Il y a quelques jours, je me suis rendu place du Changement, au centre de Sanaa, la capitale yéménite, pour y rencontrer Tawakkol Karman, prix Nobel de la paix. Elle m’a reçu dans sa tente, un endroit simple mais vibrant d’idées, d’énergie, d’amour pour le Yémen et de désir de changement.
Cette visite m’a rappelé notre campement à l’université de Birzeit, en Cisjordanie, où j’ai fait mes études dans les années 80. J’étais un jeune étudiant qui, comme Tawakkol, était plein d’énergie, d’espoir et de désir de changement, pour une Palestine libre et un État démocratique dans lequel musulmans, juifs et chrétiens pourraient vivre ensemble en bons voisins et avec les mêmes droits. Ce rêve n’a malheureusement jamais paru aussi lointain qu’aujourd’hui. Quand, à la fin des années 80, je suis parti vivre aux États-Unis, mon père m’a serré très fort dans ses bras et, les larmes aux yeux, m’a dit : « va et ne reviens jamais en Palestine, cette terre ne sera jamais sûre ». Il avait raison, hélas.
Je suis pourtant revenu dans le monde arabe, pour y vivre ce moment historique. À l’instar de beaucoup d’autres, je n’ai jamais pensé que nous verrions ce moment de notre vivant, cette histoire en marche. J’ai dit à Tawakkol que c’était à elle, et aux millions d’autres jeunes arabes, que je devais mon retour dans le monde arabe. Je ne pouvais pas me contenter de regarder ce qui se passait à la télévision. Je voulais prendre part à ce changement.
Assis sur des coussins, nous avons parlé avec Tawakkol de multiples sujets. Du réveil arabe en Tunisie, en Égypte, au Yémen, en Libye, à Bahreïn et en Syrie. Des moyens d’atteindre les objectifs de la révolution au Yémen, d’y construire un État moderne, reposant sur la prééminence du droit, la séparation des pouvoirs, l’égalité des chances pour tous, une économie forte et la lutte contre la corruption et le népotisme. De la façon de canaliser l’énergie et l’enthousiasme des jeunes dans des projets créatifs et des activités économiques. Nombreux sont les jeunes qui viennent trouver Tawakkol avec des idées de petite entreprise novatrices mais qui manquent d’accès au crédit et d’aide technique pour les concrétiser. Cette jeunesse risque de perdre courage si un changement véritable ne survient pas assez rapidement au Yémen.
Nous avons aussi évoqué le cas d’autres pays qui ont connu des révolutions analogues, comme l’Indonésie, les Philippines, l’Ukraine, la Géorgie et d’autres pays arabes. Certains sont parvenus à produire un véritable changement, d’autres ont échoué. Nous avons parlé longuement de l’Indonésie, où l’ancien système et le nouveau ont coexisté quelque temps (c’est d’ailleurs ce qui se passe actuellement au Yémen). Autre grande similitude entre le Yémen d’aujourd’hui et la transition post-Suharto en Indonésie : les revendications d’autonomie de plusieurs provinces. À l’époque, je travaillais en Indonésie et nul ne pensait que ce pays resterait uni. Il l’est resté, mais au prix de profondes réformes économiques, d’une décentralisation véritable, d’une lutte acharnée contre la corruption, de l’ouverture d’un dialogue entre l’État et la société civile, et de bien d’autres grandes réformes. Aujourd’hui, l’Indonésie est l’un des pays d’Asie de l’Est les plus prospères, et Tawakkol a suggéré de se pencher sur cette réussite pour en tirer peut-être de précieux enseignements pour le Yémen.
Et nous avons parlé de la façon donc la Banque mondiale peut aider le Yémen maintenant. Il y aura des discussions supplémentaires, auxquelles la société civile sera largement associée, dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie intérimaire pour la transition. Nous avons lancé ce processus en travaillant avec le gouvernement yéménite et d’autres partenaires au développement pour étudier l’impact socio-économique de la crise. Cette analyse permettra de définir les priorités d’action de la Banque. J’ai précisé à Tawakkol que nous nous efforçons de mener à bien cette tâche en toute transparence, en communiquant non seulement avec les représentants de l’État, mais également avec la société civile, les milieux universitaires, les associations de jeunes et dans différentes régions du pays.
Après cette rencontre, j’ai repensé à mon propre passé, à l’amour et à l’énergie que j’ai pour mon pays, la Palestine. Tawakkol et les autres jeunes yéménites ont fait la révolution, et réussi à faire l’histoire. Ils aiment le Yémen tout autant que n’importe quel membre du gouvernement. Ils méritent de contribuer à façonner l’avenir de leur pays en étant de véritables partenaires dans le dialogue national.
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