15 mars 2017. Elle me regardait avec curiosité, tout en sirotant son jus de fruit. Son pull rose tranchait avec sa pâleur anémique. Sans la perfusion qu’elle avait au bras droit, rien ne l’aurait distinguée des autres enfants de son âge. Sauf qu’elle fait partie des plus de
650 000 Syriens ayant trouvé refuge dans la Jordanie voisine depuis le début de la guerre civile, il y a six ans exactement. Six ans plus tard, la guerre sévit toujours. Et la petite fille, qui a cinq ans, n’a connu que ça.
Nous nous sommes rencontrées dans un hôpital pour enfants à Irbid, à proximité de la frontière syrienne.
Dans l’hôpital bondé, la petite attendait patiemment son tour : atteinte d’une drépanocytose sévère, elle doit subir une transfusion sanguine tous les mois. Si elle peut bénéficier de ce traitement coûteux, c’est grâce à l’État jordanien, qui paye une grosse partie de la facture.
Quant à moi, je me trouvais dans le même hôpital dans le cadre d’une mission commune de la Banque mondiale, de la Banque islamique de développement et du Mécanisme mondial de financement concessionnel (GCFF). Il s’agissait de mettre sur pied un projet sanitaire d’urgence pour faire face à la crise et permettre, concrètement, à cette petite fille de continuer à avoir accès aux soins dont elle avait besoin.
La crise syrienne a de graves répercussions sur l’état de santé des réfugiés mais aussi des populations d’accueil. La guerre a entraîné une forte hausse de la mortalité et de la morbidité. On assiste au retour tragique de maladies qui étaient sur le point d’être éradiquées (la poliomyélite, la leishmaniose, la rougeole ou encore la tuberculose), tandis que certaines pathologies se font plus nombreuses : les troubles mentaux ont connu une progression ces six dernières années, de même que les maladies transmissibles et non transmissibles, avec des conséquences délétères pour les populations.
Les autorités jordaniennes ont fait face à la situation avec générosité. D’abord, entre 2012 et 2014, en assurant la gratuité des soins pour tous les réfugiés syriens. Puis, quand le gouvernement n’a plus eu les moyens financiers de poursuivre cette politique, en continuant d’assumer près de 80 % du coût des soins tout en prenant à sa charge l’intégralité des dépenses pour un certain nombre de services (consultations prénatales, vaccinations et traitement des maladies transmissibles). La Jordanie a conscience que lorsqu’une personne est malade, c’est toute la collectivité qui risque de le devenir aussi. La maladie ne connaît pas les frontières, elle transcende les nationalités.
Mais la politique sanitaire de la Jordanie n’est pas tenable financièrement. Alors, qui va payer la facture ? Déjà, quand le gouvernement avait mis fin à la gratuité totale des soins il y a trois ans, le nombre de Syriens en mesure de se procurer ces services avait été réduit de moitié. Pour un réfugié sur six, le coût constituait le principal obstacle à l’accès aux soins ; pour un sur cinq, le coût des soins entraînait des dépenses catastrophiques, et, enfin, un réfugié sur deux souffrant d’une pathologie chronique déclarait de ne pas pouvoir se procurer de médicaments et d’autres services médicaux. À l’évidence, si l’État jordanien baisse encore sa prise en charge, le nombre de réfugiés dans l‘incapacité de se soigner va, lui, augmenter. En six ans, la crise humanitaire est devenue une crise qui relève du développement et qui appelle, par conséquent, une réponse des acteurs du développement.
C’est la situation de la Jordanie et du Liban, notamment, qui a poussé la Banque mondiale, l’ONU, la Banque islamique de développement et des bailleurs de fonds bilatéraux à créer l’année dernière un « mécanisme mondial de financement concessionnel » (a) (voir une vidéo [a]). Une initiative qui part du constat que ces pays fournissent un bien commun mondial en accueillant la majeure partie des cinq millions de réfugiés syriens et qui consiste à utiliser des dons pour réduire les taux d’intérêt de leurs emprunts. Chaque dollar mobilisé par ce dispositif permettra à la Jordanie d’accéder à un crédit de quatre dollars assorti de conditions de faveur. Notre projet a eu recours à ce nouveau mécanisme pour aider le gouvernement jordanien à poursuivre la fourniture de services vitaux. Et, tandis que nous étions en Jordanie, des collègues étaient au Liban pour préparer un projet d’urgence similaire destiné à aider les autorités à satisfaire les besoins médicaux des réfugiés et des populations locales.
