Publié sur Voix Arabes

Les médias sociaux et le Printemps arabe: Mais où ont-ils appris ça ?

ImageMon travail de consultant pour les affaires extérieures auprès du département Moyen-Orient et Afrique du Nord de la Banque mondiale m’a permis d’être très au fait des analyses traitant du développement de cette région. Ces travaux s’attachent en particulier à déterminer pourquoi les taux de chômage sont aussi incroyablement élevés dans la région. Bien plus élevés que dans n’importe quelle autre région en développement, et surtout parmi les diplômés de l’enseignement supérieur. C’est un aspect essentiel du contexte économique dans lequel s’est inscrit ce que l’on a appelé le Printemps arabe, et l’une des sources du mécontentement qui a poussé la population à descendre dans la rue. Les analyses identifient plusieurs causes bien connues : le manque de diversification de l’économie, la forte dépendance vis-à-vis du pétrole, à la fois pour les pays producteurs et pour les pays importateurs, et la très petite taille du secteur privé, puisque l’État reste le principal acteur économique dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA), et continue donc de dominer les marchés du travail locaux. Cependant, la crise financière mondiale met le secteur public aux prises avec des difficultés.

Il est certain que tous ces facteurs entrent en ligne de compte, mais, quand il s’agit de répondre à la question épineuse de savoir pourquoi la hausse des taux d’inscription dans l’enseignement supérieur (l’une des réussites les plus notables de cette région) ne s’accompagne pas de davantage de créations d’emplois, une explication est couramment avancée : le décalage entre les compétences et les besoins. Les compétences enseignées ne correspondent tout simplement pas aux attentes de la nouvelle économie mondiale.

La contestation, des exportations les plus fructueuses de la région MENA

Pourtant, le Printemps arabe a révélé l’existence d’une génération qui connaît parfaitement les technologies, et qui a trouvé des moyens ingénieux de les utiliser pour s’organiser et se mobiliser. Une génération qui, de toute évidence, est également capable de mener une réflexion critique et qui sait communiquer : elle a indubitablement su discerner et exprimer un sentiment collectif d’exclusion économique et politique. Sur la place Tahrir, elle a fait montre d’une grande créativité et d’un grand sens de l’initiative. Tout un pan de la société égyptienne a réussi à se rassembler et à créer une communauté opérante, qui repose sur la coopération, l’inclusion et l’autonomie. Ce modèle de contestation est actuellement l’une des exportations les plus fructueuses de la région MENA, juste derrière les matières premières. Ainsi, le mouvement « Occupy Wall Street » n’a pas hésité à dire tout ce qu’il devait au Printemps arabe, et des mouvements de contestation similaires ont vu le jour dans le monde entier, de l’Europe à l’Australie.

Si les universités des pays de la région produisent à la chaîne des diplômés auxquels on a appris à faire la queue dans l’attente d’un emploi dans le secteur public, on peut se demander d’où tout cela vient. Les compétences qui ont été nécessaires pour organiser les manifestations du Printemps arabe seraient à la fois appropriées et appréciées dans d’autres contextes.

Il est clair qu’il manque quelque chose dans les analyses consacrées au développement, quelque chose qui va au-delà des descriptions économiques. Je ne veux pas dire que ces analyses ne sont pas justes. Elles sont très certainement justes, et utiles pour comprendre les caractéristiques du Printemps arabe. La capacité de l’État à acheter la stabilité grâce au népotisme et à des emplois est menacée depuis un certain temps, et, à cause de la crise économique mondiale, qui contraint à resserrer les budgets, la réponse traditionnelle aux crises sociales, à savoir des relèvements massifs des dépenses publiques, n’est plus envisageable que dans les pays du Golfe. Ailleurs, la seule réponse possible était la répression.

C’est ce qui explique les caractéristiques du Printemps arabe, et l’utilisation, largement saluée, des nouveaux réseaux sociaux explique comment il s’est déroulé. Comment les gens se sont organisés et mobilisés, mais pas pourquoi.

Ce qui est vraiment remarquable dans ces contestations de masse, outre le courage extraordinaire des manifestants, c’est qu’elles ont dépassé les lignes de faille qui, pensions-nous tous, définissaient le Moyen-Orient. Aussi puissants que paraissaient être les clivages sectaires, religieux et de classes, quelque chose de tout aussi puissant les a transcendés, et a permis ce mouvement de masse. L’acte désespéré de Mohamed Bouazizi a été, à l’évidence, le catalyseur de cette succession d’événements qui est sans précédent et que l’on a appelé le Printemps arabe. Néanmoins, le sentiment collectif d’être privé de ses droits de représentation, et la capacité non seulement de l’exprimer mais également de faire quelque chose pour changer cette situation, existaient déjà.

Les compétences doivent provenir d'ailleurs

Si les universités n’enseignent pas les compétences nécessaires, celles-ci doivent provenir d’ailleurs. Il y a certainement d’autres réseaux peer to peer qui alimentent les compétences techniques qui ont été essentielles pour utiliser les nouveaux médias afin d’assurer et de préserver la cohérence des mouvements de masse. Il y a sûrement d’autres organisations de la société civile qui ont permis le développement d’identités collectives reposant non pas sur ce qui les divisaient mais sur ce qui les unissaient. Il me semble que, s’il l’on veut réformer le système éducatif de la région MENA, il faudrait commencer par repérer et intégrer ces réseaux et ces organisations. Ce sont eux qui ont produit les compétences qui sont en train de transformer les sociétés des pays MENA, et ils joueront un rôle vital dans leur croissance à venir. 


Auteurs

Will Stebbins

Chargé de communication

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000