Publié sur Voix Arabes

Relancer l’intégration en Méditerranée : pourquoi la région MENA a tout à y gagner

Bateaux amarrés dans le port de Tunis. Bateaux amarrés dans le port de Tunis.

Il y a 25 ans, les pays de la région méditerranéenne s’engageaient avec force à faire de la Méditerranée un espace commun de paix, de stabilité et de prospérité à travers la déclaration de Barcelone (a). L’anniversaire de cette déclaration doit nous rappeler que les pays riverains de la Grande bleue y affirmaient alors leur volonté de renforcer la coopération économique, favoriser les échanges et l’investissement, faciliter les transferts de technologie, resserrer les liens et promouvoir une coexistence pacifique.

La donne a profondément changé depuis. La moitié environ des flux mondiaux de production, d’échange et d’investissement transitent depuis ces dernières décennies par des chaînes de valeur mondiales. Dans le même temps, le changement climatique conduit à réfléchir à l’impact environnemental du commerce. Enfin, la numérisation a gagné toutes les étapes des processus organisationnels et opérationnels, avec son lot de nouveaux défis en termes de compétences et d’infrastructures, mais aussi la promesse d’une intégration plus rapide et plus aboutie. Cette nouvelle réalité questionne notre vision de l’intégration régionale et des politiques connexes à élaborer.

Un certain nombre de problèmes restent en suspens dans le bassin méditerranéen : des obstacles liés à l’économie politique sont à l’origine d’une contreperformance de l’intégration régionale ; à lui seul, le commerce s’est révélé insuffisant pour porter les objectifs d’intégration sur une échelle socioéconomique globale ; et les réformes sectorielles accompagnant les stratégies de croissance inclusive — en particulier celles qui visent les plus vulnérables, les femmes et les jeunes — se font toujours attendre.

Les raisons de cet insuccès

Aujourd’hui, le potentiel de l’intégration en Méditerranée reste largement inexploité. La dynamique doit être relancée. Deux rapports récents, Commercer ensemble : vers une relance de l’intégration de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’ère post-COVID (Banque mondiale) et Enhancing Mediterranean Integration (Centre pour l’intégration en Méditerranée), analysent les principales options politiques pour trouver un équilibre entre les réformes intérieures et celles visant à accroître et diversifier les échanges régionaux, dans l’objectif ultime de promouvoir une croissance inclusive et d’améliorer le bien-être des populations dans l’ensemble de la région.

Pourquoi l’objectif d’une « prospérité partagée en Méditerranée » ne s’est-il pas encore concrétisé ? Le produit intérieur brut (PIB) par habitant dans les pays méditerranéens du Sud ressort encore, au mieux, à 40 % du niveau moyen des 28 pays de l’Union européenne. Avec, qui plus est, une trajectoire de convergence quasiment plate depuis 1995.

Les écarts d’un pays à l’autre sont toujours très marqués pour ce qui est du nombre de personnes pauvres et de la forte vulnérabilité de certains groupes de population, menacés de basculer dans l’extrême pauvreté, notamment en cas de choc extérieur imprévu. Les différences de revenu entre les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée continuent d’être plus profondes qu’au sein de l’Europe, puisque 10 % de la population accaparent plus de 50 % du revenu total. Cela doit changer.

La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) affiche le plus faible degré de convergence économique et ne parvient pas à réduire les inégalités sociales. Les précédentes stratégies économiques ont échoué à prendre en compte et résoudre les enjeux de la répartition des revenus. Les aspects techniques de la libéralisation du commerce, qui n’a pas été conduite à son terme, ont occupé une place trop importante et les réformes sectorielles ont donné des résultats décevants faute d’un intérêt suffisant porté à ces questions.

Rectifier le tir  

Les pays de la région MENA peuvent encore renverser la situation afin de profiter des dynamiques mondiales. Pour cela, il faut d’abord correctement cerner les défis et les opportunités spécifiques à la région :

  • Résoudre les déséquilibres internes et externes : la réduction des dysfonctionnements institutionnels et le renforcement de la participation du secteur privé passent par une amélioration de la gouvernance. Seul un dosage soigneux des politiques permettra de redresser les déséquilibres macroéconomiques tout en ciblant les populations vulnérables.
  • Promouvoir la coordination régionale : la libéralisation n’est pas un remède miracle. Elle doit s'accompagner de la mise en place d’infrastructures de qualité, de solutions logistiques modernes et de services douaniers optimisés. Le resserrement des relations commerciales au sein de la région MENA, de même qu’avec l’Europe et l’Afrique subsaharienne, pourrait servir de tremplin à une stratégie de co-développement où les accords commerciaux seraient envisagés comme autant d’instruments de dialogue sur les politiques.
  • Renforcer la résilience environnementale : victime de pénuries d’eau, de sécheresses, de déficits de production vivrière et de l’élévation du niveau de la mer, la Méditerranée fait partie des régions particulièrement fragiles d’un point de vue environnemental. Elle dispose pourtant d’excellents atouts pour atténuer la dépendance du secteur de l’énergie au carbone et, potentiellement, satisfaire ses besoins énergétiques et ceux de ses voisins grâce à des ressources vertes. Pour concrétiser ce potentiel, il faut accélérer l’intégration des marchés régionaux et la coopération.
  • Améliorer l’environnement des affaires : l’émergence, le financement et l’essor d’entreprises aux profils variés doivent être facilités et les communautés professionnelles mobilisées. Un meilleur climat de l’investissement est crucial pour attirer les investissements directs étrangers. Les problèmes liés à l’insécurité, au manque d’accès aux financements, à l’inadéquation des cadres concurrentiels et à l’économie informelle sont autant de leviers sur lesquels les pays doivent agir.
  • Renforcer le capital humain : au sens large, le capital humain représente « les connaissances et les compétences qui permettent à un individu de créer de la valeur ». Il faut améliorer l’éducation et la formation des jeunes, leur mobilité et leur engagement social pour leur donner les moyens d’actions collectives audacieuses.
  • Remédier aux inégalités sur le marché du travail : il s’agit notamment de lever les obstacles auxquels se heurtent les femmes, aider à l’insertion des diplômés du supérieur, favoriser la mobilité régionale et supprimer les entraves à la création d’entreprise.

La relance de l’intégration régionale exige une mobilisation urgente pour relever ces défis et exploiter ces opportunités. La région doit se doter d’un nouveau cadre, où l’intégration est associée à de nouvelles dimensions clés comme la sécurité, la mobilité, la résilience environnementale et la convergence réglementaire.

 

Auteurs

Blanca Moreno-Dodson

Manager of the Center for Mediterranean Integration (CMI)

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