dans le port de Radès de 18 jours par an en moyenne (contre 10-12 jours il y a dix ans et 6-7 jours dans des pays comme le Maroc), le coût de l’inefficacité des différentes parties prenantes (dont les douanes, les centres en charge du contrôle technique, Tunisia Trade Net (TTN), la Société tunisienne d’acconage et de manutention (STAM), l’Office de la marine marchande et des ports (OMMP), les banques) est très lourd pour l’économie tunisienne. Une réduction de 10 jours des délais d'importation équivaudrait à une diminution des prix à l’importation d'au moins 500 millions de dollars, soit l'équivalent de 1,25 % du PIB, voire plus. Cela aiderait non seulement les citoyens et les entreprises importatrices du pays, mais permettrait aux exportateurs qui utilisent des intrants intermédiaires et des capitaux d’être plus compétitifs. L’amélioration de l’efficacité portuaire réduirait également les délais d'exportation. Des recherches[1] ont montré qu’il suffirait de réduire les délais de dédouanement des exportations d'une journée pour augmenter le revenu des exportations tunisiennes de 400 millions de dollars, soit l’équivalent de1 % du PIB.

Au délai de séjour s’ajoute le délai d’attente des navires en rade, dont la responsabilité incombe principalement à la STAM, qui était de 13 jours en moyenne entre 2016 et 2018. Les systèmes de surveillance de navigation (MarineTraffic AIS ship tracking) indiquent que le 22 mai 2020, neuf à dix bateaux étaient en rade à Radès, alors qu’à Masaxlokk, le hub de Malte, et à Valence en Espagne, il n’y avait aucun bateau en attente. Ces délais d’attente engendrent des coûts supplémentaires pour la STAM et pour l’entreprise. A titre d’exemple, le navire ATLANTIC WEST, arrivé en Tunisie le 28 mars 2020, est resté 36 jours au port (19 jours en rade et 17 jours en déchargement et chargement), sachant que les frais de stationnement collectés par la STAM sont calculés à partir de la date de début de déchargement. Ce même navire, avec le même niveau de chargement et un équipement portuaire identique, resterait un maximum de 2 jours à Valence, et seulement 4 à 6 heures d’attente en rade. Ces inefficacités se traduisent par des coûts additionnels pour l’armateur que la STAM paie en devises, et par conséquent pour le secteur privé. L’entreprise se trouve alors face à deux choix : accroitre son stock de matières premières et de composants pour lutter contre les retards, accusant ainsi une immobilisation financière pesant lourdement sur ses indicateurs financiers, ou alors subir des pénalités liées au retard et risquer de perdre des clients ou des marchés.

Au vu des pertes générées par l’inefficacité du port, pourquoi les réformes structurelles tardent-elle à se mettre en place ? J’aimerais soulever quelques points essentiels :

  1. L’investissement dans des équipements et des solutions techniques modernes est une condition nécessaire mais insuffisante. La STAM a investi dans des équipements et plateformes d’exploitation modernes (Grues à portique RTG, Terminal Operating System TOS, Smart Gates, etc.). Néanmoins, sans revue du modèle organisationnel global favorisant la spécialisation et la séparation des flux entre les rouliers et les conteneurs, l’impact ne sera pas à la hauteur du potentiel et des attentes des investisseurs.
  2. La mise en place d’un modèle de gestion en partenariat public-privé (PPP) semble être difficile. Pourtant, ce modèle offrirait au port de Radès une solution « win-win » qui bénéficierait tant au gouvernement, par une gestion plus efficace des ressources basée sur la performance, qu’au secteur privé et à l’économie tunisienne en général.
  3. Il est essentiel de maintenir un dialogue indépendant et ouvert entre les différents partenaires économiques et sociaux afin de faciliter la mise en œuvre des réformes. La Tunisie a fait preuve dans le passé de capacité à surmonter des difficultés politiques autour de réformes difficiles, et à même obtenu le prix Nobel pour ces efforts. Il serait important pour le pays de profiter à nouveau cet élan afin de surmonter les défis économiques et sociaux actuels.   
  4. La coordination entre les parties prenantes des opérations portuaires et de dédouanement est peu optimale, voire inexistante, chaque entité opérant séparément se préoccupant davantage de ses contraintes internes que du résultat global sur la compétitivité de la Tunisie. Un pilotage de haut niveau des efforts de réforme, orienté vers une meilleure coordination, s’avère donc essentiel.
  5. Pour que l’impact soit perçu par le secteur privé, la digitalisation devrait être appréhendée et mise en œuvre de façon globale, l’objectif étant un processus avec « zéro papier et zéro contact », depuis le dépôt du dossier jusqu’à l’enlèvement de la marchandise, en passant par toutes les phases de traitement et d’émission des autorisations. Bien que la Tunisie soit l’un des premiers pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à utiliser, depuis maintenant 20 ans, un guichet unique électronique de commerce extérieur et de transport - la plateforme Tunisie TradeNet (TTN), la généralisation de la digitalisation des procédures de commerce extérieur est toujours attendue.

Des programmes d’investissement et d’appui aux réformes institutionnelles de la STAM, des douanes et des différentes parties prenantes des opérations portuaires et de commerce international ont été élaborés avec le soutien des partenaires du développement. Il appartient maintenant au gouvernement de mettre en place un nouveau modèle portuaire qui permettra à la Tunisie de se positionner dans le monde de l’après-COVID. Sans amélioration significative de la performance du port de Radès, la Tunisie aura du mal à renforcer son niveau de compétitivité et à être reconnue comme un maillo

 

[1] Hummels; “Trading on Time”by Djankov, Freund and Pham, 2006)

 

Auteurs

Antonius Verheijen

Responsable pays de la Banque mondiale pour la Tunisie

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