20 juin 2017. C’est la Journée mondiale des réfugiés et je continue de penser à la petite fille au pull rose. En trois mois seulement, notre équipe est parvenue à mettre sur pied un projet (a) qui vient tout juste d’être approuvé par le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale. Trois mois de préparatifs, d’évaluations et de négociations intensives qui vont permettre d’accompagner les efforts déployés par la Jordanie pour offrir des services de santé primaires et secondaires essentiels aux Jordaniens pauvres sans assurance maladie et aux réfugiés syriens. Ce projet repose sur un mécanisme de financement au résultat par lequel le gouvernement jordanien sera remboursé du coût des soins prodigués à ces bénéficiaires en fonction de registres d’utilisation des services et de dépenses vérifiés de manière indépendante. Il financera près de 3,5 millions de consultations au cours des deux prochaines années. Parallèlement, nous collaborons avec les autorités jordaniennes à la mise en place d’un système de santé plus durable et résilient. Le projet va fournir une assistance technique et contribuer au renforcement des capacités en vue d’accroître l’efficacité du système de santé. Notre objectif est de parvenir à développer l’offre de santé à moyen et long terme avec le même volume de ressources.
Le montant du projet est de 150 millions de dollars au total, répartis comme suit : la Banque mondiale apporte 36 millions, le GCFF, 34 millions, et la Banque islamique de développement, 79 millions. Où l’on voit que notre impact est cinq fois supérieur à ce qu’il aurait été si nous avions entrepris ce projet de manière isolée. Notre équipe était composée de collaborateurs de 17 nationalités différentes, basés dans cinq pays et opérationnels 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 : une équipe de la Banque « mondiale » à proprement parler. Une équipe unie et mobilisée vers le même objectif : aider la Jordanie à fournir des services de santé essentiels aux plus vulnérables.
Pour que, à l’hôpital d’Irbid, une petite fille puisse continuer à recevoir des transfusions sanguines tous les mois. Qu’elle puisse continuer à survivre et que, plus tard, elle puisse s’épanouir et réussir sa vie, malgré la guerre qui fait rage de l’autre côté de la frontière.
Nous nous sommes rencontrées dans un hôpital pour enfants à Irbid, à proximité de la frontière syrienne.
Dans l’hôpital bondé, la petite attendait patiemment son tour : atteinte d’une drépanocytose sévère, elle doit subir une transfusion sanguine tous les mois. Si elle peut bénéficier de ce traitement coûteux, c’est grâce à l’État jordanien, qui paye une grosse partie de la facture.
Quant à moi, je me trouvais dans le même hôpital dans le cadre d’une mission commune de la Banque mondiale, de la Banque islamique de développement et du Mécanisme mondial de financement concessionnel (GCFF). Il s’agissait de mettre sur pied un projet sanitaire d’urgence pour faire face à la crise et permettre, concrètement, à cette petite fille de continuer à avoir accès aux soins dont elle avait besoin.
La crise syrienne a de graves répercussions sur l’état de santé des réfugiés mais aussi des populations d’accueil. La guerre a entraîné une forte hausse de la mortalité et de la morbidité. On assiste au retour tragique de maladies qui étaient sur le point d’être éradiquées (la poliomyélite, la leishmaniose, la rougeole ou encore la tuberculose), tandis que certaines pathologies se font plus nombreuses : les troubles mentaux ont connu une progression ces six dernières années, de même que les maladies transmissibles et non transmissibles, avec des conséquences délétères pour les populations.
Les autorités jordaniennes ont fait face à la situation avec générosité. D’abord, entre 2012 et 2014, en assurant la gratuité des soins pour tous les réfugiés syriens. Puis, quand le gouvernement n’a plus eu les moyens financiers de poursuivre cette politique, en continuant d’assumer près de 80 % du coût des soins tout en prenant à sa charge l’intégralité des dépenses pour un certain nombre de services (consultations prénatales, vaccinations et traitement des maladies transmissibles). La Jordanie a conscience que lorsqu’une personne est malade, c’est toute la collectivité qui risque de le devenir aussi. La maladie ne connaît pas les frontières, elle transcende les nationalités.
