Publié sur Voix Arabes

Quel est le véritable impact des hausses des prix alimentaires mondiaux sur les ménages de la région MENA ?

ImageLes consommateurs des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) seraient largement préservés des hausses des prix mondiaux des denrées grâce aux subventions publiques sur les produits de consommation alimentaires et à d’autres mesures de ce type. Cette idée largement répandue explique peut-être que le Food Price Watch de la Banque mondiale, jusqu’à son édition du mois d’avril, ainsi que de nombreux rapports rédigés sur le sujet ne faisaient nullement état de variations des prix intérieures des produits alimentaires dans aucun pays de la région MENA…

L’accès limité à des données microéconomiques est l’autre raison pour laquelle l’accent était mis principalement sur les conséquences macroéconomiques des flambées des prix alimentaires dans la région.

Il n’en reste pas moins que l’absence de suivi systématique des fluctuations des prix intérieurs des denrées alimentaires  et d’analyse de leurs répercussions sur les ménages dans la région est surprenante.

La sécurité alimentaire occupe une place importante dans les discussions sur les politiques publiques, tandis que l’augmentation des prix alimentaires est considérée par certains comme l’un des facteurs à l’origine des troubles récents qu’a connus la région. La région MENA est le plus gros importateur de blé au monde et les cours du blé ont doublé depuis la fin 2005. Les taux de malnutrition sont élevés et un grand nombre de personnes ont un niveau de vie proche du seuil de pauvreté. Les prix intérieurs des produits alimentaires sont influencés non seulement par les cours mondiaux, mais aussi par un certain nombre de facteurs spécifiquement nationaux, notamment l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement, les infrastructures et les taux de change, pour n’en citer que quelques-uns. Face aux hausses substantielles et continues des cours mondiaux d’un large éventail de denrées, auxquelles se conjugue une croissance rapide de la demande alimentaire intérieure, certains pays de la région MENA se trouvent confrontés à des pressions budgétaires et inflationnistes de plus en plus fortes.

Presque tous les pays de la région ont connu une augmentation des prix intérieurs des produits alimentaires, soit une hausse moyenne de près de 40 % depuis janvier 2007. Il importe de souligner que les pressions budgétaires varient d’un pays à un autre, certains consacrant jusqu’à 3,5 % de leur PIB aux subventions alimentaires. Depuis les années 80, la plupart des pays de la région MENA tentent de réformer leurs régimes de subvention des aliments de consommation courante, mais certains gouvernements ont eu plus de succès que d’autres en la matière. Un certain nombre de mesures ont réussi à réduire le fardeau des subventions publiques — mécanismes de ciblage spontané, hausses de prix dissimulées, rationnement des subventions ou remplacement des subventions par des transferts en espèces  — mais beaucoup d’autres n’ont pas été à la hauteur des attentes et, dans certains cas, les gouvernements sont revenus dessus sous la pression populaire. Au bout du compte, les réformes n’ont été que partiellement menées et tous les pays de la région MENA continuent d’offrir des subventions sur au moins un certain nombre de prix à la consommation. Pendant ce temps, les programmes d’assistance sociale ne permettent pas d’assurer un acheminement adéquat des ressources aux personnes qui en ont le plus besoin.

Notre récent rapport sur les Évolutions et perspectives de l’économie (EDP) conclut que les ménages de la région MENA sont de fait très vulnérables aux hausses des prix internationaux des produits alimentaires ainsi qu’aux défaillances des marchés intérieurs. Les flambées des cours internationaux se sont répercutées sur les prix intérieurs alimentaires dans la quasi-totalité des pays de la région MENA, à des degrés divers. C’est en Cisjordanie et à Gaza, en Iraq, à Djibouti, en Égypte et aux Émirats arabes unis que les effets de transmission ont été le plus fortement ressenti (au dessus de 0,4). Ailleurs, la répercussion est plus limitée, mais néanmoins importante — entre 0,2 et 0,4. Les seules exceptions sont l’Algérie et la Tunisie où les politiques gouvernementales, notamment les subventions, ont effectivement servi de garde-fous contre la répercussion de la hausse des cours alimentaires mondiaux sur les prix intérieurs. Il faut par ailleurs noter qu’en cas de baisse des cours mondiaux, celle-ci se traduit rarement par une réduction des prix intérieurs, et ce dans tous les pays de la région.

Le rapport EDP montre que l’envolée des cours alimentaires mondiaux a contribué pour 20 à 30 % aux hausses des prix intérieurs observées à travers la région MENA. Elle a en particulier constitué un moteur important de l’inflation des prix alimentaires en Iraq et en Cisjordanie et à Gaza (plus de 50 %), ainsi qu’Égypte, à Djibouti et aux Émirats arabes unis (40 %). Des facteurs intérieurs ont également contribué à cette inflation enregistrée dans tous les pays de la région MENA : la rigidité des méthodes de passation des marchés, la faiblesse des moyens logistiques, l’inadéquation des pratiques de stockage ou encore le recours insuffisant à des instruments financiers et à des techniques de planification.

Ce que démontrent ces chiffres, c’est que les pays pourraient réduire considérablement les pressions exercées sur les prix alimentaires en s’attaquant notamment à la charge budgétaire par un meilleur ciblage de leurs subventions et des autres politiques relatives à la consommation alimentaire. Il est  bien évidemment entendu qu’une quelconque action dans ce domaine doit tenir compte des réalités politico-économiques : le fait de mieux cibler les subventions sur les pauvres aura nécessairement pour effet d’accentuer davantage la répercussion des augmentations de prix sur les « moins pauvres ».

Aujourd’hui, l’un des défis pour les autorités en place sera de mieux faire accepter ces répercussions par ceux qui ont la capacité financière de les supporter. Les conclusions du rapport soulignent également l’importance d’un suivi régulier et d’une communication des évolutions des prix alimentaires dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.


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