Publié sur Voix Arabes

Le paradoxe palestinien, une opportunité

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Au regard de leur faible revenu par habitant (environ 1 500 dollars), les Territoires palestiniens affichent des indicateurs sociaux parmi les plus élevés au monde. En voici quelques exemples :

Malnutrition.La prévalence du retard de croissance (taille trop petite par rapport à l’âge) et de l’émaciation (poids trop faible pour la taille) correspond à un tiers environ de la moyenne des pays à revenu intermédiaire, et elle est comparable à celle de Singapour, de l’Allemagne et des États-Unis.

Santé. Les indicateurs de santé des enfants, tels que les taux de vaccination et les soins prénatals, sont proches de 100 %.

Éducation. Presque tous les enfants de 6 à 12 ans sont scolarisés. Seulement 1 % de la population (sans distinction de sexe, zones urbaines et rurales confondues) est analphabète.

Taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans
(pour 1 000 naissances vivantes)

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Prévalence de l’émaciation
(% d’enfants de moins de cinq ans)

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Ces performances sont d’autant plus remarquables étant donné les difficultés économiques auxquelles les Territoires palestiniens sont confrontés. Contrairement à ce que l’on peut observer dans des pays comme l’Inde, l’Indonésie ou le Pérou, les enseignants sont bien présents en classe et les établissements de santé pourvus de personnel. Pour des raisons qui tiennent probablement au rôle traditionnellement assumé par les organisations de la société civile, les prestataires de services de base semblent responsables devant leurs usagers.

De plus, le niveau d’éducation élevé, en particulier chez les femmes, est de bon augure pour la prochaine génération. Les études sur la survie, la santé et les capacités cognitives des enfants indiquent en effet systématiquement une corrélation avec le niveau d’éducation maternelle. Dans les Territoires palestiniens, la prochaine génération a des chances de bénéficier d’une santé et d’une éducation au moins aussi bonnes que celles de la génération actuelle.

World Bank | Arne Hoel - Le paradoxe palestinien, une opportunitéCependant, alors que la population des Territoires palestiniens est très jeune (70 % des habitants ont moins de 30 ans), les performances du marché du travail sont parmi les plus mauvaises du monde. Le taux de chômage avoisine 40 % à Gaza et 20 % en Cisjordanie. Il est encore plus élevé chez les jeunes, avec environ dix points de pourcentage supplémentaires. Le taux d’activité est faible, surtout celui des femmes, qui est l’un des plus bas des pays en développement (15 %). Et pour les personnes ayant un emploi, les salaires réels sont en recul : les diplômés du secondaire ont vu leur salaire chuter de 25 % entre 1999 et 2009.

La cause la plus évidente de ces problèmes est bien sûr le long conflit qui paralyse la Cisjordanie et la bande de Gaza. La plupart des conflits sont néfastes à l’économie ; mais ici, les effets sont accentués par la dépendance de l’économie palestinienne vis-à-vis d’Israël, pays avec lequel l’Autorité palestinienne est en conflit. De ce fait, le PIB par habitant des Territoires palestiniens est très instable. Après la seconde Intifada, entre 1999 et 2009, il a chuté de 35 %. Les restrictions ont fortement nui à l’emploi, aux échanges et aux recettes fiscales, tous tributaires d’Israël. Le taux de chômage a culminé à 30 %, et est resté nettement supérieur à 20 % en 2009. À Gaza, la situation est particulièrement tendue. À la suite des élections parlementaires et de la formation du gouvernement du Hamas en 2006, une crise budgétaire a éclaté. En 2007, le blocus général de la bande de Gaza y a entraîné une dépression économique, avec un taux de pauvreté atteignant presque 50 %. Le chômage a culminé à 41 % en 2008 et est resté élevé en 2010.

Si le taux de chômage élevé s’explique par les conséquences économiques du conflit, il n’en va pas de même du taux d’activité, notamment de celui des femmes. Certes, ce taux est faible dans l’ensemble de la région MENA (environ la moitié de la moyenne mondiale) et tient à des facteurs sociaux, juridiques et culturels. Mais si l’on observe plus précisément les statistiques relatives aux Territoires palestiniens, elles révèlent des tendances remarquables. Le taux d’activité des femmes augmente lentement, peut-être parce que davantage de femmes cherchent du travail car beaucoup d’hommes sont au chômage. Le taux de chômage des jeunes femmes est plus élevé que celui des jeunes hommes, mais parmi les femmes plus âgées, il est plus faible que celui des hommes, peut-être du fait que la tradition et les normes sociales les dissuadent de chercher du travail.

Par ailleurs, on pourrait se demander pourquoi, malgré la baisse des salaires réels, et donc du rendement de l’emploi, les jeunes Palestiniens continuent à investir dans leur éducation. L’une des raisons pourrait être que la baisse des salaires concerne surtout les moins qualifiés, en premier lieu ceux qui ont perdu leur emploi à la suite de la seconde Intifada. Tandis que les salaires moyens stagnaient ou baissaient, l’écart de salaire entre les diplômés du supérieur et les non-diplômés a continué à se creuser. Comme l’explique un adolescent d’Hébron, « si l’on veut trouver un travail correct, il faut étudier ». De plus, les jeunes en général, et les jeunes femmes en particulier, reconnaissent la valeur intrinsèque de l’éducation pour devenir un citoyen à part entière. « Elle forge le caractère et aide à s’émanciper », déclare une jeune femme qui vit dans le camp de réfugiés de Yebna, à Rafah. Après tout, de nombreuses sociétés en situation de conflit (y compris ma propre communauté, les Tamouls du Sri Lanka) investissent dans l’éducation, le capital le plus facile à transporter.

En somme, le paradoxe palestinien n’est pas un paradoxe : c’est une opportunité. Les jeunes Palestiniens en général, et surtout les jeunes femmes, ont les aptitudes et la motivation nécessaires pour réussir. En dépit des difficultés, la société les soutient, que cela soit par la prestation de services de base ou par l’évolution des mentalités. En outre, les dirigeants ont mis en place des mesures visant à créer des emplois compte tenu des lourdes entraves de la situation palestinienne, par exemple en encourageant le télétravail et l’emploi dans le secteur des technologies de l’information et de la communication. Toutefois, la viabilité de ces réformes dépend de la suppression des restrictions d’accès aux ressources naturelles et aux marchés, ainsi que de l’élimination des obstacles à la croissance du secteur privé, à l’investissement et donc à la création d’emplois.

Si des changements radicaux ne viennent pas rompre ce statu quo, les politiques destinées à soutenir l’emploi et à élargir les opportunités seront peu efficaces, particulièrement à Gaza. En d’autres termes, les restrictions sont encore plus coûteuses qu’elles ne le semblent, si l’on considère le potentiel extraordinaire de ces jeunes qui reste inexploité.


Auteurs

Shanta Devarajan

Teaching Professor of the Practice Chair, International Development Concentration, Georgetown University

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