Mais la politique sanitaire de la Jordanie n’est pas tenable financièrement. Alors, qui va payer la facture ? Déjà, quand le gouvernement avait mis fin à la gratuité totale des soins il y a trois ans, le nombre de Syriens en mesure de se procurer ces services avait été réduit de moitié. Pour un réfugié sur six, le coût constituait le principal obstacle à l’accès aux soins ; pour un sur cinq, le coût des soins entraînait des dépenses catastrophiques, et, enfin, un réfugié sur deux souffrant d’une pathologie chronique déclarait de ne pas pouvoir se procurer de médicaments et d’autres services médicaux. À l’évidence, si l’État jordanien baisse encore sa prise en charge, le nombre de réfugiés dans l‘incapacité de se soigner va, lui, augmenter. En six ans, la crise humanitaire est devenue une crise qui relève du développement et qui appelle, par conséquent, une réponse des acteurs du développement.
C’est la situation de la Jordanie et du Liban, notamment, qui a poussé la Banque mondiale, l’ONU, la Banque islamique de développement et des bailleurs de fonds bilatéraux à créer l’année dernière un « mécanisme mondial de financement concessionnel » (a) (voir une vidéo [a]). Une initiative qui part du constat que ces pays fournissent un bien commun mondial en accueillant la majeure partie des cinq millions de réfugiés syriens et qui consiste à utiliser des dons pour réduire les taux d’intérêt de leurs emprunts. Chaque dollar mobilisé par ce dispositif permettra à la Jordanie d’accéder à un crédit de quatre dollars assorti de conditions de faveur. Notre projet a eu recours à ce nouveau mécanisme pour aider le gouvernement jordanien à poursuivre la fourniture de services vitaux. Et, tandis que nous étions en Jordanie, des collègues étaient au Liban pour préparer un projet d’urgence similaire destiné à aider les autorités à satisfaire les besoins médicaux des réfugiés et des populations locales.
20 juin 2017. C’est la Journée mondiale des réfugiés et je continue de penser à la petite fille au pull rose. En trois mois seulement, notre équipe est parvenue à mettre sur pied un projet (a) qui vient tout juste d’être approuvé par le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale. Trois mois de préparatifs, d’évaluations et de négociations intensives qui vont permettre d’accompagner les efforts déployés par la Jordanie pour offrir des services de santé primaires et secondaires essentiels aux Jordaniens pauvres sans assurance maladie et aux réfugiés syriens. Ce projet repose sur un mécanisme de financement au résultat par lequel le gouvernement jordanien sera remboursé du coût des soins prodigués à ces bénéficiaires en fonction de registres d’utilisation des services et de dépenses vérifiés de manière indépendante. Il financera près de 3,5 millions de consultations au cours des deux prochaines années. Parallèlement, nous collaborons avec les autorités jordaniennes à la mise en place d’un système de santé plus durable et résilient. Le projet va fournir une assistance technique et contribuer au renforcement des capacités en vue d’accroître l’efficacité du système de santé. Notre objectif est de parvenir à développer l’offre de santé à moyen et long terme avec le même volume de ressources.
Le montant du projet est de 150 millions de dollars au total, répartis comme suit : la Banque mondiale apporte 36 millions, le GCFF, 34 millions, et la Banque islamique de développement, 79 millions. Où l’on voit que notre impact est cinq fois supérieur à ce qu’il aurait été si nous avions entrepris ce projet de manière isolée. Notre équipe était composée de collaborateurs de 17 nationalités différentes, basés dans cinq pays et opérationnels 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 : une équipe de la Banque « mondiale » à proprement parler. Une équipe unie et mobilisée vers le même objectif : aider la Jordanie à fournir des services de santé essentiels aux plus vulnérables.
Pour que, à l’hôpital d’Irbid, une petite fille puisse continuer à recevoir des transfusions sanguines tous les mois. Qu’elle puisse continuer à survivre et que, plus tard, elle puisse s’épanouir et réussir sa vie, malgré la guerre qui fait rage de l’autre côté de la frontière.
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