Publié sur Voix Arabes

Une étude sur les services de garde d’enfants au Liban souligne les difficultés du secteur

Childcare center with toys and activities. Childcare center with toys and activities.

Au Liban, les responsabilités liées à la garde des enfants forment encore pour 60 % des femmes la raison essentielle de leur non-participation au marché du travail.  En dépit d’un niveau d’éducation relativement élevé (64 % des femmes détiennent au moins un diplôme de fin de cycle secondaire), leur taux d’activité s’est maintenu à 25 % au cours de la dernière décennie.

En association avec la Commission nationale des femmes libanaises, le Mécanisme pour l’égalité des sexes au Machreq (MGF) du Groupe de la Banque mondiale a mené une étude nationale exhaustive sur les services de garde d’enfants au Liban. Cette évaluation comprenait six volets portant sur le cadre réglementaire et institutionnel régissant le secteur de la garde d'enfants, ainsi que sur les différents aspects de l’offre et de la demande de ces services.

Premières conclusions de l’étude

Face à l’absence d’un contexte favorable renforçant les droits des femmes au travail et de la prédominance des stéréotypes de genre dans la société libanaise, les responsabilités en matière de garde d’enfants sont inégalement réparties au sein des ménages : le plus souvent, ce sont les mères qui assument la plus grande part de ces tâches. Si l’accès à des services de garderie abordables et de qualité était élargi, les femmes pourraient intégrer le marché du travail, ce qui leur permettrait d’accroître leur productivité et leur confiance en soi et d’augmenter le revenu familial. De fait, si elles disposaient d’un accès à de tels services, 31 % des femmes interrogées pourraient envisager de se lancer dans une activité professionnelle à domicile et 26 % de travailler hors de chez elles.  

Par ailleurs, comme les effectifs des services de garde d'enfants sont presque exclusivement féminins, l’expansion de ce secteur pourrait créer un nombre important d’emplois pour les femmes et contribuer à la croissance économique du pays. L’idée que l’éducation des tout-petits est essentielle à leur bien-être progresse également dans le pays, et remodèle le modèle social en vigueur depuis toujours, à savoir qu’il incombe aux mères exclusivement de s’occuper de leurs enfants. Des études ont démontré les bienfaits à long terme d’interventions de qualité dans la petite enfance, comme une meilleure préparation à l’entrée à l’école, de meilleurs résultats scolaires et une baisse des redoublements et des décrochages.

Au Liban, les services de garde d’enfants sont très majoritairement assurés par le privé (80 %), les prestataires publics (12 %) et semi-privés (8 %) complétant l’offre. Les structures d’accueil se massent dans les régions côtières, notamment à Beyrouth et au mont Liban, où elles sont les plus nombreuses. Cette répartition inégale explique le faible accès aux services de garde d’enfants dans l’intérieur du pays et en milieu rural. Notons que 75 % des garderies accueillent des enfants de zones voisines, ce qui témoigne de l’importance du facteur transport dans le choix des parents de mettre ou non des enfants dans une crèche.

Image

Figure 1 : Nombre de services de garde pour 1 000 enfants

Note : Les chiffres qui figurent sous chaque département (caza) sont une estimation du nombre d’enfants âgés de un à trois ans en 2021.

Si 80 % de ces structures accueillent les enfants âgés de un à trois ans, seuls 58 % d’entre elles prennent en charge les moins d’un an.  Il s’agit pour l’essentiel d’acteurs privés, généralement plus coûteux. Cette situation freine d'autant plus la participation des mères au marché du travail lors de la première année de maternité.

Depuis le début de la crise économique en 2019, l’accessibilité financière de ces services est également devenue un sujet de préoccupation majeur. En 2021, le pourcentage de prestataires de services de garde d’enfants accueillant des familles rencontrant des difficultés de paiement a doublé, pour atteindre 41 %.  De plus, en raison de la dévaluation de la livre libanaise et de la hausse importante des prix du carburant, les frais mensuels par enfant ne couvrent plus les coûts de fonctionnement des garderies, souvent contraintes de transiger sur la qualité de leurs prestations, ce qui peut nuire au bon développement des enfants. D’autres prestataires ont dû augmenter leurs tarifs, devenant inabordables pour beaucoup.

Compte tenu de la situation dégradée du pays, les autorités doivent prendre acte des retombées sociales et économiques liées à l’expansion de l’offre de services de garde d’enfants de qualité et veiller à ce que cette offre reste abordable et accessible aux familles les plus vulnérables. Ces questions, qui mobilisent plusieurs secteurs, exigent une approche globale autour de :

1. la diversification des modalités de prise en charge : pour assouplir et personnaliser l’offre de services, il serait souhaitable de proposer d’autres solutions que l'accueil en établissement (privé, public, semi-privé), comme une prise en charge de qualité par la communauté ou à domicile (crèche collective ou parentale, assistante maternelle).

2. la mise en place d’un cadre politique et réglementaire : pour un service d’accueil unifié, de grande qualité et à coût abordable, les pouvoirs publics doivent donner la priorité à une stratégie nationale multisectorielle qui encadre la garde et l’éducation de la petite enfance. 

3. la question des normes sociales : pour une répartition plus équitable entre hommes et femmes des tâches ménagères et familiales, les normes sociales et les stéréotypes liés au genre doivent faire l’objet de campagnes de communication globales. D’après notre enquête auprès des ménages, plus de 61 % des femmes déclarent se satisfaire de la répartition des responsabilités liées aux soins des enfants dans le ménage, ce qui tend à indiquer qu’elles cèdent encore aux attentes de la société.

Pour faire progresser le chantier de la garde des enfants, le MGF accompagnera les autorités libanaises dans : la création d’un réseau de praticiens de la petite enfance ; l’élaboration d’une feuille de route nationale pour l’accueil des enfants ; le développement d’un cadre national pour une main-d’œuvre qualifiée ; la conception d’un projet pilote pour élargir l’accès à des services de garde d’enfants de qualité ; l’identification des opportunités d’investissement avec le secteur privé ; et la conceptualisation, la mise en œuvre et l’évaluation d’une campagne de communication axée sur les comportements.


Auteurs

Lama Abou Char

Childcare Consultant, Early Years Education, World Bank

Ahmad Jaber

Communications Specialist & Consultant with World Bank, Mashreq Gender Facility

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000