Mais on n’a rien sans rien. J’ai été témoin de toutes les difficultés que Maroun a rencontrées pour faire enregistrer son entreprise et la démarrer. Il a dû se frayer un chemin à travers un dédale de réglementations et verser un certain nombre de pots-de-vin. Que le Liban soit classé au 115e rang sur 185 économies dans le dernier rapport de la Banque mondiale sur la pratique des affaires ne m’a donc pas surpris. Plus précisément, le pays figure à la 114e place pour la facilité de création d’une entreprise, à la 172e place pour l’obtention d’un permis de construire, à la 108e place pour le transfert de propriété, à la 100e place pour la protection des investisseurs et à la 95e place pour le commerce transfrontalier. Au Liban, les lois et les formalités administratives exacerbent les effets de réglementations qui sont complexes et appliquées arbitrairement.
Pour soutenir l’entrepreneuriat local, il faudrait simplifier la réglementation, notamment les procédures relatives au transfert de propriété, aux permis de construire et au commerce transfrontalier. Fort heureusement, de nombreuses réformes donnent rapidement des résultats car elles sont principalement de nature administrative et peuvent être déployées dans un délai raisonnable (6-8 mois) sous l’impulsion d’un ministère. Ces réformes auraient des répercussions extrêmement bénéfiques sur le climat des affaires au Liban : elles permettraient en effet de supprimer les formalités qui entravent la création d’entreprise et l’entrepreneuriat dans ce pays. Elles créeraient également un environnement dans lequel les réformes plus profondes et de plus long terme auraient davantage de chances d’aboutir. Par exemple, pour créer une entreprise au Liban, il faut disposer d’un capital correspondant à plus d’une année de revenus (plus de 9 000 dollars), alors qu’aux États-Unis 0,8 % du revenu annuel suffisent pour ce faire. Si le Liban cessait d’exiger un capital minimum (ainsi que l’ouverture d’un compte bancaire) pour la création d’une entreprise, s’il n’imposait plus aux petites et moyennes entreprises de recourir à un juriste pour certaines opérations et s’il améliorait l’efficience de la gestion de son registre du commerce, il pourrait réduire les démarches, les coûts et le délai nécessaires pour créer une entreprise.
Au Liban, Ie coût du transfert de propriété entre individus ou entre entreprises représente 5,8 % de la valeur du bien, contre seulement 0,7 % en Égypte. Une mesure salutaire consisterait à remplacer les frais d’enregistrement, calculés en proportion de la valeur du bien, par un montant forfaitaire plus faible. En général, la réduction du coût d’enregistrement a pour effet d’accroître le nombre de transferts de propriété, de faire diminuer la fraude et d’élargir l’accès au financement (étant donné qu’un bien enregistré peut servir de garantie). Actuellement, le niveau élevé des frais d’enregistrement conduit certains entrepreneurs à sous-évaluer leur bien pour payer moins de frais, voire pour échapper complètement (a) à l’obligation d’enregistrement. Lorsque l’Égypte a remplacé les frais d’enregistrement proportionnels (5,9 % de la valeur du bien) par un montant forfaitaire de 2 000 livres égyptiennes (environ 364 dollars) en 2008, ses recettes fiscales provenant des frais d’enregistrement se sont étoffées de 39 % en raison d’une augmentation du nombre de transferts de propriété.
Autre entrave aux affaires, le délai d’obtention d’un permis de construire est très long au Liban. Une entreprise qui souhaite faire construire un entrepôt doit patienter 219 jours, en moyenne, avant de recevoir l’autorisation nécessaire. Le Liban a beaucoup à apprendre de la cinquantaine de pays qui, au cours des cinq dernières années, ont réformé les procédures d’octroi des permis de construire. Il pourrait, par exemple, appliquer le principe selon lequel le silence des autorités municipales vaut approbation tacite, rationaliser les procédures par lesquelles l’Ordre des ingénieurs donne son agrément aux projets de construction (ce qui réduirait les formalités et les délais), internaliser la notification en imposant aux municipalités d’informer les services de police des permis octroyés et réduire le délai nécessaire (six mois actuellement) pour obtenir un permis auprès du Département du développement urbain et de la municipalité.
Enfin, les formalités d’exportation : elles durent actuellement 22 jours à Beyrouth (et 30 jours dans le cas d’une importation). D’autres pays (l’Égypte, la Tunisie, la Jordanie, Djibouti et le Maroc) se montrent plus efficients.Au Liban, ce sont les procédures douanières (12 jours à l’exportation et 19 jours à l’importation) et les procédures d’établissement des documents avant l’arrivée de la marchandise qui prennent le plus de temps. Ces délais pénalisent à la fois les exportateurs et les importateurs. Les réformes que le Liban pourrait d’ores et déjà lancer consisteraient notamment à étendre les heures d’ouverture des services douaniers (à l’heure actuelle, ceux-ci ne fonctionnent que de 8 heures à 13 heures), à autoriser le dédouanement avant l’arrivée de la marchandise et à raccourcir le délai d’entreposage sans frais. Djankov et al. (2010) constatent que chaque jour supplémentaire de retard d’expédition d’un produit se traduit par une baisse de plus de 1 % des échanges commerciaux. La perte de temps induit une perte d’activités et de recettes.
La réforme de la réglementation des entreprises est un impératif au Liban, et elle doit être engagée sans tarder. Mais il ne faudra pas s’arrêter là. Nos recommandations mettent en évidence les changements qui pourraient être mis en œuvre dès à présent afin de permettre d’autres réformes ultérieures. Les autorités libanaises feraient bien de prendre modèle sur les pays qui, d’après les indicateurs Doing Business, ont nettement amélioré leur environnement d’affaires grâce à des réformes. En effet, un certain nombre de pays se sont dotés de programmes de réformes bien gérés, qui permettent de jauger l’efficacité de leurs dirigeants. De même, les réformes que nous suggérons produiraient des résultats tangibles, ce qui instaurerait un climat de confiance à l’échelle nationale, au sein des ministères des Finances, de l’Économie et du Commerce, ainsi qu’au niveau local. Ce serait particulièrement appréciable en ces temps difficiles. Mais surtout, elles ouvriraient la voie à des réformes plus en profondeur et de plus long terme.
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