La Tunisie a connu de fortes avancées économiques et sociales au cours des dernières décennies et, plus récemment, une transition démocratique réussie par rapport aux autres pays ayant connu le « printemps arabe ». Le processus de convergence entre le progrès social et le développement économique s’est néanmoins ralenti, du fait de la faiblesse de l’investissement depuis le début des années 2000, alors que les inégalités tant sociales et régionales que sur le marché du travail ont persisté.
Depuis 2011, et selon une étude économique de l'OCDE datée de mars 2018, les ratios de dette externe et de dette publique par rapport au PIB Tunisien ont fortement augmenté. Pour les remettre sur une trajectoire soutenable sans freiner la croissance et la mise en place de réformes structurelles, il faut aussi réorienter les dépenses publiques au profit des populations défavorisées dans le cadre d’une croissance dite inclusive.
Ainsi, l'instauration d'une économie sociale et solidaire est primordiale afin de créer des opportunités économiques au profit des populations vulnérables.
L'Organisation Internationale du Travail (OIT) présente l'économie sociale et solidaire comme une notion désignant des entreprises et organisations (coopératives, mutuelles, associations, fondations, et entreprises sociales) ayant comme spécificité de produire des biens, des services et des connaissances tout en poursuivant des objectifs à la fois économiques et sociaux et de promotion de la solidarité1, donc l’économie sociale et solidaire est comme étant la conciliation de l'activité économique et de l'équité sociale grâce aux innovations sociales, afin de lutter contre l’exclusion et d’assurer l’égalité des chances.
Ces dernières années, l’économie sociale et solidaire est devenue l’un des instruments les plus importants du développement économique et de la stabilité sociale dans de nombreux pays en développement et développés du fait de sa contribution à la croissance du PIB ainsi qu’à la création de richesses et d’emplois.
Comment instaurer une économie sociale et solidaire ?
L’une des réponses possibles, est simple : Promulguer une loi relative à l’économie sociale et solidaire, une loi qui serait sans lacunes, qui prendrait en considération la notion de décentralisation économique et qui assurerait une meilleure participation sociale et économique de certains groupes ou personnes qui se heurtent à divers obstacles les empêchant d’accéder au marché du travail et aux biens et services produits par l’économie traditionnelle. Une loi sur l’économie sociale et solidaire qui œuvrerait à trouver des moyens de rendre plus autonomes les populations vulnérables en Tunisie, comme la femme en milieu rurale et les personnes porteuses d’handicaps et les communautés autochtones.
Ainsi, l’économie sociale et solidaire joue un rôle dans la promotion de l’inclusion sociale des personnes, en particulier des plus vulnérables, en assurant des voies d'accès durables au marché du travail. Outre l'exclusion de l'accès à l’éducation, à la santé et au logement, l'exclusion du marché du travail expose également les populations à l’extrême pauvreté, à un faible niveau de qualité de vie, d’estime de soi et à la perte de la dignité humaine. La participation active des personnes vulnérables dans les organisations de l’économie sociale (en tant que salariés, mais idéalement en tant qu'entrepreneurs) représente une étape majeure dans la lutte contre l'exclusion sociale et l’obtention d'un niveau de vie décent
Mais la promulgation de cette loi ne suffira pas. Le gouvernement devra aussi prendre rapidement l’ensemble des mesures d’application nécessaires et adopter d’une part une approche nationale basée sur des programmes ciblés visant à soutenir l’intégration socio-économique des groupes vulnérables. D’autre part, il lui faudra décliner cette approche et adopter des politiques publiques spécifiques pour un développement territorial. Des incitations fiscales doivent être créées pour encourager les acteurs privés à investir dans l'économie sociale et solidaire. En outre, le gouvernement devrait créer le cadre institutionnel nécessaire, mettre en place des moyens administratifs (pour l'obtention de licences et l'ouverture de comptes bancaires) et apporter un soutien accru au système de microfinance. Ces mesures attireront les acteurs de l’économie informelle dans l’économie formelle et leur permettront de mettre en œuvre des projets de petite ou moyenne envergure de manière organisée. Afin d'attirer le plus grand nombre de citoyens possible, il convient également de mettre en place des mécanismes de formation et d'apprentissage adaptés.
