La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) a besoin de réformes économiques plus audacieuses et plus profondes. Sa croissance devrait s’établir en 2019 à 0,6 %, soit un niveau très insuffisant pour créer les emplois dont la région a besoin pour faire face à l’augmentation rapide de sa population en âge de travailler. Même dans les quelques pays qui ont connu des périodes de plus forte croissance, la pauvreté peine à décliner, laissant entrevoir la nécessité d’engager des réformes pour assurer une concurrence loyale et promouvoir des modèles de croissance plus solidaires.
Pour parvenir à la croissance nécessaire, les pays de la région doivent passer d’une économie administrée à une économie de marché. Or cette perspective génère une méfiance considérable au sein de la région, où beaucoup imputent à la libéralisation des marchés l’avènement d’un capitalisme clientéliste au profit d’une poignée d’entreprises ayant les bonnes connexions.
En réalité, ce sont des décennies de domination étatique, et non les épisodes périodiques de libéralisation, qui ont favorisé le développement de monopoles publics ou privés par le jeu des subventions, de la réglementation des prix et des obstacles pour entrer sur les marchés et en sortir.
Même lorsque les initiatives de libéralisation n’ont pas été accaparées par une élite puissante, les solutions préconisées pour restreindre la prépondérance de l’État sont impopulaires (qu’il s’agisse de la suppression des subventions ou de la réduction des effectifs des entreprises publiques), ce qui fait qu’il est difficile de réussir les réformes. Par ailleurs, les grandes entreprises du secteur public absorbent tellement de financements que les petites et moyennes entreprises, qui pourtant créent généralement le plus d’emplois durables, sont évincées des marchés du crédit.
Qui plus est, la concurrence déloyale découlant de la domination des marchés par les entreprises d’État et les opérateurs bien en cour décourage l’investissement privé, réduit le nombre d’emplois et exclut de la prospérité un nombre incalculable de jeunes gens talentueux.
L’absence de concurrence loyale est peut-être la cause profonde du marasme qui accable les économies de la région, mais les réformateurs doivent également faire face à d’autres défis, comme déterminer, entre une stratégie axée sur le marché intérieur et une politique d’exportation, ce qui peut contribuer au mieux au développement économique.
Le moment est venu pour les pays de la région MENA de s’atteler à la fois à démanteler les monopoles qui existent sur leurs marchés et à tirer parti de leur demande intérieure collective pour promouvoir une croissance tirée par les exportations vers les autres pays de la région et au-delà. Car si la plupart des pays qui la composent ont des marchés relativement étroits, la région compte globalement plus de 400 millions d’habitants, soit environ le double de l’Europe occidentale. Sans oublier que sa population devrait doubler d’ici 2050, contrairement à l’Europe où le moteur démographique est pratiquement à l’arrêt. Cependant, aussi sensée que puisse être une stratégie d’orientation vers les marchés régionaux, elle sera difficile à mettre en œuvre. Les pays de la région MENA ont en effet toujours préféré faire cavalier seul : il s’agit de la région la moins intégrée du monde, malgré les gains potentiels de l’élimination des obstacles à la circulation des biens et des services.
En outre, même si la réduction des droits de douane, la résolution des problèmes logistiques ou encore la création de systèmes de paiement transfrontaliers contribueront indubitablement à l’intégration régionale, ces mesures ne suffiront pas pour changer véritablement la donne. L’incapacité des pays de la région MENA à s’intégrer aux niveaux national et régional tient en effet essentiellement aux obstacles presque insurmontables qui empêchent les entreprises d’entrer dans des marchés névralgiques ou d’en sortir — ou, pour utiliser la terminologie économique, à l’absence de « contestabilité ». Les économies de la région favorisent les entreprises en place, qu’elles soient privées ou publiques. L’absence de contestabilité fait le lit du népotisme et des activités de recherche de rente — notamment, mais pas exclusivement, l’octroi de licences d’importation exclusives qui récompensent leurs détenteurs et découragent la concurrence tant nationale qu’étrangère.
Ce défaut de contestabilité des marchés intérieurs se répercute au plan régional. L’intégration nationale et régionale passe par le démantèlement des intérêts en place dans les pays de la région MENA. Dans la pratique, cela pourrait se traduire par la création d’autorités réglementaires chargées de promouvoir la libre concurrence. Une demande régionale libérée, conjuguée à des
réglementations imperméables aux ingérences, favorisant la concurrence et combattant les pratiques contraires, pourrait empêcher la perpétuation des puissantes oligarchies qui s’emparent des tentatives de libéralisation, ternissant l’idée même de toute réforme auprès des citoyens.
La transparence et la disponibilité des données sont indissociables de la question de la concurrence et la contestabilité. Les pays de la région ont du retard sur les pays à revenu intermédiaire comparables en matière de transparence gouvernementale et de divulgation de données dans des domaines critiques qui mesurent l’évolution de la pauvreté, le niveau de concurrence sectorielle et l’évaluation de l’endettement intérieur et des passifs éventuels associés aux garanties des États.
Les flux financiers entre les banques publiques et les autres entreprises d’État sont opaques et engendrent népotisme et corruption, des fléaux que la transparence des marchés publics peut contribuer à éradiquer.
L’accès aux données permettra de mieux évaluer les politiques et leur amélioration continue. Enfin, la liberté d’investigation, en particulier pour les groupes de réflexion, est essentielle pour susciter un débat national indispensable sur les politiques économiques et sociales, et favoriser ainsi l’appropriation des réformes et la cohésion sociale dans la région MENA.
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