Tout a commencé lorsque les manifestants se sont mis à scander « Dégage », un cri de ralliement qui s’est propagé à l’hiver 2010 depuis le sud et le centre de la Tunisie jusqu’aux rues de la capitale. Par-delà les hauts et les bas de la transition, on note une constante : les citoyens exigent de l’État qu’il entende leurs doléances et rende davantage compte de son action.
Face aux manifestations de mécontentement évident, mais parmi des revendications multiples et concurrentes, les autorités tunisiennes ont du mal à identifier leurs priorités. Les sondages d’opinion, interdits sous la dictature mais courants aujourd’hui, s’intéressent rarement aux préoccupations quotidiennes des administrés et ne portent guère, notamment, sur l’appréciation des services publics les plus essentiels. Ainsi, pendant longtemps, on n’a pas systématiquement demandé aux citoyens et aux patients ce qu’ils pensaient de l’accessibilité et de la qualité des soins de santé. Dans le cadre d’un projet pilote financé par le Fonds fiduciaire coréen, un groupe de spécialistes de la santé et des technologies de l’information et des communications (TIC) de la Banque mondiale a travaillé avec le ministère tunisien de la Santé afin de mettre au point et de tester dans trois hôpitaux un système permettant de recueillir l’avis des citoyens.
Partir de zéro
La mise en œuvre du projet a été un véritable défi. Donner librement son avis sur les services publics est quelque chose d’inédit pour les Tunisiens, et encore plus pour les prestataires de services publics.
À l’aide d’une nouvelle approche, qui repose sur les dernières technologies en date, ce projet vise à simplifier autant que possible la formulation des commentaires et leur gestion. Il a fallu, pour commencer, développer une nouvelle application logicielle pouvant être administrée par des professionnels de santé et utilisée et comprise par les patients.
Cette application innovante a été développée par un cabinet conseil tunisien, qui s’est appuyé sur deux types de logiciels TIC : LimeSurvey, un logiciel libre de sondage en ligne, et JasperSoft, une plateforme de génération de rapports largement utilisée pour analyser des données collectées à partir de sources diverses.
Une version mobile de cette application a également été conçue pour les tablettes. Elle permet au personnel de collecter des commentaires en arabe et en français depuis n’importe quel site. De même, des kiosques interactifs ont été installés dans le hall d’accueil des hôpitaux afin que les citoyens puissent à tout moment donner leur avis de façon indépendante. Les résultats sont ensuite téléchargés sur un site Web sécurisé auquel ont accès les gestionnaires de projets dans les hôpitaux et au ministère de la Santé.
Cette application effectue une analyse automatisée des réponses au questionnaire, qui fait apparaître des totaux agrégés et des résultats graphiques. En outre, elle permet de recueillir les commentaires de 2 000 citoyens dans trois hôpitaux de manière rapide, techniquement simple et relativement bon marché. Cette précieuse expérience pourrait être reproduite dans d’autres hôpitaux sur l’ensemble du territoire national.
Qu’ont répondu les citoyens ?
Tout d’abord, les citoyens pensent généralement que les médecins et les infirmiers sont compétents, et leur attribuent une bonne note d’un point de vue technique. Cependant, dans tous les autres domaines de leur expérience de l’hôpital, les avis semblent plus circonspects. Les notes attribuées au temps d’obtention des traitements et des résultats d’examens sont très basses, de même que celles relatives à la disponibilité des médicaments, au coût des services et surtout à l’état matériel des installations et équipements hospitaliers.
Les graphiques ci-dessous illustrent les résultats obtenus par l’hôpital Charles-Nicolle à Tunis lors du sondage de novembre 2012.
Il est intéressant de noter que, contre toute attente, l’opinion des citoyens est très similaire d’un hôpital à l’autre, alors que ces trois établissements sont de types différents : un grand hôpital urbain à Tunis, un petit hôpital dans la région septentrionale semi-rurale de Bizerte et un petit hôpital à Médenine, dans le sud du pays, une région économiquement moins favorisée.
Étant donné la facilité d’utilisation de cet outil pour améliorer la prestation des services publics, les autorités tunisiennes réfléchissent à sa généralisation à l’ensemble des hôpitaux publics du pays. L’objectif est de renforcer la confiance de la population par le biais de la participation démocratique et du retour d’information reposant sur des données. Les commentaires des utilisateurs pourront ainsi réellement ouvrir la voie au changement et permettre aux services publics d’être plus à l’écoute des besoins de la population.
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