Enfin, pour promouvoir le développement territorial, les autorités doivent lancer des initiatives visant à faciliter la création et la croissance d'entreprises sociales et solidaires. Ces sociétés sont souvent la seule option pour les communautés marginalisées car les investisseurs privés ont tendance à les abandonner au profit de marchés plus rentables ou de zones moins éloignées. En outre, les entreprises sociales peuvent soutenir et compléter les mesures de politique publique et contribuer à la cohésion de la communauté lors de transitions fragiles, étant donné qu’elles sont des entreprises distinctes. Leur véritable valeur ajoutée n’est pas la maximisation des avantages et la répartition des revenus supplémentaires, mais leur responsabilité en matière d’activités communes, le développement de projets sociaux significatifs, la formation de réseaux et les processus de planification stratégique. Ces entreprises sociales sont également perçues comme un moyen de favoriser l’innovation politique en stimulant les discussions entre les décideurs et les citoyens ordinaires, ainsi que des moyens d’améliorer des vies, de s’adresser à nos sociétés vieillissantes, d’accroître l’accès à l’information et aux services et de promouvoir une société plus juste et socialement équilibrée.
Le rôle du ministère de l'Économie sociale et solidaire, sera crucial pour la mise en place et le soutien de l'économie sociale et solidaire. Le nouveau ministre devra agir avec sagesse et efficacité pour assurer une base solide à l'ESS.
Il est inconcevable que la Tunisie soit en retard sur l'établissement de ce type d'économie ou du "troisième secteur économique" (aux côtés du secteur public et du secteur privé). Aujourd'hui, en Tunisie l’ESS représente moins de 1% du PIB, alors que dans d'autres pays la contribution de l’ESS au PIB est plus élevée. En France, elle contribue chaque année 10% à la création de nouveaux emplois et à la création d'un quart des nouveaux ouvriers chaque année dans les pays scandinaves.
La Tunisie doit augmenter la contribution de l'économie sociale et solidaire à 5 à 6% du produit intérieur brut par an pour soutenir les secteurs public et privé dans les efforts de développement et dans la création d'emplois et de richesses. L’augmentation de ce pourcentage signifie la création de 60 000 emplois supplémentaires par an et absorbe ainsi l’excédent de chômage qui s’est accumulé aujourd’hui en Tunisie jusqu’à 650 000 chômeurs et offre également une richesse supplémentaire. Signifie ajouter un point annuel au taux de croissance. Et généralement, l'intégration économique et sociale, selon les experts, apporte de nouveaux espoirs et ouvre de vastes horizons à une grande partie des Tunisiens qui se sentent aujourd'hui "en dehors" de la sphère économique et sociale.
L'économie sociale et solidaire peut jouer un rôle très important dans le développement futur du pays, en particulier lorsque ses avantages sont correctement présentés au peuple tunisien. Dans la mesure où une économie sociale et solidaire favorise la justice sociale dans la mesure où elle permet aux exclus de faire entendre leur voix, permet une répartition équitable de la richesse et favorise l'accès universel aux services de base, le pays doit donner à l'ESS l'importance qu'elle mérite. des problèmes et des difficultés rencontrés par la Tunisie.
Cet article de blog fait partie des propositions gagnantes du premier concours du LJD Week 2018 Law Student Contest for Development Solutions, un concours destiné aux jeunes étudiants africains pour qu'ils présentent des solutions juridiques innovantes aux problèmes de développement. Les deux gagnants, Mawunya Kudu et Colman Ntugwerisho, ont été invités à présenter leurs propositions au public du LJD Week 2018 ; voir leurs présentations ici.
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