Publié sur Voix Arabes

Pour un « Printemps économique » dans le monde arabe

[[avp asset="/content/dam/videos/backup/2018/jun-30/pour_un____printemps___conomique____dans_le_monde_arabe_basic_-_small.flv"]]/content/dam/videos/backup/2018/jun-30/pour_un____printemps___conomique____dans_le_monde_arabe_basic_-_small.flv[[/avp]]

Récemment, l’ancien vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères allemand Joschka Fischer faisait le constat suivant dans une tribune : « Nous avons tous tendance à refaire éternellement la même erreur. Au début d’une révolution, nous pensons que la liberté et la justice ont vaincu la dictature et la barbarie. Mais l’histoire nous enseigne que ce prélude n’augure en général rien de bon. » À bien des égards, la tournure prise par les événements depuis l’immolation par le feu, en décembre 2010, d’un jeune vendeur à la sauvette tunisien, et les manifestations qui s’en sont suivies dans les rues arabes, ne fait que confirmer cette sombre prédiction.

Pour certains, le fameux « printemps » arabe a déjà viré à l’hiver. Si l’histoire ne bégaie pas forcément, il va quand même falloir un sérieux réveil économique dans ces pays pour éviter que l’avenir ne tourne à la tragédie. Faute de fondamentaux économiques solides, et en l’absence de croissance et d’emplois de qualité pour les millions de jeunes hommes et femmes en quête d’un travail et d’un niveau de vie décent, la transition démocratique risque bien d’avorter. Les nouveaux dirigeants arabes doivent articuler, avec leurs partenaires étrangers, une vision économique ambitieuse et se donner les moyens de sa réalisation. Tel est le message au cœur d’un ouvrage que la Banque mondiale vient juste de publier et que, pour les raisons que je viens d’évoquer, mes collègues et moi-même, à l’origine du projet, avons intitulé Du réveil politique au sursaut économique dans le monde arabe : la voie de l’intégration économique.

Les modèles de développement adoptés dans le passé par bon nombre de gouvernements arabes, de Tunis au Caire en passant par Tripoli, n’ont pas su installer cette croissance durable et sans exclus que les populations appelaient de leurs vœux. Les pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) ont échoué à favoriser l’émergence d’un secteur privé dynamique, opérant à l’international et capable de s’en sortir sans subsides de l’État tout en offrant à la jeunesse des emplois productifs. Le signe révélateur de ce « mal-développement » ? Le fait qu’à l’exception de son secteur pétrolier, la région MENA reste la lanterne rouge de la planète en termes d’intégration commerciale. Pour dire les choses autrement, la totalité de ses échanges n’atteignent pas le niveau de ceux de la Suisse. Par conséquent, seule une augmentation des échanges et des investissements directs étrangers (IDE) permettra aux pays arabes de s’engager sur la voie d’une croissance durable et d’une prospérité partagée. De plus et à l’inverse de tant d’autres instruments politiques, le commerce et l’investissement peuvent fournir à relativement brève échéance des résultats tangibles.

Pour forger une vision à long terme d’un espace économique plus intégré autour du bassin méditerranéen, les nouveaux dirigeants des pays arabes, en concertation avec leurs partenaires commerciaux, auraient intérêt à considérer les cinq axes prioritaires suivants :

  1. Ils doivent s’adapter à un paysage en constante évolution en termes d’échanges, d’IDE et d’emplois, où le commerce est de plus en plus un « commerce de tâches », les chaînes de valeur sont mondialisées et les réseaux de production intégrés. Ce premier point exige de repenser les instruments du commerce et de l’IDE en place pour les mettre au diapason du XXIe siècle ;
  2. Ils doivent faciliter l’exploitation des marchés intérieurs et d’exportation, en abaissant les barrières à l’entrée et en réduisant les coûts qui échappent au contrôle des entreprises (pannes d’électricité récurrentes ou conditions logistiques médiocres) et qui plombent leur compétitivité. Il faut pour cela renforcer le régime des IDE, améliorer l’environnement des affaires, s’atteler à la gouvernance économique et favoriser l’économie du savoir ;
  3. Ils doivent réduire les coûts associés à l’acheminement des biens dans les chaînes d’approvisionnement internationales, aussi en termes de temps que d’argent ou de fiabilité. Il existe des marges de gain considérables grâce à la modernisation des services de facilitation des échanges et au développement de la finance commerciale ;
  4. Ils doivent atténuer les effets de répartition à court terme de l’ouverture économique et de la mutation technologique. Les mesures à prendre comprendront le ciblage des politiques sociales, la promotion de la participation économique des femmes et l’intégration aux marchés des régions à la traîne ;
  5. En échange, les pays du G8, la Turquie, les États du Golfe et d’autres partenaires commerciaux pourront soutenir la transition des pays arabes vers la démocratie de deux manières : en élargissant les débouchés commerciaux et l’accès aux marchés et en prônant des réformes réglementaires dans les pays de la région MENA. Un meilleur accès aux marchés pour les produits agricoles, les biens manufacturés et l’énergie solaire, la rationalisation des mesures non tarifaires ou encore la libéralisation des services font partie des options envisageables pour doper les échanges et l’investissement dans les pays arabes.
     

Comme le soulignait encore M. Fischer dans sa tribune, « les risques inhérents à l’action comme à l’inaction sont bien réels. » La Banque mondiale a mis sur la table un ensemble de mesures politiques concrètes, de court et long termes, pour favoriser l’avènement d’un Printemps économique arabe. L’enjeu n’est rien moins que le succès d’une transition politique historique dans la région.

Nous consacrerons d’autres billets à ce réveil économique.


Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000