L’agriculture reste l’un des principaux moteurs de l’économie marocaine : ce secteur pèse en moyenne pour 15 % du PIB, emploie près de la moitié de la population active et fournit 23 % des exportations du pays. Il existe néanmoins une forte disparité entre les grands exploitants commerciaux et les petits agriculteurs. Ces derniers pratiquent en général une agriculture de subsistance sur des terres pluviales situées dans des zones à faible rendement qui se distinguent par des conditions agroclimatiques moins favorables, des infrastructures de base peu développées, une accessibilité difficile et un accès restreint aux services agricoles.
Les petits exploitants sont exposés à la pauvreté, à la marginalisation et à la dégradation de l’environnement. Avec un accès restreint à l’irrigation, ils ne sont pas enclins à consacrer leurs ressources financières à l’innovation technologique et à de nouveaux équipements, et leur productivité reste basse. D’où une surexploitation des terres inévitable et le recours à des pratiques agricoles non viables tout juste suffisantes pour préserver leurs moyens de subsistance.
La dégradation des sols constitue un défi majeur au Maroc, privant l’économie de 134 millions de dollars par an, selon les estimations. L’érosion hydrique, notamment, touche environ deux millions d’hectares de terres. Le surpâturage, la surexploitation et la pollution agricole causés par une utilisation inadéquate des engrais et des pesticides sont également responsables de la destruction de la biodiversité. La dégradation de l’environnement et la perte de biodiversité nuisent à la production de l’agriculture vivrière, ce qui enferme d’autant plus les petits agriculteurs dans le cercle vicieux de la pauvreté.
Le pays s’est doté d’une stratégie agricole pour la période 2008-2020, le Plan Maroc Vert (PMV), qui visait à doubler la croissance agricole et à créer 1,5 million d’emplois à travers deux axes principaux : a) accompagner l’intégration des agriculteurs commerciaux sur les marchés nationaux et internationaux ; et b) soutenir les petits exploitants en encourageant la rotation, la diversification et l’intensification des cultures, en finançant des installations de transformation et de stockage sur site, en développant leurs capacités et en favorisant leur accès et leur participation aux marchés. Cette stratégie, déclinée dans des plans agricoles régionaux, a misé sur les chaînes de valeur agroalimentaire. Le choix de ces filières, dans chaque région, s’est effectué en fonction des conditions agroclimatiques et de leur potentiel économique. Puis des projets ont été mis en place afin d’appuyer l’intégration verticale de chaque chaîne de valeur, de la production à la commercialisation, dans le cadre d’associations et de coopératives composées d’agriculteurs et d’agricultrices.
Le projet ASIMA (pour Agriculture solidaire et intégrée au Maroc) est venu compléter le soutien déjà apporté par le PMV aux petits exploitants situés dans les deux régions cibles de Souss-Massa-Drâa et de Marrakech-Tensift-Al Haouz. Il avait pour objectif de financer des mesures de préservation des terres et de la biodiversité, des formations, des visites sur le terrain et des voyages d’étude, ainsi que des campagnes de sensibilisation. L’ASIMA s’inscrivait dans le programme MENA-DELP (a), une initiative financée par la Banque mondiale et le Fonds pour l’environnement mondial et visant à promouvoir les connaissances et le partage d'expériences en vue d'améliorer durablement les moyens de subsistance dans les zones désertiques grâce à une gestion stratégique de ces écosystèmes.
« Le projet ASIMA a financé un bassin de stockage des eaux résiduaires après l’extraction d’huile d’olive et une unité de production de compost pour la fertilisation des sols. Il est venu s’ajouter au Plan Maroc Vert, qui nous a permis de construire et d’équiper notre propre huilerie », témoigne Safaaa Laadam, présidente de Touf Itri, une coopérative composée exclusivement de femmes et située à Tanalt dans la province de Chtouka Ait Baha. « J’ai aussi bénéficié d’une formation sur la préservation des sols et de l’eau. »
Grâce à la recherche et à des campagnes de sensibilisation, les agriculteurs se sont formés à diverses méthodes de préservation des ressources : utilisation d’aliments pour bétail à base de cactus et d’argan pour réduire la pression sur les pâturages et enrichissement des sols à l’aide de sous-produits de l’olive. On leur a également enseigné différentes manières de protéger les sols et les eaux souterraines des résidus issus de l'extraction d'huile d'olive, sachant que ce produit alimente un secteur d’exportation compétitif pour le Maroc. La formation portait également sur la préservation de la biodiversité par des techniques de récolte durable, la valorisation des plantes médicinales et aromatiques, ainsi que la protection et la sauvegarde de l’abeille saharienne.
Grâce aux unités de transformation, la production primaire se trouve valorisée. En témoignent la transformation (plantes médicinales et aromatiques, par ex.) ou la fabrication de nouveaux produits ou de produits affinés (aliments pour animaux, huiles essentielles, cire de meilleure qualité, nouveaux modèles de ruche et variété d’abeilles locales). Grâce aux bassins de rétention, les eaux résiduaires de la transformation des olives ne contaminent plus le sol ni les ressources en eau ; par ailleurs, les unités de compostage produisent du compost à partir de la pulpe d’olive pour l’amendement des sols.
Plus de 3 000 oléiculteurs, dont 40 % de femmes, ont été formés à ces techniques. Ces producteurs ont ensuite intégré dans leur pratique ces mesures de préservation de la biodiversité et des sols, avec à la clé désormais près de 180 hectares exploités selon des méthodes de gestion des terres durables. Sept unités de valorisation des eaux résiduaires issues des huileries ont été construites, ce qui a permis de réduire la pollution tout en améliorant considérablement la viabilité écologique du secteur, ainsi que sa viabilité économique. Des ateliers de fabrication de ruches et des unités de production de fourrage pour le bétail à partir de sous-produits agricoles ont également vu le jour.
Grâce à ces initiatives, Safaa Laadam a acquis des compétences qu’elle pourra mettre à profit. C’est ce qu’attestent les résultats de l’enquête auprès des bénéficiaires. La satisfaction des petits exploitants par rapport aux techniques expliquées (74 % satisfaits ou très satisfaits, selon l’enquête) et leur satisfaction par rapport à la formation dispensée en matière de préservation des sols et de la biodiversité (77 % satisfaits ou très satisfaits) témoignent de l’adhésion des agriculteurs à ces mesures. La grande majorité (82 %) a également indiqué que le projet avait consolidé leurs compétences en matière de préservation de la biodiversité et des sols. La création de valeur en aval est confirmée par le pourcentage élevé d’agriculteurs qui s’attendaient à des retombées positives sur leur activité, les trois quarts (75 %) déclarant que leurs revenus avaient augmenté ou étaient susceptibles d’augmenter grâce au projet. En outre, les recherches menées dans le cadre du projet ASIMA ont également démontré que l’amendement des sols par la valorisation des sous-produits de l’olive (ce qui correspondait aux activités de deux volets du projet ASIMA) améliorerait à la fois la composition et la fertilité des sols.
À l’heure où l’économie du Maroc et de nombreux pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord souffre de l’impact de la pandémie de coronavirus, l’éventail de solutions élaborées dans le cadre de ce projet est en mesure de renforcer la résilience des populations des zones rurales à faible rendement, en parvenant à faire en sorte que leurs moyens de subsistance soient préservés même en cette période difficile. Nous espérons que ces initiatives renforceront également la résilience de ces communautés face aux chocs futurs et qu’elles préserveront les ressources naturelles dont dépendent leurs moyens de subsistance.
Prenez part au débat